Le printemps en musique
Il y a peu de sources d'inspiration aussi fortes et aussi intarissables que le printemps. Associée à la vie, à la jeunesse et à l'amour, cette période de l'année qui nous apporte un nouvel espoir et nous rajeunit, ne cesse de faire rêver les artistes. D'innombrables poètes, musiciens et peintres nous ont fait déjà savourer les inspirations printanières dans leurs oeuvres. Les compositeurs tchèques n'ont pas échappé non plus à cette douce contagion qui se répand dès l'éveil de la nature dans le coeur des hommes. C'est donc à ces inspirations printanières dans la musique tchèque que je vous invite aujourd'hui.
La forêt de feuilles se vêt,
au buisson le rossignol chante.
Moi j'ai de vous chagrin
et je sens mon coeur se fendre ...
Le poème et la chanson créées au Moyen Age ont donné au poète Frantisek Hrubin envie d'écrire au milieu du XXème siècle une espèce de variations qui s'inspirent du sujet ancien et le situent dans le contexte moderne:
...l'arbre de feuilles se vêt, le printemps vient, l'âge cosmique s'avance,
au buisson le rossignol chante, les rouages anciens se grippent,
moi, j'ai de vous chagrin, je vieillis, avec la jeunesse je te salue mois de mai,
et je sens le coeur se fendre d'entendre soupirer le tilleul,
né du pavé, il illumine de son vert clair ce coin de Holesovice,
sur la place Herman sont assis les garçons, ils ne peuvent pas s'asseoir
sans guitare, ils savent que cet homme qui vient de se fâcher est vieux,
ils ont toute la planète dans leur guitare maintenant,
mais elle n'est ni prisonnière, ni ensorcelée,
dans leur guitare les cigognes librement volent et les loriots s'y
lamentent librement,
dans leur guitare le soleil culmine ...
C'est le printemps et l'amour qui ont inspiré aussi une des compositions les plus célèbres jamais créées par un Tchèque. Le compositeur Zdenek Fibich qui n'a vécu qu'un demi-siècle, entre les années 1850 et 1900, nous a laissé un journal intime très curieux. Il a décrit par les tons sa passion pour Anezka Schulzova, d'abord son élève, puis la livretiste de ses opéras. Dans cet immense recueil qui comprend presque quatre centaines de petites compositions pour piano, Zdenek Fibich a donné une espèce de chronique de son amour. C'est l'espoir d'un amour encore incertain qui chante dans les premières pièces, puis c'est la cristallisation de cette passion dont l'accomplissement apportera au compositeur et à son amie un bonheur immense mais aussi beaucoup de peine. La musique dépeint avec une simplicité géniale les moments de bonheur et les moments de désarrois, les accès de jalousie, la douce nostalgie, les grandes et petites tristesses et on y trouve aussi les pièces étincelantes de gaieté et d'humour. La pièce intitulée "Les soirées de Zofin" évoque les premières soirées tièdes d'avril 1893 que le compositeur passait avec Anezka et sa famille sur l'île de Zofin au milieu de la Vltava et au milieu de Prague. Ce n'est pas qu'un chant d'amour, l'oeuvre fait renaître aussi la beauté et les parfums d'un soir printanier, le murmure de la rivière, le bien-être et la compréhension que le compositeur a trouvés dans la famille de sa bien-aimée. Il a su exprimer tout cela dans une seule mélodie, une mélodie sans fin qu'on allait nommer "Le Poème".
Pour terminer ce petit intermède printanier, j'ai choisi une oeuvre de Josef Suk. En 1901, sa femme Otilka lui a donné un fils. Josef Suk craignait beaucoup pour la santé de sa femme qui était la fille d'Antonin Dvorak. Tout s'est passé relativement bien et le compositeur a exprimé sa joie dans un cycle de cinq pièces portant le titre Le Printemps. J'ai choisi pour vous la troisième pièce du recueil intitulée Attente. "Les images de cette oeuvre sont colorées de pastel, dira de ce cycle le musicologue Jiri Berkovec, les ailes de papillons aux tons tendres flottent au-dessus du clavier, illuminés par des éclairs d'accents passionnés. Le vert naissant sous les rayons du soleil, les impressions des coups de vent se propageant dans l'herbe et dans le feuillage, l'attente du grand événement - la naissance du fils, la crainte pour la mère, l'action de grâce - tel est le contenu de l'oeuvre."
(Les vers de Frantisek Hrubin cités dans cette émission ont été traduits par Marcel Tavé.)