Le Petit Nicolas, de Laurent Tirard : se remettre à hauteur d’enfant
Le 12e Festival du Film Français s’est achevé mercredi. Parmi les nombreux invités cette année : le réalisateur Laurent Tirard qui venait présenter son dernier film, une adaptation du célèbre Petit Nicolas. Le Petit Nicolas fait partie de ces héros français connus des Tchèques puisque les livres ont été traduits et publiés en Tchécoslovaquie dès les années 1970. Comédie familiale, le film sortira donc sur les écrans tchèques en version doublée le 10 décembre prochain.
« C’est un livre que je lisais autrefois. Mais ce qui est drôle, c’est que l’idée n’est pas venue de moi, alors qu’en général ce genre de projet, c’est quelque chose qu’on porte en soi depuis longtemps... Un jour ce sont mes producteurs qui m’ont appelé et m’ont dit : ‘on a eu une idée, on pense que tu devrais adapter le Petit Nicolas’. Quand ils m’en ont parlé, je me suis dit : ‘mais oui, bien sûr !’ »
... ‘comment n’y ai-je pas pensé avant ?’« Comment n’y ai-je pas pensé avant ? D’abord le projet en lui-même était excitant. Mais surtout, j’avais le sentiment, intuitivement, que ça me correspondait. On m’aurait proposé, disons, Tintin, j’aurais dit non. Mais là, j’ai l’impression que tout de suite, j’ai vu dans ma tête à quoi pouvait ressembler le film. A partir de là j’ai foncé. »
Est-ce qu’il faut une âme d’enfant pour tourner le Petit Nicolas ?
« Je ne sais pas s’il faut une âme d’enfant, mais en tout cas, il faut pouvoir se reconnecter avec son âme d’enfant, redevenir un enfant. Clairement, ce qui fait la force du Petit Nicolas, c’est que Goscinny écrit en se remettant à hauteur d’enfant. C’est fou, on voit très bien que c’est un adulte qui a écrit, mais on retrouve cette musique de l’enfance, on a l’impression que c’est vu par les yeux d’un enfant. Pour faire le film, il faut faire la même chose. Autant quand je fais un film habituellement, j’essaye de faire le film que j’ai envie de voir, mais là je pense qu’il fallait que je fasse le film que j’aurais eu envie de voir enfant. Donc c’est vraiment se remettre à hauteur d’enfant, pour tout : pour l’écriture, pour la direction d’acteurs, pour les cadres... »Vous parlez de la direction d’acteurs. Ce sont de jeunes acteurs. Comment se déroule un tel casting pour choisir des personnalités pour représenter ces différents personnages qu’on connaît tous autour du Petit Nicolas : Agnan, Clotaire etc. On doit voir des dizaines et des dizaines d’enfants...
« J’en ai vu des centaines ! 800 en tout. L’enjeu était gros : les gens avaient lu le Petit Nicolas, tout le monde avait une idée à quoi ça pouvait ressembler, le film reposait sur les épaules des enfants, il fallait donc qu’ils soient très bons. En plus je voulais des enfants qui n’aient jamais joué. J’avais vu des enfants acteurs mais je ne les trouvais pas très naturels. Je pensais qu’ils devaient avoir cette innocence, cette spontanéité, ce naturel. Mais pour trouver des enfants qui n’aient jamais joué et qui soient bons, il faut en voir beaucoup. Il y a une première chose qui frappe quand ils rentrent dans la pièce : est-ce qu’ils ont une personnalité intéressante ou pas ? Ensuite ils avaient un texte à apprendre. Ce sont des enfants, donc ils font comme à l’école, ils récitent par cœur, ils ânonnent. Alors vous leur demandez de dire leur texte comme dans la vie réelle. Là, il y en a 90% qui ne peuvent pas. Et puis il y en a 10% qui sont intéressants. Mais il y a toujours une part de pari avec les enfants. Ce n’est pas parce qu’ils sont bons au moment du casting qu’ils seront bons au moment du tournage. Un enfant peut être complètement pétrifié par une équipe de tournage. Même ceux-là, quand ils se sont retrouvé le premier jour sur le plateau, ils faisaient moins les malins. On aurait pu avoir de mauvaises surprises... »Vous avez eu de mauvaises surprises ?
« Non, mais on les a beaucoup fait travailler avant. C’est vrai qu’avec les enfants on peut faire le choix de la spontanéité totale, mais dans un film comme le Petit Nicolas ce n’est pas possible car les dialogues sont très écrits. En plus je voulais qu’ils parlent d’une façon bien spécifique comme dans les films des années 1950, ce qui n’est pas du tout naturel. C’est quelque chose de très droit, très dynamique où on envoie les phrases. Ça voulait dire beaucoup de travail en amont. J’ai donc pu me rendre compte assez tôt s’ils allaient tenir le coup ou pas. »Vous dites les avoir fait jouer comme dans les années 1950. Or il y a une scène qui frappe, celle où ils se retrouvent dans un terrain vague avec derrière, des immeubles en construction. Ça évoque Mon oncle de Jacques Tati.
