Le mouvement hussite en musique: les héros et les anti-héros

„Wer sind die Gotteskrieger“

La grande figure de Jan Hus et les guerres hussites, qui ont éclaté après la mort au bûcher de ce réformateur de l'Eglise, ont inspiré de nombreux artistes qui considéraient cette période comme un chapitre glorieux de l'histoire tchèque. Ils faut dire cependant que pour les artistes tchèques, déjà au XIXe siècle, cette période héroïque était non seulement un sujet digne de glorification mais aussi une occasion pour comparer l'héroïsme des hussites à la médiocrité de leurs contemporains.

Vaclav Brozik : Jan Hus
En littérature cette inspiration a donné, par exemple, les grands romans historiques de l'écrivain Alois Jirasek, en peinture elle a inspiré des toiles monumentales du peintre Vaclav Brozik. En musique ce thème a été exploité surtout par Bedrich Smetana. Dans son cycle Ma patrie on trouve le poème symphonique "Tabor" qui évoque le temps des hussites, leurs idées sur une société nouvelle et juste réalisée dans la ville de Tabor en Bohême du sud. Comme le symbole musical de ces idées, Smetana a choisi le choral hussite Kdoz su bozi bojovnici, " Vous qui êtes les combattants de Dieu" qui revient fréquemment dans cette oeuvre avec une intensité obsédante pour déboucher, dans le dernier poème symphonique du cycle, "Blanik", sur une sorte d'apothéose du peuple tchèque ressuscité. Smetana a donné lui-même des explications sur son oeuvre:

Vous qui êtes les combattants de Dieu
"Devise: Vous qui êtes les combattants de Dieu, écrit-il. Ce chant majestueux constitue la base unique de l'oeuvre. Au siège central des hussites à Tabor, ce choral fut chanté sans doute le plus souvent et avec la plus grande ferveur. L'oeuvre décrit également la ferme volonté, les combats victorieux, la constance, l'assiduité, la ténacité et l'intransigeance par laquelle elle s'achève. On ne peut pas la disséquer en détails, car elle glorifie d'une manière générale les combats livrés par les hussites et la fermeté de leur caractère."

Le thème hussite réapparaît d'une façon étonnante dans l'oeuvre de Leos Janacek. Le compositeur s'est inspiré par les aventures de Matej Broucek, héros de trois contes du poète tchèque du XIXe siècle, Svatopluk Cech. Dans un de ces contes, l'auteur confronte la mentalité d'un petit bourgeois de son temps à l'héroïsme et la générosité des ancêtres hussites qui ont su résister, au début du XVe siècle, aux armées venues de toute l'Europe.

Matej Broucek est un bon Pragois, propriétaire honnête d'une maison dans la Vieille Ville de Prague qui a un grand faible pour la bière et la bonne chaire. Après une soirée abondamment arrosée par la bière, il tombe dans une curieuse léthargie, passe la nuit dans la cour d'une taverne pragoise et se retrouve, en rêve, tout à coup dans la capitale de Bohême au Moyen Age à la veille de la grande bataille entre les hussites et l'empereur Sigismond. Monsieur Broucek ne veut pas s'engager dans ce combat pour la vérité, le conflit entre Sigismond et les hussites lui est tout à fait indifférent et il cherche surtout à sauver sa peau. "Je n'ai rien à faire de Sigismond, si vous avez quelque chose contre lui, réglez vous même votre problème et laissez en paix un homme qui n'a rien à voir avec cette affaire." Obligé par les Pragois de participer à la bataille de Vitkov, Broucek s'enfuit et cherche à se cacher dans la ville, mais il est pris dans la rue par des soldats revenant de Vitkov. Comme il croit qu'il s'agit de mercenaires victorieux de Sigismond, il crie: "Grâce, je suis Allemand, je suis catholique". Hélas il ne s'aperçoit que trop tard de sa méprise fatale, car il est tombé entre les mains des hussites qui viennent de gagner la bataille de Vitkov. Considéré comme traître, il est condamné par le chef des hussites, Jan Zizka, à être brûlé dans un tonneau. Cherchant en vain à se défendre, il tente d'expliquer qu'il vient du XIXe siècle, qu'il n'est en réalité que l'arrière-arrière-petit-fils de ceux qui s'apprêtent à le tuer. Mais Zizka, implacable, confirme le verdict en déclarant: "Cela n'arrivera jamais que nous ayons de tels descendants." Heureusement, au moment où la foule acharnée hisse M. Boucek au bûcher, il se réveille dans la cour de sa taverne pragoise. Il a passé la nuit dans un tonneau ...

Le poète Svatopluk Cech était très sévère avec son héros qui incarnait pour lui la médiocrité, la nullité satisfaite et la lâcheté de ses contemporains. Janacek, homme passionné, voyait dans ce anti-héros et ceux qui lui ressemblaient la cause de nombreux maux du peuple tchèque. "Dans mon oeuvre, je me proposais de remplir tout le monde de dégoût à l'égard de pareils gens, a-t-il écrit. A la première rencontre, nous devrions les détruire, les étrangler, mais avant tout nous devrions détruire un tel caractère en nous mêmes afin de pouvoir renaître dans la pureté céleste de nos martyres nationaux."

Matej Broucek se situe donc aux antipodes des grandes figures de l'histoire nationale, des grands martyres dont Jan Hus. Aujourd'hui, nous sommes cependant beaucoup plus indulgents vis-à-vis de cet anti-héros, parce que nous nous rendons compte, Janacek ne s'y trompait pas, que nous avons tous quelque chose en commun avec ce petit bourgeois bon vivant, satisfait de lui-même et tellement convaincu de la justesse de son raisonnement.