Le Stabat Mater d’Antonín Dvořák : une musique sacrée aux accents profondément humains

Depuis des siècles, Pâques est une fête religieuse très riche en productions musicales. De grands compositeurs inspirés par les Evangiles ont cherché à exprimer dans la musique le désespoir des derniers jours du Christ, le mystère du sacrifice et l’espoir de la Rédemption. Pergolèse, Bach, Haendel nous ont laissé des oratorios sur ce thème, œuvres intemporelles qui n’ont rien perdu de leur beauté et de leur expressivité poignante. La musique tchèque, elle aussi, a contribué à ce trésor musical. C’est grâce à Antonín Dvořák que nous possédons une œuvre qui s’apparente aux oratorios des grands maîtres du passé. C’est donc la musique de l’oratorio Stabat Mater d’Antonín Dvořák que nous vous proposons aujourd’hui.

S’inspirant de Haydn et de Haendel, mais aussi des compositeurs baroques tchèques dont Jan Dismas Zelenka, Antonín Dvořák se lance dans la composition de grandes œuvres chorales pratiquement dès le début de sa carrière de compositeur. Le Stabat Mater inaugure la série des oratorios qui lui apporteront, avec ses symphonies, la gloire universelle. Il doit cette inspiration et ce succès à une tragédie qui le frappe en plein cœur. Dans les années 1870, il perd trois enfants dans l’espace de deux ans et se trouve au bord du désespoir. C’est dans cette période de douleur qu’il cherche le soulagement dans le travail et qu’il décide de mettre en musique le vieux poème latin dans lequel Jacopone da Todi évoque les souffrances de la mère du Christ au pied de la croix. Selon le musicologue Guy Erismann, malgré ses inspirations internationales, malgré le texte latin, Dvořák a su donner à cette musique un style tchèque très ancré dans la culture nationale. « …le pari de Dvořák, écrit Guy Erismann, ne fut-il pas de mettre en lumière dans cette composition mariale les aspects profondément terrestres, humains et charnels du martyre vécu par cette ‘Mater dolorosa’ plutôt que la glorification éblouissante d’une mère céleste puissante mais inaccessible, lointaine, et parfois redoutable ? Dvořák est un homme du peuple, un Tchèque accroché à sa terre, dont le regard se porte avant tout sur l’humanité proche et présente. Le poème de Jacopone da Todi peut être facilement ramené à cette dimension simple et bouleversante. »


Dans une étude consacrée à Antonín Dvořák, le musicologue Václav Holzknecht constate que la douleur de la mère du Christ rappelait au compositeur son propre chagrin et celui de sa femme et que c’est cela qui rend son œuvre à ce point humaine, si vive, si poignante : « Elle exprime une souffrance et une humilité profondes, écrit-il. Ses dix parties font alterner solistes, chœurs mixte et orchestre tandis que la musique traduit la peine, la compassion et la résignation. Ce thème biblique ne souffle pas le froid des sanctuaires, mais une ardente participation humaine, l’angoisse du cœur et pour finir, un apaisement tout palpitant d’affection. »


L’oratorio Stabat Mater d’Antonín Dvořák n’a été achevé qu’après une longue germination. Le compositeur met un point final à la partition en 1877 et l’œuvre sera créée à Prague en décembre 1880. L’année suivante la partition est publiée par l’éditeur allemand Friedrich Simrock et l’œuvre est exécutée à Brno sous la direction du jeune chef d’orchestre Leoš Janáček, grand admirateur d’Antonín Dvořák. Les succès dans les salles de concert tchèques lancent aussi cette œuvre sur la scène internationale. Sa première anglaise à Londres, le 10 mars 1883, sous la direction de Joseph Barnaby, est un événement. La presse évoque à cette occasion les grands oratorios de Haendel et le compositeur est invité l’année suivante à diriger lui-même son œuvre au Royal Albert Hall. Le musicien tchèque modeste devient l’objet d’un véritable engouement du public britannique et une célébrité internationale. Son oratorio restera pour la postérité une source de beauté et la preuve de la puissance de l’art qui sait montrer la force purificatrice de la souffrance et arrive à transformer le désespoir en espoir.