Le monde et la République tchèque saluent un homme de valeurs
De Prague à Washington, partout dans le monde, c’est un vibrant hommage qui a été rendu à Václav Havel. En République tchèque, gagnée par une émotion sincère et profonde dès l’annonce de l’information, dimanche midi, des personnalités de tous les horizons, politique bien entendu, mais également religieux, artistique et culturel, se sont exprimées. Une immense majorité gardera du président philosophe l’idée d’un personnage hors normes dont la vie marquée par la lutte pour la liberté et la vérité a largement dépassé les frontières de la République tchèque.
« Un Européen engagé », « un ami de la France », qui incarnait « un engagement infatigable en faveur de la démocratie et de la liberté ». « Son accession à la présidence de la République après la révolution de velours en 1989 a couronné une vie tout entière vouée au combat contre le totalitarisme et pour la défense des valeurs qui inspiraient son action – la tolérance, la promotion des droits de l'Homme et la lutte contre l'oppression » : c’est avec ces mots que le président français, Nicolas Sarkozy, a réagi à l’annonce du décès de Václav Havel. François Fillon a, lui, évoqué « une grande conscience européenne qui a marqué près d’un demi-siècle de l’histoire et de la vie de son pays, un modèle de courage politique et moral et de fidélité aux valeurs humanistes de notre continent. »
Outre-atlantique, Barack Obama, président d’un pays pour lequel Václav Havel avait plus qu’une petite faiblesse, faiblesse qui était toutefois réciproque, a salué sa « résistance pacifique » face aux idéologies répressives. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a, elle, parlé d’un homme qui « (l)’inspirait » et dont elle était « fière de pouvoir dire que c’était un ami ».
Les réactions ont été trop nombreuses pour pouvoir toutes être citées. Il en a été de même en République tchèque, avec d’abord l’actuel président de la République, Václav Klaus, qui, même s’il ne peut pas affirmer, à la différence des Clinton, avoir été un ami de Václav Havel, a néanmoins été l’un des premiers, en début d’après-midi, à rendre hommage à son prédécesseur au Château de Prague dans une allocution prononcée en direct à la Télévision publique tchèque. Václav Klaus :
« Même si nous étions au courant de la gravité de son état de santé, cette information est pour nous quelque chose que nous n’osions pas admettre. Václav Havel était devenu le symbole de l’Etat tchèque moderne. Il a concouru à la naissance de celui-ci tant par sa lutte intrépide contre le totalitarisme communiste qu’en ayant été le leader de la révolution de velours puis le premier président de notre pays redevenu libre. Sa personnalité, son nom et son œuvre ont grandement contribué à ce que la République tchèque intègre rapidement la communauté des pays libres et démocratiques. »Un peu avant Václav Klaus, le Premier ministre, Petr Nečas, présent sur le plateau de la Télévision tchèque pour débattre de la crise de la zone euro, avait été le premier responsable politique tchèque à réagir :
« A de nombreux égards, il était en quelque sorte le visage de la République tchèque. Dans les années 1990, Václav Havel a été le symbole, je dirais même une marque, dans le bon sens du terme, de notre pays à l’étranger. Il a incontestablement été la personnalité politique tchèque la plus marquante de ces vingt-cinq dernières années. C’est grâce à lui, grâce à ses opinions, ses paroles, que le poids de la République tchèque sur la scène internationale était plus important que ce qu’il aurait dû être pour un petit pays d’Europe centrale avec 10 millions d’habitants. »Bien entendu, le monde politique n’a pas été le seul à réagir, la vie et l’œuvre de Václav Havel possédant une dimension autrement plus spirituelle. L’archevêque de Prague, Dominik Duka, était un ami et un proche confident de Havel. En 1981, les chemins des deux hommes s’étaient croisés dans une prison de Plzeň, comme s’en souvient Dominik Duka :
« J’ai fait sa connaissance là où on reconnaît véritablement la valeur d’un homme, lorsque vous n’avez que quelques mètres à disposition et une fenêtre à barreaux. Je peux dire que c’était un homme timide, extrêmement sensible et pourtant immensément courageux, un homme qui savait qu’il répondait de sa conscience. Et lorsqu’il se demandait ce qu’est sa propre conscience, sa réflexion aboutissait toujours à la question de l’existence de Dieu. Nous avons souvent discuté de cette question, c’était le débat de toute notre vie, avec, j’en suis convaincu, une conclusion heureuse, et maintenant il sait mieux que moi qui est Dieu. »Le prédicant de l’Unité des frères, église protestante évangélique, Pavel Černý, retient, lui aussi, d’abord cette dimension spirituelle et humaniste du personnage Havel :
« Je garderai de Václav Havel le souvenir d’un homme de caractère qui avait le sens de la vérité. Mais surtout, il ne faut pas oublier que c’est lui qui, durant la révolution de velours, a empêché un lynchage général et un règlement de comptes personnels. Il nous a alors guidé vers la réconciliation et la paix. »Homme d’Etat, mais aussi donc homme de valeurs, et d’abord homme de la Morale, pour beaucoup, Václav Havel restera une des grandes personnalités qui ont fait l’histoire de la seconde moitié mouvementée du XXe siècle. L’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Madeleine Albright, née à Prague de parents juifs en 1937, fait partie de ceux-là :
« Je le rangerais assurément aux côtés de Tomáš Garrigue Masaryk (premier président de la Tchécoslovaquie indépendante), mais aussi d’autres encore. Je pense que Václav Havel a vraiment été comme un personnage miraculeux de l’histoire tchécoslovaque et tchèque. Il ressemblait beaucoup à Masaryk dans le sens où il pensait d’abord aux intérêts de la nation tchèque, à ce qui était le mieux pour elle et pour la démocratie. Il voyait aussi les nécessités humanistes. Il faisait partie des plus grandes personnalités de son époque, il a mis en lumière la question morale sur la manière dont les Tchèques doivent se comporter et la dignité de la Tchécoslovaquie. »
Pourtant, il existe peut-être un endroit dans le monde où Václav Havel n’a pas été unanimement encensé dimanche : la Slovaquie voisine. Ancien Premier ministre de la Slovaquie à l’époque de la fédération tchécoslovaque au début des années 1990, Ján Čarnogurský explique pourquoi depuis Bratislava :
« Il faut dire que Václav Havel ne comprenait pas bien la question slovaque. Sa position pendant la guerre dite du trait d’union, conflit qui opposait les représentants tchèques et slovaques au sein des instances fédérales au sujet du nom officiel et du nom courant de la Tchécoslovaquie au début des années 1990, prouve qu’il ne s’orientait pas toujours aussi bien en politique en tant que telle qu’en politique apolitique. »
Malgré une certaine retenue, donc, le temps s’est néanmoins arrêté l’espace d’un instant dimanche midi à Bratislava et dans le reste de la Slovaquie. Plus au nord, en Pologne, où Václav Havel était au contraire particulièrement apprécié, ce fut également le cas, comme le souligne le chef historique du syndicat Solidarité, Lech Walesa :
« J’aimais beaucoup discuter avec lui car il avait la faculté de trouver rapidement une solution aux problèmes. C’était un grand théoricien et il est très rare de rencontrer de telles personnes. Je l’appréciais et l’admirais énormément, comme beaucoup de Polonais. Notre lutte commune pour la libération du joug communiste l’a certainement rapproché des Polonais. Nous avions des rêves similaires et nous sommes finalement parvenus à vaincre. Václav Havel souhaitait le meilleur à la Pologne et c’est pourquoi sa mort nous fait tellement souffrir. »