Le petit soulier des champs
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Aujourd’hui, c’est de plantes que nous allons parler et de leurs noms qui ne cessent de nous étonner…
Il y a les fleurs dont le drôle de nom est le même qu’en français. Ainsi, le perce-neige se dit sněženka podsněžník, sněžit signifiant neiger et sníhétant la neige, sněženka serait donc la « neigeuse » et podsněžník « sous la neige ». De même, les clochettes bien connues de nos bois sont désignées exactement de la même manière en tchèque : zvonek, zvonétant la cloche, et le suffixe –ek un suffixe très courant permettant de créer un diminutif. C’est le cas également du saxifrage (du latin saxum - le rocher, et frangere - briser), cette petite fleur des montagnes connue pour sa capacité à s’installer dans les fissures des rochers. Son nom tchèque vient du verbe lomit - rompre, et du nom kámen - la pierre : on l’appelle donc lomikámen. Enfin, d’une façon moins évidente, l’origine du nom de la primevère se retrouve dans le tchèque prvosenka jarní, « prvo- » signifiant premier, « senka » rappelant le verbe planter – sadit –, la graine – semeno, et jarní signifiant printanier : on retrouve ainsi l’idée de la première fleur du printemps. Un détail intéressant cependant : le deuxième nom tchèque de la primevère est petrklíč, littéralement « la clef de Pierre », comme si la première fleur du printemps ouvrait la porte du paradis... Autre appellation poétique, c’est celle du myosotis – pomněnka, qui évoque l’idée du souvenir, vzpomenout si– se souvenir, pomník - le monument de commémoration, vzpomínka - le souvenir. Comme une fleur pour ne pas oublier les êtres chers... Il y a les plantes dont le nom rappelle leur goût ou leur odeur. Une des plus courantes est la moutarde, dont le nom tchèque, hořčice, évoque son amertume, de l’adjectif hořký - amer. C’est également le cas, par exemple, de la řeřicha : le cresson, en français. Le mot vient de l’ancien tchèque, žeřucha, basé sur une racine préslave « žer- » qui signifie âcre, brûlant, et rappelle la saveur piquante et aromatique du cresson. Enfin, le kopr - l’aneth, doit son nom slave à une racine indoeuropéenne, « kuep-, kuopro- », signifiant « qui a une odeur, qui sent mauvais » – tout est relatif, bien évidemment, et on n’est donc pas obligé d’être d’accord avec la racine indoeuropéenne! La signification originelle de ce mot présent dans de nombreuses langues slaves est d’autant plus étonnante que l’aneth est très utilisé dans la cuisine de la région, ne serait-ce que dans l’inoubliable sauce à l’aneth qui se marrie tellement bien avec le poisson... Poursuivons avec les plantes dont le nom rappelle plus ou moins fidèlement leur drôle de forme. A commencer par la cannelle - skořice. Son nom est une évocation fidèle de son origine, puisqu’il vient de la kůra - l’écorce de l’arbre, appelée en ancien slave skorica. En effet, la cannelle provient d’un bout d’écorce d’un arbre tropical, le cannelier de Ceylan ou de Saigon. Le clou de girofle - hřebíček, a inspiré les Slaves exactement comme les Latins, puisque hřebík veut exactement dire « clou » en tchèque. On raconte que le mot est très ancien et qu’il rappelle justement la forme des clous tels qu’ils étaient quand les artisans les fabriquaient à la main. Plus étonnant, le lamier, cette plante herbacée aux feuilles dentées et aux fleurs en verticille, est appelé hluchavka, ce qui rappelle l’adjectif hluchý - sourd, hluchavka signifiant alors quelque chose comme « sourdeuse », qui apparemment évoque sa légère forme d’oreille! Terminons enfin par notre favori : le střevičník pantoflíček, un nom tout droit sorti d’un conte de fée, une sorte d’évocation croisée de soulier et de petite pantoufle... pour qualifier une fleur de la famille des orchidées, le cypripedium. Les Tchèques n’ont pas l’exclusivité de la qualification charmante de cette fleur, puisqu’une de ses espèces s’appelle le sabot de Vénus en français. N’empêche, ces deux mots qui sonnent comme des diminutifs, střevičník évoquant le soulier et pantoflíček une pantoufle, nous évoquent comme des souliers de poupée ou les chaussons de bal de Cendrillon...
Et c’est sur cette image de fleur-soulier que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue », consacré aux appellations de plantes, amusantes ou poétiques. Dans une prochaine émission, nous nous attarderons sur le serpolet, dont le nom tchèque possède une origine très romantique… Nous n’en dirons pas plus pour l’instant, et il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter de vous porter du mieux possible – mějte se co nelíp !, de porter le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !