Le métier d'archéologue en République tchèque
Suite et fin dans cette rubrique histoire de Radio Prague de l’entretien avec Yann Béliez, archéologue français installé à Prague. Avant de nous en dire plus sur l’exercice de son métier en République tchèque, il revient tout d’abord sur le chantier de fouille préventive qu’il a récemment dirigé pour la société Labrys, o.p.s dans le quartier de Barrandov, mettant au jour des habitats datant du néolithique et de l’âge du bronze…
« Cela prouve que des populations se sont installées à cet endroit, qu’elles y ont vécu, qu’elles ont élevé. Nous sommes en attente des résultats archéobotaniques pour savoir s’il reste dans certains cas des restes archéobotaniques, c’est-à-dire des restes de céréales, ou d’autres éléments de charbon, qui nous permettraient un peu mieux de comprendre comment vivaient ces populations. Ce sont des populations sédentaires avec un plan assez défini d’une réelle occupation. »
Combien de temps dure une fouille d’archéologie préventive ? Quelles sont les étapes qui viennent ensuite à partir des résultats des fouilles ?
« C’est très simple. La première phase intervient dès qu’un aménageur veut construire un bâtiment. Il doit alors impérativement vérifier s’il y a une présence archéologique. Par la suite, s’il y a présence archéologique avérée, dans un premier temps nous faisons un diagnostic, c’est-à-dire que nous évaluons le potentiel archéologique du site. Dans un cas positif, une fouille est entamée en accord avec les aménageurs. »
Et que se passe-t-il après la fouille ?
« Après la fouille, il y a la phase de post-fouille. C’est la phase où on va étudier le mobilier archéologique, où on va organiser la documentation, on va analyser la documentation. Par la suite, on va produire un rapport qui sera destiné aux investisseurs, mais aussi aux institutions d’Etat. »Est-ce qu’on n’est pas parfois déçu de voir qu’il va y avoir des constructions nouvelles sur des sites qui peut-être auraient mérité une fouille plus approfondie ?
« Oui c’est vrai mais c’est un choix. L’archéologue, il doit aussi faire des choix et d’ailleurs dans l’archéologie préventive, on fait beaucoup de choix car c’est une archéologie d’urgence. Il faut quand même le dire. On n’est pas dans de l’archéologie programmée où on peut avoir le temps de pouvoir faire toutes les recherches qui sont possibles, où on peut prendre son temps. En archéologie d’urgence, on doit faire des choix. Qu’est-ce que l’on va essayer de sauvegarder ? Si on trouve un nombre important d’occupations romaines ou d’occupations préhistoriques, de la même façon, il y a des moments où il va falloir faire des choix. On peut faire des choix, on doit faire des choix car on ne peut pas non plus tout fouiller. Mais par contre il faut hiérarchiser la recherche et voir ce qui est le plus important. »
Avec cette société Labrys, vous avez l’opportunité de faire aussi des fouilles programmées ?
« Non, ce n’est que de l’archéologie préventive. J’ai participé précédemment à plusieurs équipes de recherche, notamment en Egypte, en Croatie et aussi à Chypre. Là, on a vraiment le temps. Ce sont des missions où peut travailler dans de très bonnes conditions. On a vraiment le temps de faire de la recherche. »
L’Egypte ou Chypre sont peut-être des cadres de recherche assez différents. Comment abordez-vous ce nouvel environnement en République tchèque ?
« Pour moi, c’est le processus qui m’intéresse, le processus archéologique. Et il faut aussi savoir qu’à Prague et en République tchèque, on fait de fantastiques découvertes tous les jours. Je rencontre des archéologues tchèques qui me montrent des choses que si je n’étais pas venu ici, je n’aurais jamais vues. Pour moi, c’est un exercice intellectuel. Cela m’intéresse tout autant de fouiller une sépulture ici que de la fouiller à Chypre. Tout est dans l’intérêt de ce que l’on va trouver, les indices, les éléments qu’on va trouver. »En Egypte, vous avez notamment travaillé sur les premières phases du monachisme au IIIe-IVe siècles. C’est un espace spatial et temporel où il y a déjà l’écriture. Pour le chantier de fouille de Barrandov, ce n’est pas le cas. Est-ce que cela change la démarche de l’archéologue ?
« Non, parce que c’est le terrain qui compte en premier lieu, la lecture du terrain. La lecture du terrain, qu’elle soit pour la préhistoire ou pour des périodes historiques, c’est la même chose. La lecture des sols est toujours la même chose. Une céramique en place sur un foyer restera, pour la période de la préhistoire ou pour la période historique, la même chose. Tout est dans l’acquisition des données et aussi dans la fouille et dans les techniques de fouille ainsi que comment appréhender cet environnement. »
Vous disiez que vous avez pu découvrir des choses en République tchèque que vous n’auriez pas connues ailleurs. Quelles sont-elles ?
« Je dirais simplement que le problème en archéologie et le problème avec la République tchèque, c’est que malgré tous les efforts de ces archéologues de diffuser à l’étranger, il est vrai que, par exemple en France, on a extrêmement peu d’informations. Maintenant grâce à tous ces éléments de diffusion, on peut avoir plus d’informations. Et maintenant, les Tchèques et les archéologues tchèques diffusent énormément. Mais c’est vrai que l’actualité du terrain me montre que l’archéologie tchèque n’a pas à pâlir vis-à-vis de l’archéologie française, de ce qu’on peut faire en archéologie préventive en France. Il y a aussi de très belles découvertes. Par exemple, dans le cadre d’un état des lieux sur le terrain tchèque, j’ai vu des tombes de l’âge du fer. J’ai vu énormément de choses, qui sont vraiment très intéressantes. J’ai vu du mobilier du Moyen Âge, des choses qui sont vraiment très belles et aussi très intéressantes scientifiquement. »Quelles sont aujourd’hui ici les questions que se posent les historiens et les archéologues ? Et comment tentent-ils d’y répondre par le terrain ?
« Le seul problème ici, c’est le problème des moyens. Les archéologues tchèques voudraient énormément pouvoir faire des analyses, pouvoir faire plus de recherche. Mais malheureusement l’archéologie, comme en France, nous ne sommes pas une profession qui apporte énormément de moyens. On en a quand même mais la recherche nécessiterait beaucoup plus de moyens, par exemple de faire des datations au radiocarbone beaucoup plus nombreuses pour essayer de pouvoir affiner la chronologie de l’archéologie tchèque. »