Le numéro « belge » de la revue Tvar
La littérature belge, de langue française comme de langue néerlandaise, est mal connue en République tchèque. Pour combler cette lacune dans les connaissances du lecteur tchèque, la revue littéraire Tvar a publié récemment un numéro spécial consacré à la littérature belge francophone. La préparation de cette édition et le choix des textes ont été confiés au traducteur Michal Škrabal, membre de la rédaction de la revue. C'est lui qui a présenté ce numéro spécial au micro de Radio Prague.
Une revue littéraire ouverte sur le monde
La liste des périodiques littéraires qui sortent plus ou moins régulièrement en République tchèque compte trente-neuf titres. Michal Škrabal a d’abord évoqué la position de la revue Tvar sur la scène littéraire tchèque :« Le bimensuel Tvar existe depuis 1990 et, actuellement, c’est le périodique littéraire tchèque qui sort le plus fréquemment. Il est consacré surtout à la littérature tchèque, à sa critique et à son histoire, mais il reflète aussi la situation dans d’autres domaines de la culture et des sciences humaines. Tvar n’oublie pas non plus de présenter des extraits d’œuvres littéraires étrangères et, de temps en temps, consacre un numéro spécial à une littérature étrangère, ce qui est le cas du numéro sur la littérature de la Belgique francophone que nous pourrions appeler ‘numéro wallon’. »
Cette fois, il s’agit donc de la littérature belge francophone car, faute de place, il serait bien difficile de présenter parallèlement la littérature flamande dans un seul et même numéro. Mais, selon Michal Škrabal, la revue envisage de présenter à l’avenir également la littérature de la Belgique flamande ainsi que celle des Pays-Bas.
Michal Škrabal ne se considère pas comme un spécialiste de la littérature belge. En préparant ce numéro spécial, il s’est rendu compte qu’il n’existait que peu de contacts entre les milieux littéraires tchèque et belge. Il espère cependant que le numéro belge de Tvar constituera une prise de contact, un médiateur entre les littératures tchèque et belge francophone :
« Je me suis adressé aux personnes qui s’occupent de la littérature belge francophone et ils ont choisi surtout des auteurs qui ne sont pas connus en République tchèque et dont les œuvres n’ont pas encore été traduites et publiées chez nous. C’est le cas par exemple de Patrick Roegiers, dont le livre ‘Le Mal du pays - Autobiographie de la Belgique’, dont nous publions un extrait, constitue, à mon avis, un accès idéal à la littérature et la culture belges sous forme d’articles encyclopédiques. C’est une prose écrite d’une façon très originale. Nous publions également un extrait du livre autobiographique de l’écrivain et psychanalyste Patrick Declerck ‘Démons me turlupinant’. La traduction tchèque de cet ouvrage doit sortir dans son intégralité cette année aux éditions Dauphin. En Tchéquie, c’est donc un auteur encore inconnu. »
Dans la revue figurent cependant aussi des auteurs que le public tchèque connaît déjà, parmi lesquels le célèbre prosateur et dramaturge Michel de Ghelderode, dont la pièce « Mademoiselle Jaïre » est actuellement au répertoire du théâtre pragois V Dlouhé. La revue a envoyé deux de ses collaborateurs au théâtre. Elle publie leurs critiques de la pièce et présente au lecteur une confrontation intéressante de leurs points de vue sur cette production.
