Le retrait de dizaines de tombes d’Allemands des Sudètes suscite la polémique

Le cimetière de Heřmánkovice

A Heřmánkovice, petite commune de la région de Hradec Králové (Bohême de l’Est), la municipalité a ordonné le déblaiement d’une cinquantaine de tombes abandonnées d’Allemands des Sudètes. L’affaire a suscité l’émoi jusqu’au sommet de l’État.

Le cimetière de Heřmánkovice | Photo: Václav Plecháček,  ČRo

C’est une polémique dont Jana Králová, la maire du petit village de 450 habitants de Heřmánkovice, se serait sûrement bien passée. Il y a quelques jours, à sa demande, un excavateur est venu retirer du cimetière communal plusieurs dizaines de tombes. Seule ombre au tableau, les stèles étaient celles d’Allemands qui ont vécu en Tchécoslovaquie avant la Seconde Guerre mondiale et dont l’héritage culturel a longtemps constitué un sujet très délicat dans les relations tchéco-allemandes.

Le cimetière de Heřmánkovice | Photo: Václav Plecháček,  ČRo

Interrogée par l’antenne locale de la Radio tchèque et soutenant que ces stèles constituaient des débris dangereux, la maire a défendu sa décision qui, selon elle, vise à améliorer l’aménagement du cimetière :

« C’était affreux, comparé à la beauté du reste du cimetière. […] Ce n’étaient pas des tombes, il était question de restes indignes de tombes. C’était tout à fait irrespectueux envers ceux qui y reposaient. »

Les tombes retirées ont été entreposées à une douzaine de kilomètres d’Heřmánkovice, dans la commune de Božanov. Parmi ces stèles, cinq seraient loin d’être délabrées. Si l’information devait être confirmée, leur retrait aurait alors été une erreur selon l’élue :

Jana Králová | Photo: Obec Heřmánkovice

« Nous avons enlevé uniquement les stèles sur lesquelles il n’y avait aucune date de naissance. Le fait qu’il y ait une date de naissance quelque part m’étonne. Quelqu’un a dû emmener les stèles concernées par mégarde. »

Pour Jiří Chotěborský du service de construction de la commune voisine de Broumov, les excuses de la maire d’Heřmánkovice ne suffisent pas :

« Je n’ai encore jamais assisté à une liquidation aussi ciblée de tombes allemandes. […] Je suis déçu de l’attitude de la commune et de l’effacement de l’histoire du lieu. Je suis tout simplement en colère. »

L’homme a fait remonter l’affaire devant la région de Hradec Králové qui l’a ensuite transmise au bureau du gouvernement. Ce dernier a réagi en qualifiant la décision de la commune de « pour le moins problématique » et de moralement « inacceptable ».

Le cimetière de Heřmánkovice en 2018 | Photo: ČT24

Avant la Seconde Guerre mondiale, la commune de Heřmánkovice était peuplée d’Allemands à plus de 95 %. Après le conflit, les communautés germanophones des Sudètes ont été expulsées du territoire tchécoslovaque. La conservation de l’héritage culturel est une tâche difficile et sensible, comme le reconnaît à la Télévision tchèque, Lukáš Novotný, politologue à l’Université Jan Evangelista Purkyně d’Ústí nad Labem :

Le cimetière de Heřmánkovice en 2021 | Photo: ČT24

« Il suffit d’aller dans n’importe quel cimetière de la zone frontalière pour découvrir l’ampleur du problème. C’est un problème pour les maires, qui ont dans leurs compétences l’entretien des cimetières, et bien sûr c’est un problème pour les relations tchéco-allemandes. De nos jours, on peut trouver des tombes allemandes magnifiquement entretenues – et je pourrais donner de nombreux exemples – mais on les retrouve également dans la composition de divers murets et pavements. Des milliers d’entre elles ont malheureusement été détruites. Il est difficile de donner un chiffre exact, mais il pourrait y avoir près de 10 000 tombes actuellement abandonnées. La situation est loin d’être résolue et l’on peut s’attendre à ce qu’elle prenne de l’ampleur. »

Pour l’universitaire, le principal obstacle à la restauration de ces vestiges reste avant tout le prix. Le coût moyen par tombe pourrait atteindre les 10 000 couronnes (400 euros), un investissement dissuasif pour beaucoup de communes.

Le cimetière de Heřmánkovice en 2023 | Photo: Václav Plecháček,  ČRo

La question de l’héritage des Sudètes constitue encore aujourd’hui une page sensible de l’histoire des Pays tchèques et demeure particulièrement délicate à évoquer sans déchaîner les passions. En 2021, l’exposition de stèles funéraires sudètes sur la voie publique aux abords du musée de la ville d’Ústí nad Labem avait déjà relancé le débat sur la place à octroyer dans l’historiographie tchèque contemporaine à ceux que Tomáš Garrigue Masaryk, le premier président tchécoslovaque, appelait « nos Allemands ».

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