Archéologie préventive : on habite à Barrandov depuis quatre millénaires
Dans le quartier de Barrandov, non loin d’un parc aquatique, s’élèvera bientôt un édifice comprenant 269 nouveaux appartements flambant neufs. Une façon de perpétuer l’occupation humaine sur ce terrain puisqu’une fouille archéologique préventive a permis d’identifier des habitats datant du néolithique et de l’âge du bronze. Ce chantier de fouille a été dirigé par un archéologue français, Yann Béliez, de la société Labrys, o.p.s, qui a présenté les tenants et les aboutissants de ce travail pour Radio Prague.
« Ce site de fouilles se situe à la fin de la ligne 12 du tramway pragois. Il s’agit d’une surface d’un hectare où des travaux ont maintenant commencé pour faire un immeuble. Dans ce cas, cette surface d’un hectare a été totalement fouillée et nous avons découvert, principalement, une occupation datant de l’âge du bronze, qui est constituée pour l’instant de plans de maisons. Donc huit maisons qui sont plus ou moins alignées. Et il y aussi une occupation un peu plus ancienne, de ce qu’on appelle la culture Řivnáčská, qui correspond la fin du néolithique, une période ici appelée en République tchèque l’énéolithique. »
A quoi correspond cette période de l’énéolithique ?
« Le néolithique est la période de l’élevage et de l’agriculture. L’énéolithique correspond à la fin de cette période. On arrive à la période de la métallurgie, donc d’abord avec des éléments de cuivre et ensuite de bronze. L’énéolithique est la phase de transition avant l’âge du bronze. »Qu’est-ce qui caractérise la culture Řivnáčská et où la trouve-t-on ?
« A l’opposé du site de Barrandov, il existe une occupation de cette même période. Elle est caractérisée pour le site de Barrandov par une maison très spécifique, c’est-à-dire que c’est une maison quadrangulaire, qui, aux quatre coins, dispose de trous de poteau, et qui est aussi bordée de petits trous de piquets qui permettent de fermer et d’obturer la maison. »
A part ces maisons des deux époques que vous avez citées, l’énéolithique et l’âge du bronze, quels sont les objets, les artéfacts qu’on peut trouver ?« Principalement, le problème du site de Barrandov, c’est qu’il y a une très forte érosion des sols et aussi une forte érosion due à l’agriculture puisqu’avant c’était des champs. Donc les couches supérieures sont énormément arasées, ce qui fait qu’il nous ne reste principalement qu’une vingtaine de centimètres de négatif pour cette occupation de la période de l’énéolithique et de l’âge du bronze. C’est très peu. Mais généralement pour ces périodes et pour la République tchèque, on ne retrouve que ces restes. »
A quelles datations correspondent ces périodes pour cette région ?
« On peut très largement considérer qu’on est au IIe millénaire jusqu’au VIIIe siècle avant Jésus-Christ. »
Vous avez également trouvé d’autres éléments d’autres époques, du Moyen Âge et de l’époque moderne…
« Ce sont des éléments un peu plus tenus. On a aussi quelques éléments, à partir seulement de deux-trois morceaux de céramique, du haut Moyen Âge, donc on tourne autour du IXe siècle après Jésus-Christ. Mais cela reste des éléments extrêmement ténus qui se retrouvent à l’extrémité sud du site et c’est extrêmement mal préservé. Donc là on a vraiment très peu d’éléments. Et par la suite, nous avons aussi une très vieille route qui date du XIXe siècle. On a retrouvé des éléments de verre, de la céramique, qui vraiment cadrent très bien chronologiquement avec cette période. C’est une route qui semble avoir été beaucoup utilisée puisqu’on a des phases de réfections qui prouvent qu’il y a une activité importante. »Comment détermine-t-on qu’à tel endroit il y a eu une route ?
« Là c’est très simple car pour cette période, quand on utilise des chariots, à force de passer avec des roues, on crée des dépressions, on crée un chemin. A la fin, cela devient impossible donc on le remplit avec des pierres ou avec ce que l’on peut et petit à petit les écarts se creusent. Après par contre, on décide de mettre une route juste à côté parce qu’on ne peut plus la réparer. C’est ce qu’on a trouvé aussi pour ce site. C’était assez intéressant. »
Vous me parliez également d’une bouteille de Bénédictine qui a été trouvée. C’est sur ce même site ?
« Non, c’est une de mes collègues qui fouille à Karlín, qui travaille principalement pour les périodes modernes et qui a retrouvé une bouteille de Bénédictine dans une fosse. »C’est un alcool produit en France…
« C’est un alcool produit à Fécamp, qui est de ma région donc c’est assez intéressant. C’est une production qui a été apportée par un moine italien à Fécamp au XVIe ou au XVIIe siècle, qui par la suite a été complètement perdue. Et c’est un Fécampois, Alexandre le Grand, qui a redécouvert la recette et qui a commencé à produire la Bénédictine à partir de 1871. Donc on a une chronologie pour cette bouteille, on sait qu’elle n’est pas plus ancienne que 1871. »
Et qu’elle a eu un succès international…
« Eh bien finalement oui, c’est assez étonnant de retrouver cette bouteille de Bénédictine. J’ai été assez surpris quand ma collègue me l’a montrée. »
Peut-on faire faire une hypothèse sur la raison de sa présence ici ?
« Il y a probablement de l’exportation mais cela reste anecdotique. Après si on retrouvait un nombre important de bouteilles, c’est aussi cela le rôle de l’archéologie, on pourrait commencer à émettre des hypothèses. »
A quelle fréquence avez-vous des chantiers de fouille préventive ?
« On le voit tout autour de nous : Prague est en effervescence. Cela construit partout. Il y a une forte demande mais il y a aussi de nombreuses équipes archéologiques qui travaillent sur Prague. Donc c’est assez fréquent mais on peut très bien faire un sondage qui va durer deux jours, comme on va faire, par exemple pour le cas de Barrandov, trois mois pour une grande surface. »Dans une prochain rubrique historique, nous vous proposons la deuxième partie de cet entretien avec Yann Béliez, qui évoquera plus généralement son activité d’archéologue en République tchèque.