Le roi du bouton-pression
Si le bouton-pression n’est pas à proprement parler une invention tchèque, la machine qui a permis sa production industrielle, elle, l’est bien. La diffusion de ce petit bouton si pratique dans le monde dans la première moitié du XXe siècle doit beaucoup à un homme, Jindřich Waldes, « le roi du bouton », comme nous vous proposons de le découvrir dans ce nouvel épisode de la série « Czech Made » consacrée aux grandes (et petites) inventions et aux marques tchèques.
Cette émission a beau être diffusée sur Radio Prague International, affirmer que les Tchèques ont « boutonné » le monde entier serait très certainement un poil exagéré. Néanmoins, c’est bien une invention tchèque qui, au début du XXe siècle, a peu à peu permis de faire du bouton-pression un objet courant de nos vies quotidiennes, et ce bien partout dans le monde. Depuis, ce système de fermeture composé de deux petits disques en métal ou en plastique qui « se cliquent » et s’engagent ainsi l’un dans l’autre par pression se trouve partout : sur nos vestes, nos pantalons, nos chemises, nos sacs, nos porte-monnaie, parfois même sur certaines chaussures.
Désigné le plus souvent comme « patentka » en tchèque, mais aussi comme « druk » ou encore « stiskací knoflík », le bouton-pression en tant que tel n’est donc pas une invention tchèque. Un mécanicien-ajusteur français, du nom d’Albert-Pierre Raymond, installé à Grenoble, a ainsi déposé un brevet en 1886. A l’époque, ce nouveau type de bouton à rivet a d’abord permis de régler le problème de la fermeture des gants des femmes, qui remontaient alors jusqu’aux épaules et devaient être lacés. Pas très pratique, comme on peut l’imaginer…
Avant cela, un premier brevet avait également été déposé par l’Allemand Heribert Bauer, spécialiste, lui, du pantalon et des sous-vêtements pour hommes. Mais le tout premier à avoir eu l’idée de ce système de fermeture simple et efficace a été le Danois Bertel Sanders, et ce au début du XIXe siècle.
Les Tchèques, eux, sont donc à l’origine de la machine qui a permis une production à grande échelle du bouton-pression. Plus précisément deux hommes : l’homme d’affaires Jindřich Waldes et le mécanicien Hynek Puc. En 1902, les deux compères fondent d’abord à Prague la société Waldes a spol., puis, un an plus tard, Hynek Puc met au point un montage automatique qui supplée la main-d’œuvre de plusieurs ouvrières textiles.
Le succès de la production est rapide. Dès 1907, la construction d’une usine devient nécessaire dans le quartier de Vršovice, un peu à l’écart du centre de Prague. 300 personnes y sont alors employées pour ce qui est alors la plus grande usine du genre existante en Autriche-Hongrie. Sept ans plus tard, avant que n’éclate la Première Guerre mondiale, la société spécialisée dans la production d’épingles et de boutons en emploie même dix fois plus !
Celle-ci se développe dans le monde, de Dresde à New York en passant par Paris, Vienne ou encore Varosvie, et elle doit son immense succès international essentiellement à la production du bouton-pression baptisé « Koh-i-Noor », du nom du plus gros diamant de l’époque qui, en 1936, sera installée sur la couronne de la famille royale britannique. Ce nom deviendra aussi, avec Waldes, celui de la société.
Ce succès, Koh-i-Noor le doit aussi au génie de Jindřich Waldes, homme d’affaires qui possède un sens très aigu pour l’époque notamment de la publicité. Parfois comparé au « roi de la chaussure » Tomáš Baťa, Jindřich Waldes, d’ailleurs surnommé « le Baťa du bouton » est un visionnaire. Un homme fortuné aussi, amoureux de l’art et plus particulièrement de l’œuvre d’un artiste, comme le confirme le galeriste pragois Vladimír Lekeš, directeur de la société Adolf Loos Apartment and Gallery spécialisée dans la vente de tableaux de Frantisek Kupka :
« Jindřich Waldes, en sa qualité de propriétaire de la socété Koh-i-Noor, soutenait l’art tchèque, la littérature et le théâtre tchèques dans leur ensemble, et plus particulièrement donc Frantisek Kupka, dont il achetait les tableaux ou les vendait en Amérique pour ensuite reverser des honoraires parfois deux plus élevés au peintre. »
František Kupka sera d’ailleurs l’auteur du célèbre logo de la jeune fille avec un bouton-pression à la place d’un œil ; un logo qui reste celui de la société Waldes – Koh-i-Noor aujourd’hui encore et une « Miss KIN » (Koh-i-Noor) qui a d’abord servi pour une campagne de publicité aux Etats-Unis.
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La suite, toutefois, a été moins radieuse. En 1939, tandis que lui-même est arrêté peu après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes nazies, Jindřich Waldes, d’origine juive, envoie sa famille en Amérique. Emprisonné deux durant dans les camps de Dachau et de Buchenwald, il est finalement sauvé en 1941, comme le précise encore Vladimír Lekeš :
« Son fils George m’a dit qu’il avait été arrêté par la Gestapo, alors qu’il avait décidé de rester en Tchécoslovaquie par patriotisme. Mais sa famille a obtenu sa libération sous caution deux ans plus tard. Il a alors été transféré en avion à Lisbonne, où il a embarqué dans un bateau à destination de New York. Mais Jindřich Waldes n’a pas survécu au long voyage, il est mort durant l’escale à la Havane dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées. Il se dit pourtant que sa famille avait versé un million de dollars pour obtenir sa libération. »
La famille pense néanmoins que Jindřich Waldes a été empoisonné par la Gestapo avant sa libération.
La guerre finie, les biens de la famille Waldes ont été confisqués par les communistes. Il a alors fallu attendre la révolution pour que ceux-ci soient restitués, et depuis la société Waldes – Koh-i-Noor continue de produire ses célèbres boutons-pression.
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