Le jeu avec la vie, l'amour, la mort, le vide et le vent

Portrait de Roger Gilbert-Lecomte par Josef Sima

« La vie, l'amour, la mort, le vide et le vent » tel est le titre d'un recueil de poésies de Roger Gilbert-Lecomte dont la traduction tchèque est parue aux éditions Malvern. Cette poésie extrêmement originale éveille la curiosité. On aimerait en savoir plus sur son auteur tiraillé entre la poésie et la philosophie et sur le mouvement le Grand Jeu dont Gilbert Lecomte était la personnalité clé. Certaines de ces questions ont été abordées et élucidées, lors d'une soirée littéraire au café de l'Institut français de Prague par le poète et réalisateur de cinéma Bertrand Schmitt :

« Le Grand Jeu ce sont deux choses. C'est à la fois une revue qui existait à Paris de 1927 à 1932, et c'est aussi un mouvement qui réunissait quelques jeunes dont les racines sont à Reims. En 1922, se sont rencontrés au lycée de Reims plusieurs jeunes gens qui avaient des aspirations littéraires, mais surtout philosophiques et métaphysiques. Ils ont créée une confrérie, ils s'appelaient « Les Frères Simplistes » dans laquelle ils ont essayé de partager leurs expériences de la vie et de la littérature à la recherche d'un absolu. En 1927, ils ont décidé de créer cette revue, et ils ont invité à la collaboration des personnalités telles que Man Ray, Robert Desnos, et également des Tchèques parce qu'ils ont rencontré à Paris le poète Richard Weiner et le peintre Josef Sima. C'est par l'intermédiaire de Josef Sima que des poèmes de Nezval et de Seifert ont été publiés dans cette revue en 1928. »

Quel a été le rôle de Roger Gilbert-Lecomte dans ce mouvement ?

« Gilbert-Lecomte était un de ces Frères Simplistes du lycée de Reims. Sa personnalité était très forte, très séduisante, et je pense que c'est autour de lui que les jeunes gens se sont réunis. C'est donc un aspect important des choses. La seconde chose, c'est que lors de la création de la revue il a été le rédacteur en chef, c'est à dire celui qui a fédéré la rédaction de la revue avec une autre personne importante qui était René Daumal. »

Peut-on dire que c'était donc lui qui était le coeur du mouvement ?

« C'est plus compliqué, parce que le Grand Jeu, contrairement à d'autres mouvements littéraires qui ont eu une personnalité directrice, était véritablement une confrérie, c'est-à-dire, chaque personne y avait son importance. Roger Gilbert-Lecomte a eu son importance en tant que poète, mais d'autres personnes, telles que Josef Sima, ont eu leur importance en tant que peintre, d'autres personnes comme André Rolland de Renéville ont eu leur importance en tant que penseurs. Il y a avait quand même des personnalités fortes dans ce groupe. »

Quelles ont été les principes ou les principales tendances de ce mouvement ?

« C'est un mouvement qui ne se voulait pas être un mouvement littéraire. D'amblée, l'aventure du Grand Jeu n'est pas une aventure littéraire ou artistique, et ceci est indiqué bien clairement par les jeunes gens du Grand Jeu qui veulent que leur aventure soit avant tout une aventure de l'expérience. Dès le départ, le Grand Jeu essaie d'éviter un malentendu. Ce n'est pas une aventure littéraire, ce n'est pas une aventure artistique. C'est une expérience d'individu à la recherche d'une connaissance et d'une vérité métaphysique. Les jeunes gens mettent au point un principe qu'ils appellent la métaphysique expérimentale dont le but est, à travers des expériences d'écriture, de création mais également d'expérimentation de drogue et d'expériences physique, d'essayer d'approcher une connaissance, une connaissance absolue de l'être : le but de la revue est d'exprimer cette collectivité, d'exprimer les recherches faites par cette collectivité. »


Le Grand Jeu est pratiquement parallèle au mouvement surréaliste. Les premières expériences surréalistes, les expériences de sommeil, se font en 1922, et le groupe n'apparaît en tant que tel qu'en 1924 avec le Premier manifeste du surréalisme. Mais il y a des points de contact. Les membres du Grand Jeu ont lu le Premier manifeste du surréalisme et la Révolution surréaliste et dans les lettres qu'ils s'écrivent, notamment dans la correspondance entre Roger Gilbert-Lecomte et René Daumal ont voit bien que les deux amis se rendent compte qu'il se passe quelque chose d'important dans le mouvement surréaliste. Bertrand Schmitt :

« Il y a beaucoup de points de contact, il y a beaucoup de similitudes, mais très, vite, le Grand Jeu commence à se défier des aspirations politiques du surréalisme, pensant que le surréalisme est en train de perdre son originalité par ses contacts, en 1925, avec le Parti communiste. Il y a une sorte de connivence, on l'a vue. Il y a des gens qui sont proches du surréalisme comme Man Ray et Robert Desnos qui vont participer à la revue Le Grand Jeu, il y a des lettres échangées entre André Breton, Roger Gilbert-Lecomte et René Daumal, et il y a même, en 1929, une tentative de regroupement entre le Grand Jeu et le surréalisme. Ceci ne va pas se produire. Les raisons sont très complexes et beaucoup d'historiens en parlent. Disons qu'il y a une aspiration plus spirituelle plus métaphysique de la part du Grand Jeu et une aspiration plus politique de la part du surréalisme, ce qui fait qu'à un moment donné les chemins se séparent, même si par la suite certains membres du Grand Jeu vont rejoindre le groupe surréaliste. »

Quelle a été la part des artistes tchèques dans ce mouvement ?

« Les artistes tchèques sont surtout représentés par Josef Sima qui a été LE PEINTRE du Grand Jeu. Il y a eu d'autres personnes et d'autres artistes qui se sont exprimé par l'art dans le Grand Jeu ; je pense à Maurice Henry et à Artür Harfaux par exemple, mais Sima reste bien entendu le grand créateur, le grand peintre du Grand Jeu. Avant Sima il y a eu cependant une personne qui est un peu oubliée dans l'histoire du mouvement, qui est Richard Weiner. Il est correspondant du journal Lidove noviny à Paris et il rencontre très vite, très très tôt, les membres du Grand Jeu ; Il rencontre Pierre Minet qui est venu à Paris, et c'est par l'intermédiaire de Pierre Minet qu'il rencontre Roger Vaillant et qu'il va rencontrer Roger Daumal et puis Roger Gilbert-Lecomte. Il est très très proche d'eux pendant quelques années, mais il ne va pas participer à la revue. Les raisons en sont assez complexes. Je pense que Weiner était une personne qui était attiré à la fois par l'activité collective, mais aussi par une sorte de solitude. Ce qui fait que quand la revue est sur le point de se faire, il ne donne pas de textes bien qu'il doive les donner, et il ne participe pas à cette aventure. Il a repris certains souvenirs dans son livre « Jeu pour de vrai » paru en 1933. »