Tchèque du bout de la langue : donnez un peu de piquant à votre vie !

Koření

Quoi de plus fade qu’une alimentation – et une vie – sans sel ? Dès le XIXe siècle, l’écrivaine Božena Němcová donnait une leçon de morale avec son conte Sůl nad zlato, soulignant l’importance essentielle pour l’existence de cet ingrédient, contrairement aux métaux précieux. Mais n’oublions pas que pour relever le goût et l’arôme des plats, il n’y a pas que le sel dans la vie ! Petit tour du placard à épices et aromates des cuisines tchèques avec ce nouvel épisode du Tchèque du bout de la langue.

« Extraordinaires », les épices de cette chanson pour enfants sont « les amies » de la chanteuse : il y a donc Rolande la coriandre, Justin le cumin, Cédrika le paprika et Ulric le basilic, entre autres. Il y en a de toutes les couleurs, et pour tous les goûts !

Sůl | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

En tchèque, le terme générique qui englobe tous ces produits est « koření », terme au sens large qui désigne les parties de certains végétaux frais ou séchés contenant des essences et ajoutées aux aliments pour leur saveur ou leur parfum. En français, on définirait donc « koření » en disant que c’est ce qui sert à assaisonner les mets. On distinguera trois espèces d’assaisonnement : les épices, tout d’abord (qui agissent sur les caractéristiques trigéminales – piquant, frais – et donnent du goût), mais aussi les aromates (qui donnent de l’odeur à un plat, et appartiennent en général au règne végétal) et enfin les condiments (qui relèvent la saveur des aliments, comme le sel, par exemple).

Kořenky | Photo: Monika,  Pixabay,  Pixabay License

Vous n’avez pas tout compris ? Réjouissez-vous ! En tchèque, c’est plus simple : épices, aromates ou condiments, tout est « koření » ! Avec une petite subtilité tout de même : si en théorie « koření » se décline au pluriel aussi, en pratique, il est plutôt utilisé au singulier, et ce même lorsque l’on entend par là plusieurs produits destinés à l’assaisonnement : « Kde je to koření? »« Où sont les assaisonnements ? » La réponse pouvant être « v kořenkách » – « dans les pots à assaisonnements ».

L’étagère à épices tchèque

Kmín | Photo: 12019,  Pixabay,  Pixabay License

Et donc, que trouverons-nous sur les étagères des cuisines tchèques ? Eh bien, « česnek » – de l’ail, bien évidemment, mais pas que ! Les habitués de la gastronomie d’Europe centrale connaissent très certainement aussi le « kmín » qui, comme son nom ne l’indique pas, est nommé « carvi » en français. Une épice qui, du point de vue gustatif, n’a d’ailleurs pas grand-chose à voir avec le cumin (« římský kmín », littéralement « cumin romain » en tchèque), même si les deux plantes font partie de la famille des apiacées, et que pour les non-initiés, l’aspect de leurs graines peut prêter à confusion… Pour ses propriétés stomachiques (= il évite les vents), le carvi est utilisé sans modération dans la cuisine tchèque, sous forme moulue ou en graines entières, aromatisant les trois éléments du classique trio gagnant viande-pommes de terre-chou, mais aussi parfumant le pain au blé et au seigle du quotidien. Et n’oublions pas que le carvi se présente également sous forme liquide : la « kmínka », l’eau-de-vie de carvi… aux vertus digestives elle aussi, sans aucun doute !

Paprika | Photo: Meszárcsek Gergely,  Pixabay,  Pixabay License

Pour donner un peu de couleur et une saveur âcre aux plats, et notamment à ceux en sauce, on y ajoute une bonne pincée de « paprika », qui peut être doux (« sladká paprika ») ou piquant (« pálivá paprika »), ce dernier – que l’on nomme piment en français – pouvant aller jusqu’à « pálit jako čert » – « piquer en diable ». Utilisé dans de nombreuses langues, le mot paprika vient du hongrois, ce qui n’a rien d’étonnant vu qu’il s’agit d’un ingrédient omniprésent dans la cuisine traditionnelle magyare. Précisons qu’en tchèque, le mot « paprika » au sens propre désigne aussi bien l’épice en poudre que le légume dont elle est issue, et que l’on appelle « poivron » en français. Au sens figuré, « paprika » désigne – allez savoir pourquoi – un homme plutôt âgé, pantouflard, à l’esprit incurieux… et, a priori, pas du genre à « okořenit vyprávění pikantními historkami » – à « assaisonner son propos d’histoires grivoises » et qui ne manquent pas de piquant…