Figure de proue du surréalisme belge
Le lecteur de la revue trouve également quelques textes de Paul Nougé dans ce numéro spécial. Plusieurs poèmes de cet instigateur et théoricien du surréalisme en Belgique sont accompagnés d'un commentaire évoquant les activités de l’auteur qui a vécu entre 1895 et 1967 et a fini par devenir la figure de proue d’un surréalisme belge se situant entre l'expérimentation artistique et la tentation révolutionnaire. Michal Škrabal ajoute néanmoins que des textes plus récents ne manquent pas non plus dans le choix littéraire du numéro « belge » de la revue :
« Nous avons même osé publier un texte d'un rappeur belge d'origine rwandaise qui a adopté le pseudonyme de 'Stromae'. Nous avons traduit, ou plutôt avons essayé de traduire, son texte intitulé 'Bâtard'. Il demande par exemple : 'Mais t'est Hutu ou Tutsi ? Wallon ou Flamand ?', et ainsi il reflète à sa façon la coexistence problématique de ces deux ethnies. »
Les regrets de la cinéaste Eva Houdová
Michal Škrabal désirait également donner la parole à des Tchèques qui ont trouvé une nouvelle patrie en Belgique. C’est pourquoi il publie dans le cadre du numéro belge de la revue un entretien avec Eva Houdová, une cinéaste tchèque qui vit à Bruxelles depuis les années 1970. Auteur d’une dizaine de films documentaires qui ont été diffusés, certains à plusieurs reprises, par la télévision belge, Eva Houdová répond aux questions posées par son amie écrivaine et journaliste Ladislava Château. Eva Houdová évoque son émigration et sa vie en Belgique, tout comme sa création cinématographique. Ladislava Château remarque en marge de cet entretien :
« Eva Houdová s’est installée d’abord à Paris puis à Bruxelles, où elle vit actuellement. Elle enseigne aussi à l’Ecole supérieure cinématographique. Au début, cela n’a pas été tout à fait facile pour elle. Elle a commencé ses études cinématographiques avant de se marier. Son mari a travaillé à la télévision. Elle s’est donc installée dans la vie professionnelle et personnelle en Belgique mais, si je m’en tiens à ce qu’elle m’a dit, son foyer n’est pas là-bas. Eva sent toujours un certain clivage entre sa nouvelle patrie et la Tchéquie. Mais je crois que ce qui est encore plus difficile pour elle, c’est qu’aucun de ses films n’a été présenté à la télévision tchèque. Elle est un peu déçue par sa collaboration avec les Tchèques. Ses films sont toujours refusés chez nous, et ce malgré le fait qu’elle a reçu quelques prix cinématographiques. Je ne sais pas, c’est peut-être pour des raisons financières, mais toujours est-il qu’aucun de ses films n’a encore jamais été diffusé chez nous. ».Tvar prépare d’autres numéros spéciaux
Michal Škrabal promet que ce numéro consacré à une littérature étrangère ne sera pas le dernier. Bien que la revue Tvar soit orientée surtout sur la littérature tchèque, elle ne peut pas rester imperméable à la production littéraire du monde et envisage donc de publier un numéro spécial de ce genre au moins une fois par an. Ceci dit, un prochain numéro spécial pourrait déjà être publié dans le courant de la seconde moitié de cette année. La décision définitive n'a pas encore été prise, mais il s'agira peut-être de la littérature néerlandaise. Selon Michal Škrabal, c'est là une façon d'ouvrir une fenêtre sur le monde au lecteur tchèque et de le faire réfléchir sur les littératures d'autres peuples :
« Nous avons intentionnellement renoncé à publier dans ce numéro une étude générale de la littérature belge. Nous ne voulions pas influencer le lecteur et lui servir des idées préconçues sur un plateau d'argent, parce que nous ne voulions pas le sous-estimer et désirions qu'il se fasse lui-même une idée sur la littérature belge francophone. Je pense immodestement que les textes présentés dans ce numéro sont suffisamment variés et intéressants. C'est un pêle-mêle dans le meilleur sens du terme. Le lecteur doit tirer ses conclusions lui-même, nous ne voulons pas lui faciliter la tâche. Je dois avouer que je connais très mal les auteurs belges. Cela s'est amélioré quelque peu mais ce n'est toujours pas brillant. D’un point de vue personnel, la préparation de ce numéro a été très édifiante, très intéressante, très enrichissante. (...) Pour terminer, je tiens encore à remercier le Bureau Wallonie-Bruxelles à Prague, qui a soutenu financièrement le numéro belge de notre revue, et notamment madame Veronika Kleplová pour son amabilité et de son dévouement. »