Le Guignol ou Kašpárek iranien, une marionnette qui dit ce que les autres n’osent pas exprimer

parviz_khazrai.jpg

Depuis mercredi et jusqu’au 28 octobre se déroule à Prague, mais aussi à Brno et Hradec Kralové, la deuxième édition du festival de la culture orientale, intitulé « Un croissant de lune au-dessus de Prague ». La première partie du festival s’est concentrée sur le monde perse et plus particulièrement l’Iran. Après la documentariste Maryam Khakipour l’an dernier, c’est cette année le poète et écrivain Parviz Khazraï qui était à l’honneur. Après avoir quitté son pays suite à la Révolution islamique, il s’est installé en France en 1977. A Hradec Kralové il a présenté sa pièce ‘Mémoires d’une marionnette’ qui raconte l’histoire d’un marionnetiste et de sa marionnette, interdits de jouer par les mollahs. Un texte mis en scène par Dominique Houdart et Jeanne Heuclin. L’occasion de s’entretenir avec eux, à commencer par Parviz Khazraï lui-même, qui nous rappelle pourquoi il a écrit sa pièce.

Parviz Khazraï,  photo: www.amourier.com
PZ : « Tout simplement à cause de ce qui s’est passé en Iran dans cette période bien précise, à la fin de l’année 1976. C’est le moment du départ du roi et de l’arrivée de Khomeini. C’est un événement très important historiquement. En tant qu’écrivain, qui normalement doit s’intéresser aux événements de l’histoire, surtout quand il s’agit de son pays. Donc, naturellement ça m’intéressait, et je voulais témoigner par écrit. J’avais la chance d’avoir ces marionnettes chez moi car ma femme est très intéressée par ce type de théâtre. Je trouvais que c’était un bon moyen d’écrire cette histoire à travers ces personnages-là, de parler de choses très sérieuses et de cette histoire qui n’est pas très drôle de manière peu sérieuse. »

La marionnette a une très longue tradition en Iran, une tradition millénaire. Comment ce théâtre est-il né et a-t-il été interdit à d’autres moments de son histoire puisque la marionnette a ce rôle de ‘fusible’, elle est un personnage qui peut dire ce que les gens ne peuvent exprimer eux-mêmes ?

PK : « Oui, c’est un art très ancien, de plus de mille ans. Mais c’est un art millénaire un peu partout dans le monde. C’est très important car on peut dire par la bouche des marionnettes ce qu’on ne peut pas dire dans la société à cause des problèmes politiques ou sociaux. »

Cette pièce ‘Mémoires d’une marionnette’ était présentée en République tchèque dans le cadre du festival de la culture orientale. Dominique Houdart et Jeanne Heuclin, vous avez choisi de produire cette pièce, pourquoi ? Qu’est-ce qui vous a séduits dans ce texte ?

DH : « Déjà la rencontre avec Parviz et sa compagne date de très longtemps, c’était au Festival international de la marionnette à Charleville-Mézières où elle exposait ses marionnettes iraniennes. Puis son texte a été édité en France : l’éditeur nous a demandé de faire une lecture dans un théâtre à Paris pour essayer de lancer la pièce. Cela a été un coup de cœur. La marionnette iranienne évidemment, ce n’est pas à nous de la défendre, ce n’est pas notre tradition, et de toutes les façons nous ne faisons pas de marionnette traditionnelle. Mais au-delà de cette tradition, il y avait le témoignage d’un poète sur une époque, à travers la marionnette. Cela nous intéressait doublement : le caractère poétique et politique, nous avions envie de le défendre. Le défendre, pour l’instant, ce n’est que sous forme de lecture, mais de lecture améliorée. Nous ne nous contentons pas de prendre le livre et de le lire à haute voix, mais on a fait un travail vocal et sonore qui s’apparente au travail radiophonique. Les marionnettes sont là, sur une table. C’est Parviz qui le montre, ça permet de voir de vraies marionnettes iraniennes. En même temps que nous avons cette lecture mise en jeu, nous avons aussi une bande sonore qui passe sur un petit appareil radio. Dans cette bande, nous avons récupéré des documents sonores d’époque : des reportages radiophoniques... On y entend les hurlements des foules dans Téhéran, c’est glaçant. On essaye donc de défendre ce texte tel quel, avec cette petite difficulté qu’on a de le monter en France. Les directeurs de théâtre ont peur de l’Islam, car c’est une arme redoutable encore et qu’il y a des menaces d’attentat en Europe, aux Etats-Unis... Donc les directeurs ont la trouille. Nous pas. »

Vous disiez que ce qui vous a séduit, c’est aussi le caractère politique de la pièce. Jeanne Heuclin, est-ce que vous pensez, de manière plus générale, qu’il y a de la place pour le politique au théâtre à l’heure actuelle ? Est-ce qu’il y a encore des auteurs qui ont envie de faire du théâtre politique ?

Jeanne Heuclin
JH : « Dans les auteurs français actuels, on ne voit pas trop venir de gens qui prennent parti, qui essayent de soulever, de provoquer, de proposer. On le voit surtout dans le domaine des comiques à la radio, dans la BD. Il y a des choses intéressantes qui ne sont pas toujours bienvenues car on ne peut pas tout dire en France aujourd’hui, même en riant. Je songeais à cette envie qu’on a eue de lire le texte de Parviz et à une autre envie de monter d’autres textes de lui. Pour l’instant on recule un peu parce que Parviz écrit toujours pour un grand nombre de personnages. On a beau travailler avec des marionnettes, parfois on a besoin d’un acteur humain, présent. Il n’y a pas que l’aspect politique qui nous a intéressés, mais aussi l’écriture : même au cœur des moments les plus comiques, la forme d’expression est poétiquement très belle, très séduisante. »

Dans ce théâtre de marionnette iranien, on retrouve le personnage du Noir, le personnage principal, une sorte de guignol. L’an dernier, la documentariste Maryam Khakipour était là. Elle a tourné un film sur le théâtre Siâh Bâzi où on retrouve ce personnage du Noir. Cela veut dire qu’il existe à la fois comme personnage vivant au théâtre et en marionnette ?

PK : « Exactement. Le mot ‘siâh’ veut dire ‘noir’. ‘Bâzi’ veut dire ‘jeu’. C’était du théâtre vivant, un groupe qui allait chez les gens pendant les fêtes comme les mariages. On mettait des planches sur le bassin, au milieu de la cour, des tapis dessus et ils jouaient dessus. On invitait ces gens de théâtre qui jouaient tous ces personnages du théâtre de marionnette de façon vivante. »

Ce personnage de marionnette, Mobarak, le Noir, a des équivalents dans le monde. Guignol en France, mais aussi Kašpárek dans la tradition tchèque puisque les pays tchèques ont une grande tradition de marionnettes. Dominique Houdart, pouvez-vous nous parler des ressemblances et des différences ?

'Siah Bâzi'
DH : « Toutes les traditions et toutes les cultures ont un personnage un peu emblématique. On le retrouve dans la culture indonésienne ou turque ou belge. Les Italiens ont Polichinelle, et Arlequin, même si c’est un personnage de théâtre. La plupart du temps, ce sont des personnages issus du peuple. C’est le petit peuple, les portefaix, les gens de métiers humbles qui, à un moment, se révoltent et disent la vérité aux riches. Guignol, c’est tout à fait ça. La différence avec Mobarak, c’est que Mobarak est noir, noir dans un peuple qui n’est pas noir. Donc, il est descendant d’esclave. Je trouve ça particulièrement intéressant. Dans notre compagnie, on a développé un personnage pour notre époque qui s’appelle Padox. Mobarak, c’est comme Padox, c’est celui qui vient d’ailleurs. Il paraît que Padox en chinois veut justement dire ‘celui qui vient d’ailleurs’, ce que nous ne savions pas. Pour nous, c’est important, car ce personnage issu d’ailleurs, il apporte un regard neuf, celui des barbares... De même que notre littérature s’enrichit de ceux qui viennent d’ailleurs : Beckett et Ionesco, ce ne sont pas des Français ! Et on peut en citer bien d’autres. Notre littérature s’enrichit, comme notre théâtre, de personnages qui viennent d’ailleurs et qui soudain ont un regard sur notre société qui n’est pas piqué des hannetons ! »

...et qui tape en général où ça fait mal... Pour terminer cet entretien, on a donc parlé de politique, de marionnette, de théâtre en général. On n’a pas parlé de ceux pour qui le théâtre est fait : le public. C’est un élément important : sans public, il n’y a pas de théâtre. Est-ce que quand ce théâtre était donné en Iran, le public participait d’une façon active ? Je pense à Guignol par exemple, où les enfants l’interpellent pendant les spectacles... Quel était le rôle du public ?

PK : « C’était un rôle important. Surtout quand ils jouaient dans les parcs : les spectateurs étaient souvent des enfants, avec leurs parents, ils réagissaient au spectacle et il y avait une forme de communication. »

Et de votre côté, Dominique Houdart, Jeanne Heuclin, quelles étaient les réactions du public à la pièce ? Peut-être pas pendant la pièce, mais plutôt après la pièce...

DH : « On ne joue pratiquement jamais pour le jeune public. Donc on n’attend pas de réactions spontanées. Notre travail depuis longtemps fait qu’on se trouve face à des salles un peu captives, passives. La passivité des spectateurs est quelque chose qui nous a donné envie de sortir des théâtres et d’aller aussi dans la rue. Bien sûr nous adorons jouer dans les salles, mais on se retrouve toujours devant le même genre de spectateurs, en gros des enseignants et des ‘enseignés’, pour simplifier. Alors nous allons souvent dans la rue. Et là, il y a des réactions ! C’est l’équilibre entre les deux qui nous intéresse, quitte à ce que le théâtre de rue amène les gens au théâtre, ce qui est encore la meilleure chose ! »