Majoránka | Photo: Jana Káninská,  ČRo

Pour ce qui est des herbes aromatiques, le grand classique des recettes tchèques, c’est la « majoránka » – la marjolaine (à ne pas confondre avec la « marjánka », terme familièrement utilisé pour désigner le produit d’une tout autre plante : la marijuana). La marjolaine ne saurait manquer à la préparation des produits de charcuterie traditionnels ni des galettes de pomme de terre ou de tout autre plat riche en graisse – car cette plante a, elle aussi, des propriétés digestives. La « majoránka » peut également faire partie du « polévkové koření », mélange pour soupe composé d’herbes, d’épices et de légumes séchés et mixés dont la composition varie selon les marques (ou les maisons, pour ceux qui le préparent eux-mêmes). On y retrouve néanmoins presque systématiquement la feuille de laurier – « bobkový list », ainsi que la feuille de livèche – « libeček », une plante dont l’arôme et le goût rappellent le céleri, mais en plus puissant.

Autre mélange qui intéressera certainement nos auditeurs français expatriés qui ont le mal du pays : les herbes de Provence – « provensálské koření ». Oui oui, écrit avec un -s !

Provensálské koření | Photo: Veganbaking.net/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 2.0

Saveurs et arômes d’ailleurs

Badyán,  skořice,  hřebíček | Photo: PublicDomainPictures,  Pixabay,  Pixabay License

Côté pâtisserie, les recettes tchèques ont en général recours à des épices importées, le climat continental étant en effet peu propice à la culture du « badyán » (dont le nom vient du français « badiane », aussi appelée « anis étoilé ») ou du « hřebíček » (le clou de girofle, dont le nom tchèque veut dire « petit clou », car « hřebík » signifie clou), pas plus que du « muškátový oříšek » («  noix de muscade ») ni même de l’épice au très pragmatique nom de « nové koření » (littéralement « nouvelle épice », appelé en français piment de la Jamaïque ou encore poivre de la Jamaïque). Voilà de quoi « opepřit situaci » – « poivrer une situation », à savoir la pimenter ! Notons en passant que toutes ces épices sont les fruits de végétaux. La cannelle – « skořice », en revanche, est en fait l’écorce d’un arbre exotique appelé cannelier de Chine. D’ailleurs, le terme tchèque « skořice » serait dérivé du tchèque ancien « skora » signifiant « écorce » (« kůra » en tchèque moderne). Dans tous les cas, nous sommes bien loin du sens étymologique du mot « koření », dérivé du proto-slave « korenьje » signifiant « racine »… A l’exception peut-être du « zázvor » – le gingembre, dont c’est bien le rhizome réduit en poudre qu’on utilise, par exemple dans les « zázvorové sušenky » – les biscuits au gingembre !

Zázvor | Photo: Andrea,  Pixabay,  Pixabay License
Perníčky | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Et n’oublions pas que toutes les épices ici citées peuvent être associées, moulues et dans des proportions variables, dans un mélange appelé « perníkové koření » – épices à pain d’épices, dont est parfumée la pâte des « perníčky » – les petits biscuits en pain d’épices de la période de l’Avent et de Noël…

Šafrán | Photo: Johan Puisais,  Pixabay,  Pixabay License

Les épices et aromates ayant fait leur apparition plus récemment dans la cuisine tchèque voient leur nom « tchéquisé » : on citera par exemple « kari » – le curry, « kardamom » – la cardamome, « kurkuma » – le curcuma et « koriandr » – la coriandre. Des épices précieuses, comme aussi celle que l’on surnomme « l’or rouge » en français : le safran – « šafrán ». En tchèque aussi, on est bien conscient de son prix : « šetřit s něčím jako s šafránem », c’est utiliser quelque chose avec grande parcimonie, comme s’il s’agissait de safran. Plus généralement, si l’on dit de quelque chose qu’elle est « vzácným kořením » – une épice rare, c’est que cette chose est unique, inhabituelle, extraordinaire, et qu’elle doit être appréciée à sa juste valeur.

Becherovka | Photo: Jan Becher Pernod Ricard

Autre mélange épicé et aromatique 100 % tchèque, sous forme liquide cette fois : la Becherovka ! Dont la recette originale est un secret jalousement gardé depuis la fin du XVIIIe siècle… Les palais les plus fins y reconnaissent néanmoins très distinctement le goût de la cannelle – « skořice », du clou de girofle – « hřebíček » et de la mélisse – « meduňka »… Mais les quelque 32 herbes et épices qui la composent ne sont pas une excuse pour en abuser ! Car n’oubliez pas que selon le dicton tchèque, ce qui enrichit véritablement le quotidien et le rend plus coloré, c’est l’humour : « Humor je kořením života » – « L’humour est l’épice/le condiment de la vie »…