Le Général Pellé, un « homme clairvoyant »

Le président Masaryk décore le général Pellé (novembre 1919), photo: sabix.revues.org

Mardi a été inaugurée au Mémorial de Verdun, en France, une exposition consacrée au Général Maurice Pellé, un officier important de la Première guerre mondiale, connu surtout en République tchèque et en Slovaquie pour avoir formé la nouvelle armée tchécoslovaque en 1919. Personnage oublié en France, l’exposition permet de découvrir un homme aux multiples facettes, comme nous le rappelle l’historien Jean-Noël Grandhomme, professeur à l’Université de Strasbourg.

Jean-Noël Grandhomme
« L’exposition sur le Général Pellé comble vraiment un vide. C’est un personnage qui est inconnu des gens qui ne s’intéressent pas de près à la Première guerre mondiale. On découvre quelqu’un de multi-facettes : un militaire, mais aussi un artiste, un diplomate, un père. Je crois que c’est un beau succès, j’espère qu’il y aura beaucoup de visiteurs. »

Comment expliquez-vous que le Général Pellé soit méconnu en France, contrairement à la République tchèque ?

« Peut-être justement parce qu’il a été beaucoup en service à l’étranger. Les Français s’intéressent d’abord à ce qui se passe en France. Et de manière générale, la Première guerre mondiale a tendance à être beaucoup oubliée. Je ne sais pas si les jeunes Français savent même qui étaient Joffre ou Foch… Peut-être que le centenaire du début de la guerre sera l’occasion de remettre en lumière un certain nombre de figures. »

Grâce au travail de la petite-fille du général, Isabelle Sandiford-Pellé, on découvre toutes ses facettes grâce à l’exposition, au film, au livre qu’elle a publié avec ses carnets de croquis. Dans le film on découvre aussi quelque chose qu’on n’aurait peut-être pas imaginé : il se rend en Allemagne, côtoie l’empereur Guillaume II. Dans le contexte de l’après-1870, cela peut surprendre…

Extrait des croquis du général Pellé,  photo: sabix.revues.org
« Effectivement, mais on était entre gens du même monde, on se côtoyait et les attachés militaires étaient invités aux manœuvres et pouvaient observer tout ce qui se passait. C’est assez curieux. Mais c’était une sorte de spectacle. Pellé parlait très bien allemand et avait donc un contact direct avec l’empereur allemand et les hauts dignitaires du régime impérial. On se confie à lui, mais on lui confie aussi ce qu’on voulait qu’il répète à Paris. Donc ce sont des confidences calculées. Mais il arrivait souvent à voir à travers les lignes, il n’était pas qu’un instrument. »

Vous disiez pendant votre allocution que le Général Pellé est une personne très clairvoyante…

Le général français Maurice Pellé en délégation au Sokol de 1920,  photo: Garitan,  Creative Commons
« On pourrait dire que je l’admire et que je ne lui vois que des qualités… Mais non, ce n’est pas pour cela que j’ai souligné cet aspect : on a des écrits qui restent et qui sont datés d’une époque qui précède les événements. On peut ainsi se rendre compte qu’il a eu une clairvoyance dans le domaine de l’aviation à une époque où beaucoup de gens, Foch pour commencer, pensaient que c’était un sport qui n’avait pas beaucoup d’utilité militaire. Les Allemands s’intéressaient plus au Zeppelin. Il a aussi beaucoup parlé de l’artillerie lourde, une des clés de la Première guerre mondiale, un des domaines où les Français étaient très en retard. Il s’est aussi rendu compte de l’état d’esprit des Allemands de l’époque, tellement fiers de leur pays qui se développait de manière commerciale, industrielle et militaire. Il sentait venir une guerre parce qu’il pensait que les Allemands ne se contenteraient pas de ce qu’ils avaient. »

En Tchécoslovaquie, il est en poste assez peu de temps finalement, deux ans, et pourtant ces deux ans sont un tournant dans sa vie : il se marie avec une Tchèque, tombe amoureux du pays… Après cette mission, il est envoyé en tant qu’ambassadeur à Constantinople. Mais il est malade et il n’a pas une vie très longue… Dans votre allocution, vous disiez qu’il était aussi mort de tristesse…

Le général français Maurice Pellé,  photo: sabix.revues.org
« A la fin de sa vie, il était atteint d’une leucémie, ce n’était donc pas une maladie imaginaire. Mais peut-être sa fin a-t-elle été hâtée par le spectacle qu’il a vu. En Europe centrale, la France avait des positions fortes, des amis : la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Yougoslavie. Mais un des grands rêves de la France, c’était l’Orient. Il voit qu’en Orient, la France se fait rouler par la Grande Bretagne qui s’octroie les territoires, peut-être pas les plus importants, mais qui rapportent beaucoup, comme l’Irak où on vient de découvrir du pétrole, ou la Palestine. La France est là seulement pour constater qu’elle n’est plus l’une des deux ou trois puissances mondiales, même si elle croit encore l’être. Pellé se rend compte que la France a pris un coup très dur pendant la guerre dont elle se relèvera difficilement. A une époque où tout le monde pense que la France est le grand vainqueur de la guerre, lui se rend compte que c’est une victoire à la Pyrrhus. Finalement, il se demande si tous ces sacrifices de la Grande Guerre n’ont pas été inutiles. C’est ce qui le tue… parce qu’il a vu cette souffrance, la mort de tant de gens pour un résultat somme toute en demi-teinte. »