« Bien sûr ! Pour moi c’était la référence. Il y a bien sûr plusieurs films qui m’ont inspiré, mais la référence, c’était Mon oncle. A la fois visuellement, mais aussi dans le charme. Il y avait cette chose que je voulais avoir dans le film : cette France à la fois dans le fantasme de la modernité – on est dans l’après-guerre et on voit bien qu’ils ont envie de devenir comme les Américains, et en même temps ils restent foncièrement français, sont très maladroits face à cette modernité. Je trouvais ça très touchant et je voulais que le film soit comme ça. C’était à tel point que je voulais le même terrain vague que dans Mon oncle ! Et le terrain vague où on a tourné en Belgique était super, mais j’ai fait rajouter les immeubles en post-production. Dans Mon oncle, c’est ça qui me plaît : il y a la ville traditionnelle et la ville moderne qui sort de terre. Je voulais qu’il y ait ça dans le film. »Vous avez travaillé avec Anne Goscinny qui a été conseillère sur le tournage. Comment ça s’est passé ? Au départ elle ne voulait pas vendre les droits du Petit Nicolas...
« C’est Anne qui gère les droits du Petit Nicolas. Effectivement, quand je l’ai rencontrée, elle m’a dit qu’elle avait refusé beaucoup de propositions, principalement parce qu’à chaque fois on lui proposait de l’argent, mais personne ne lui proposait une vision artistique du projet. J’ai compris en parlant avec elle combien le Petit Nicolas était un projet très personnel de son père et qu’elle prenait soin du Petit Nicolas comme si c’était un enfant. Autant Astérix pouvait vivre sa vie sur grand écran, tout comme Lucky Luke. Mais le Petit Nicolas il fallait en prendre soin. Elle ne voulait pas le confier à n’importe qui. On a beaucoup parlé, je suis revenu la voir deux mois plus tard avec une histoire, cette histoire qui n’était pas dans le Petit Nicolas, autour de la peur de l’abandon. Ça lui a beaucoup plu. Ensuite, Anne a eu un contrôle assez actif sur le scénario.
Pas sur le tournage. Mais toutes les étapes d’écriture ont été suivies minutieusement par Anne. Il y a eu des débats qu’on a perdu parfois et gagné d’autres fois. Par exemple, il y avait des interdits : pas de gros mots dans le Petit Nicolas. Après, elle est passée deux trois fois sur le tournage, mais surtout pour se faire plaisir. »Et Jean-Jacques Sempé, le dessinateur ?
« Il a dit d’entrée de jeu qu’il ne voulait pas participer. Il était d’accord pour vendre ses droits. Mais il pensait foncièrement que ce n’était pas une bonne idée de faire un film sur le Petit Nicolas. Mais je le comprends, de son point de vue de dessinateur et d’auteur, il pensait que ce serait forcément une trahison. »
Il était content du résultat ?
« En revanche, quand on lui a montré le film, il a eu cette phrase pleine d’humour : ‘je ne sais pas comment vous allez le prendre, mais c’est beaucoup mieux que ce que j’avais imaginé’. Je crois qu’il se préparait au pire, et d’une certaine façon je le comprends ! »
Le Petit Nicolas est publié dans le monde entier. Ici, en République tchèque, il est publié depuis les année 1970, les gens le connaissent sous le nom de Malý Mikuláš. C’est donc un personnage familier pour les Tchèques. Comment expliquez-vous ce succès du Petit Nicolas ? C’est son universalité ? Tout le monde peut se retrouver dans cet écolier malicieux ?
« Oui. Déjà, ça a été écrit dans les années 1950. Mais Sempé et Goscinny disaient que déjà dans les années 1950 c’était démodé. Parce qu’eux, ils s’étaient basé sur leurs souvenirs d’enfance des années 1930. On voit bien qu’il y a un côté complètement atemporel. Je l’ai montré dans des tas d’écoles, je l’ai montré parfois dans des banlieues défavorisées où ça n’a rien à voir. Les enfants étaient fascinés, en fait ils se retrouvaient dans les personnages du film, alors qu’à l’écran ce sont des écoliers en culotte courte et avec des petites cravates. On voit bien que le décor n’est pas important. Moi je pensais de toutes les façons que ça aurait été un erreur fondamentale de l’adapter de nos jours.
Pour moi le Petit Nicolas, ce n’est pas la réalité, mais un conte. Comme dans un conte il faut dire : ‘il était une fois’, mettre un décor fictif et des costumes, pour qu’on l’accepte comme un conte. On voit que ça fonctionne puisque toutes les générations lisent le Petit Nicolas. Après il faut évidemment de bonnes traductions, mais dans d’autres pays c’est pareil. »Avez-vous un projet de film en cours ?
« J’ai plein de projets. Le prochain c’est un film anglais que normalement, je devrais tourner l’an prochain en Angleterre. Le scénario est déjà écrit. Ce sera un film en anglais avec des acteurs anglais, que je n’ai pas écrit. C’est un scénario sur lequel je suis tombé il y a un an et que j’adore. C’est très différent. C’est une comédie noire, très anglaise, avec des histoires de meurtre, de sexe. Mais pas pour les enfants cette fois ! Interdit au moins de 16 ans ! »