Václav Havel à Bruxelles : « Nous sommes dans le même bateau et il va dans la bonne direction »
Dans l’histoire moderne de l’Europe, on ne trouve qu’une poignée de personnalités dont les idées sont régulièrement reprises par les dirigeants de l’Union européenne. Parmi eux, on citera non seulement les pères de l’intégration européenne Robert Schuman et Jean Monnet, mais également le dernier président tchécoslovaque et premier président tchèque Václav Havel. En effet, il a laissé une empreinte indélébile à Bruxelles, et c’est de celle-ci que nous allons parler dans ce premier épisode de notre série consacrée aux traces des Tchèques en Europe et préparée à l’occasion des élections européennes de juin 2024. Notre invité est Viktor Daněk, le directeur adjoint de l’Institut pour la politique européenne EUROPEUM et ancien correspondant de la Radio tchèque à Bruxelles.
En quoi Václav Havel est-il toujours source d’inspiration pour les hommes et femmes politiques européens, et ce même près de treize ans après sa mort ?
Viktor Daněk : « L’Union européenne a réuni des États qui avaient été divisés par le rideau de fer pendant plusieurs décennies. Václav Havel, tout comme Lech Wałęsa, fait partie des symboles sur lesquels repose cette unité européenne. Les politiciens européens ont pris l’habitude de se référer à eux en diverses occasions importantes – et je dirais que c’est une bonne habitude. Roberta Metsola, par exemple, les a cités dans le discours qu’elle a prononcé après son élection à la présidence du Parlement européen, début 2022. »
Roberta Metsola : « Ma génération ne voit pas de vieille ni de nouvelle Europe. Nous sommes les premiers de la génération Erasmus et les derniers de la génération Havel et Wałęsa. Nous comprenons que l’égalité et l’opportunité transforment les différences en ressemblances. »
Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, cite, elle aussi, Václav Havel relativement souvent. Dans l’un de ses Discours sur l’état de l’Union, évoquant les fondements de valeurs communs, elle a réfléchi aux raisons pour lesquelles les peuples de l’ancien bloc de l’Est s’étaient battus pour la chute du rideau de fer.
Ursula von der Leyen : « Ils ne voulaient plus être espionnés par leurs gouvernements. Ils voulaient lutter contre la corruption. Et ils voulaient la liberté d’être différents de la majorité. Ou, comme l’avait dit on ne peut plus clairement l’ancien président tchèque Václav Havel, ils voulaient toutes ces ‘grandes valeurs européennes’. »
La République tchèque n’est entrée dans l’Union européenne qu’après la fin des deux mandats présidentiels de Václav Havel. Pourtant, aujourd’hui encore, Havel reste le président tchèque qui s’est le plus souvent exprimé au Parlement européen. Quelles sont les idées qu’il y a exposées aux députés européens ?
V. D. : « Il s’est rendu au Parlement européen dès 1994, alors qu’il était le président de la République tchèque. À l’époque, il avait notamment plaidé devant les députés européens pour qu’ils soutiennent le processus d’élargissement de l’UE. Mais il s’était également arrêté sur le traité de Maastricht, à l’époque relativement récent. A juste titre, Václav Havel avait fait remarquer que ce texte était trop technocratique, un peu comme une machine sophistiquée à laquelle il manque toutefois une âme. »
Václav Havel : « En dépit de l’importance historique de ce document, la lecture du traité de Maastricht aura peine à gagner des partisans véritablement passionnés par l’UE ou bien des patriotes – dans le sens de personnes voyant dans cet organisme leur véritable patrie, leur chez-soi, ou bien l’une des couches composant leur chez-soi. Pour que cette grande œuvre administrative – qui devrait de toute évidence faciliter la vie de tous les Européens – puisse véritablement perdurer et résister aux épreuves du temps les plus diverses, alors elle doit être cimentée de façon plus évidente, au moyen d’autre chose qu’une simple structure de règles et de normes. »
V. D. : « Lors de sa deuxième apparition au Parlement européen, en 2000, le discours de Václav Havel se veut intemporel. Le président s’y interroge sur ce qui constitue l’identité européenne et propose une série de changements institutionnels qui rapprocheraient l’UE de ses citoyens. L’adoption d’une Constitution européenne, par exemple, une ‘constitution avec laquelle tous les enfants en Europe pourraient aisément se familiariser à l’école’.»
Václav Havel : « L’existence d’une telle loi fondamentale ne serait bien évidemment pas automatiquement synonyme de transformation radicale de l’actuelle union d’Etats en un grand super-Etat fédéral, comme le craignent les eurosceptiques, mais cela signifierait seulement que les habitants d’une Europe en voie d’unification pourraient voir plus clairement ce qu’est l’Union européenne, qu’ils pourraient mieux la comprendre et qu’ils pourraient mieux s’y identifier. »
V. D. : « Václav Havel a ainsi inspiré la tentative de Constitution européenne, qui s’est par la suite avérée infructueuse. Son discours prononcé à l’occasion du vingtième anniversaire de la chute du rideau de fer était tout aussi intemporel :
‘Nous sommes dans le même bateau, et celui-ci va dans la bonne direction. Il gardera le cap tant que tous les passagers en partageront la responsabilité et qu’ils ne joueront pas chacun pour soi, chacun de son côté’
a déclaré Václav Havel en 2009, donc six ans après la fin de son dernier mandat présidentiel et deux ans avant sa mort. Ainsi, nombre des idées exprimées par Václav Havel dans ses discours sont toujours d’actualité. Cela dit, le plus célèbre de ses discours européens – dont le titre, « L’Europe comme mission », a été repris comme devise par la présidence tchèque de l’UE en 2022 – n’a pas été prononcé au Parlement européen, mais à Aix-la-Chapelle, lors de la remise du prix international Charlemagne, en 1996. »
L’un des bâtiments du Parlement européen à Strasbourg a été nommé en l’honneur de Václav Havel. Il s’agit du plus récent des bâtiments de l’institution, inauguré en 2017 en présence d’Antonio Tajani, qui en était alors président, et de Dagmar Havlová, la veuve de Václav Havel. À quoi ressemble cet édifice, devant lequel se trouve également une statue en bronze de l’ancien président tchèque ?
V. D. : « Il ne s’agit nullement d’un palais, mais seulement d’un immeuble de bureaux et de salles de réunion ordinaire. L’une de ces salles est décorée d’une copie tissée à la main de la célèbre tapisserie réalisée par l’artiste Petr Sís en l’honneur de Václav Havel, et dont l’original se trouve à l’aéroport de Prague. Un certain nombre de photographies y illustrent également la vie de Václav Havel. Ce bâtiment se trouve un peu à l’écart des autres dans l’enceinte du Parlement européen. Il n’en est pas moins apprécié par les députés et fonctionnaires – et ce pour une raison qui ferait sans doute sourire Václav Havel : c’est le seul bâtiment à disposer d’une terrasse, idéale pour fumer une cigarette, prendre l’air ou – sait-on jamais – réfléchir au sens du projet européen... »
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