« Le premier mai, le temps d’aimer »
Comme son nom tchèque – « květen » – l’indique, mai est un mois littéralement florissant. La nature revient à la vie après un hiver qui, en République tchèque, se prolonge parfois jusqu’en avril. C’est la raison pour laquelle le début du mois de mai est marqué par différentes traditions populaires, parfois très anciennes, qui célèbrent la fécondité et l’abondance. C’est toutefois une tradition plus moderne que nous allons évoquer : pour les Tchèques, en effet, le 1er mai, au-delà d’être un jour férié, est à la fois la fête du travail et des amoureux.
De la poésie à la tradition
Comment les Tchèques célèbrent-ils la fête de l’amour le 1er mai ? Avant de répondre à cette question, revenons tout d’abord brièvement aux origines de cette tradition avec Zlata Potyková, l’ethnographe du Musée national à Prague :« La fête de l’amour le 1er mai est une tradition relativement récente qui s’est répandue notamment dans les villes. Nous n’en trouvons aucune mention dans le milieu populaire ; la littérature populaire, ancienne ou moderne, ne présente pas le 1er mai comme une fête de l’amour. On peut supposer que cette fête est apparue après la publication, en 1836, du poème lyrico-épique ‘Máj’ (‘Mai’ en français) du poète romantique Karel Hynek Mácha. Ce poème commence par ces vers archi-connus : ‘C’était la fin d’un soir de mai, le premier mai, le temps d’aimer.’ »
« C’était la fin d’un soir de Mai, Le premier Mai, le temps
d’aimer. Le tendre appel des tourterelles
Montait dans la senteur des pins.
La mousse chuchotait de secrètes tendresses. L’arbre en fleur lamentait
un amoureux mensonge. Le rossignol chantait son amour à la rose,
Et la rose amoureuse en parfums s’exhalait.
Le lac uni, dans l’ombre des charmilles
, Murmurait la douceur d’une peine secrète
A ses rivages, dont la courbe l’embrassait.
Les étoiles, soleils de mondes inconnus,
Erraient parmi l’azur strié de bandelettes, Et brillaient comme autant
de larmes amoureuses. »*
Selon la légende, chaque fille doit recevoir, le 1er mai, un baiser sous un arbre en fleurs. Grâce à ce baiser, elle sera belle et florissante tout au long de l’année. Dans le cas contraire, elle pourrait « sécher ». Zlata Potyková :
« Cette tradition s’est bien implantée dans le milieu urbain. A l’occasion du 1er mai, les gens ont tout d’abord commencé à se promener en couple. Ces promenades se passaient en harmonie avec les normes morales de l’époque qui étaient assez strictes, c’est-à-dire que les couples ne restaient jamais seuls, mais qu’ils étaient surveillés par les membres de leur communauté. L’habitude de se donner un baiser sous un arbre fleuri est née plus tard. Selon la tradition, il devrait s’agir d’un cerisier. Mais parfois, le 1er mai, les cerisiers ont déjà défleuri. Dans ce cas, il suffit donc de trouver n’importe quel arbre en fleurs. Au tournant des XIXe et XXe siècles, le baiser était considéré comme un acte très intime, voire même comme une promesse de mariage. La fête du 1er mai était donc réservée uniquement aux couples amoureux. Aujourd’hui, les filles qui ne veulent pas ‘sécher’ peuvent recevoir un baiser symbolique d’un membre de la famille ou d’un ami. »La fête de l’amour versus la fête du travail
Dans l’esprit de nombreux Tchèques, la date de la fête de l’amour évoque toutefois aussi des événements bien différents des rencontres en couple. En effet, comme dans d’autres pays, si le 1er mai est un jour férié, c’est d’abord parce que c’est la journée internationale des travailleurs, qui rappelle la grève sanglante des ouvriers de Chicago qui ont lutté, en 1886, pour l’instauration de la journée de huit heures. Cette fête du travail s’est rendue tristement célèbre dans la Tchécoslovaquie communiste, les autorités de l’époque organisant des festivités massives en l’honneur du prolétariat. Notre collaboratrice Alena Gebertová se souvient :
« Quand j’étais petite, le 1er mai, tous les enfants étaient obligés, et il faut le dire comme ça, de participer à une manifestation ou à un cortège organisé par le régime communiste. Je me souviens que chaque 1er mai ou presque, il faisait très froid, parfois il y avait même de la neige… Et je me souviens aussi qu’à cette occasion, le régime mettait à la disposition des gens des marchandises rares, voire absentes dans les magasins, comme des oranges. Mais tout cela est oublié depuis bien longtemps… »« Pour les jeunes, le 1er mai est la fête des amoureux. A Prague, il y a une habitude qui consiste à se rendre dans le parc situé sur la colline de Petřín. Les gens y vont parce qu’il y a une statue dédiée au poète romantique Karel Hynek Mácha. Je pense que cette tradition persiste encore aujourd’hui et qu’elle est assez répandue parmi les jeunes. »
Une tradition bien plus importante que la Saint-Valentin
Qu’en pensent donc les principaux concernés ? Pour les jeunes, cette date symbolique représente-elle plutôt la fête du travail ou de l’amour ? Et célèbrent-ils cette journée ? Nous avons posé ces questions à quelques anciens étudiants de l’Université Charles :Michaela : « Le 1er mai est la fête des amoureux ! Après, si on réfléchit un peu plus, c’est aussi la fête du travail. Mais celle-ci était plutôt célébrée dans le passé. Personnellement, je ne célèbre pas la fête de l’amour. Je sais que de nombreux Pragois vont sur la colline de Petřín et s’y embrassent sous un cerisier en fleurs. Mais je ne l’ai jamais fait. »
Vojtěch : « Pour moi, le 1er mai est la journée des travailleurs. Cette fête tire son origine d’une révolte ouvrière aux Etats-Unis. Mais en Tchécoslovaquie, elle a été récupérée par les communistes. J’ai l’impression qu’elle est aujourd’hui oubliée. »
« Bien sûr, je connais la tradition qui veut que le 1er mai soit chez nous la fête des amoureux. Mais je pense que cette fête de l’amour a été remplacée par la Saint-Valentin. Il est vrai que le 1er mai, avec ma femme, nous allons toujours à Petřín où se trouve la statue du poète Karel Hynek Mácha et nous lisons ses poèmes. Mais c’est tout. »
Alena : « Le 1er mai est la fête de l’amour. Mais c’est aussi la fête du travail et une date proche des célébrations de la fin de la Seconde Guerre mondiale. »
Anna : « C’est surtout la fête de l’amour. »Tereza : « Que signifie pour moi la date du 1er mai ? Cela dépend de la langue dans laquelle on me le demande. Si c’est en français, le 1er mai évoque la fête du travail. Mais en tchèque, le ‘první máj’ me fait penser à la fête de l’amour. »
Célébrez-vous cette fête de l’amour ?
Tereza : « Mon copain n’est pas tchèque, mais je vais essayer de le convaincre cette année de m’embrasser sous un arbre. Quand nous vivions en Australie, j’ai essayé une fois de peindre un arbre et nous nous sommes donné un bisou sous cet arbre en papier. Mais ce n’est pas la même chose. »
Alena : « Moi, je célèbre la fête de l’amour. Nous sortons avec mon copain et nous nous embrassons sous un arbre en fleurs. »
Anna : « Je la fête depuis environ deux ans avec mon copain. J’avais très envie d’être embrassée sous un cerisier en fleurs. Voilà, c’était fait. »
Pour vous, la fête de l’amour du 1er mai est-elle plus importante que la Saint-Valentin ?
Anna : « Oui. Le 1er mai est beaucoup plus traditionnel. En général, les Tchèques n’aiment pas trop la Saint-Valentin, je pense que même les jeunes ne l’aiment pas. Nous considérons la Saint-Valentin comme une fête américaine. »
Tereza : « Bien sûr ! En plus, la Saint-Valentin est en hiver. Il n’est pas agréable d’aller se promener, car il fait froid. Le 1er mai, il fait chaud. Bon, peut-être pas cette année, mais en général il fait chaud ! »Alena : « La Saint-Valentin est une fête importée. Par contre, le 1er mai est une fête tchèque authentique. Nous en entendons parler depuis tout petit. Cette fête est donc plus importante pour nous, parce que nous la connaissons beaucoup plus longtemps que la Saint-Valentin. »
Si l’on veut ou non aller chercher un arbre en fleurs, l’occasion se propose de sortir de chez soi et d’aller se promener. Par exemple sur la colline de Petřín où sont organisés, à cette occasion, divers événements culturels…
*Karel Hynek Mácha, « Mai ». Traduit du tchèque par H. Jelínek et J. Pasquier.