« Le tempérament des Burkinabés est proche de celui des Tchèques »

Michaela Solnická, photo: Archives de Michaela Solnická

Michaela Solnická Volná est architecte. Pendant et après ses études à Prague, à Lyon et à Paris, son goût de voyage et sa curiosité, ainsi que divers projets professionnels, l’ont amené à séjourner dans différents pays, que ce soit en Slovaquie, au Maroc, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire ou au Ghana. Depuis 2012, Michaela Solnická Volná est installée au Burkina Faso où elle mène des activités liées à l’architecture à échelle humaine. De passage à Prague, Michaela Solnická Volná nous a parlé de son travail avec les artistes burkinabè, impliqués dans la création dans l’espace public, de la fabrication des sacs à partir des emballages de ciment et de ses attaches pour ce pays d’Afrique de l’Ouest qui a vécu des moments dramatiques ces dernières années.

Photo: Archives de Michaela Solnická
« Le pays en soi n’a pas grand-chose à offrir visuellement aux touristes : il est tout plat, c’est une savane. Le Burkina Faso n’est pas tellement riche du point de vue historique et architectural. Vous n’y trouverez pas de safari comme au Kenya, pas de beautés naturelles comme en Ethiopie. Mais les gens y sont extrêmement chaleureux, ouverts et accueillants. Ils sont curieux ! Je trouve enfin que le tempérament des Burkinabés est proche de celui des Tchèques et des Slovaques. Cette proximité m’a permis de me sentir au Burkina comme chez moi. »

Partagée entre la capitale Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, ville surnommée « la capitale des artistes », Michaela Solnická travaille au Burkina Faso sur les projets d’un studio pragois d’architectes, Jakub Cigler Architekti, dotés du label « Unlimited ». Les architectes pragois soutiennent ainsi des activités locales, tout en accompagnants de jeunes architectes en formation aussi en Ethiopie.

« On a pu réaliser un projet pour l’association Kafuli basée à Bobo-Dioulasso et qui travaille avec les artistes et artisans de la région. Nous avons pu réaliser un abri, une vitrine permanente, pour les femmes tisseuses. On a beaucoup travaillé avec leur matière première, le tissu tissé à la main. Ce projet a abouti grâce à une fondation slovaque ProVIDA qui a financé sa réalisation. Il faut préciser que notre atelier élabore une conception d’un projet, mais pour le mettre en place, il faut ensuite trouver un investisseur. Nous avons également établi un dialogue avec les structures culturelles, les danseurs et les associations des arts de la scène. Depuis trois ou quatre ans, notre atelier travaille sur la conception d’un centre culturel intégré à Bobo-Dioulasso, dans le quartier de Bolomakoté, qui est un berceau du balafon, l’instrument traditionnel burkinabé. Nous avons rencontré quelques difficultés liées à l’obtention gratuite de la parcelle. De ce fait, nous avons dû changer de lieu et de design. Mais tout c’est bien passé et je suis ravie de pouvoir dire que les travaux du Bolo’Centre, pourront bientôt commencer. »

Photo: Archives de Michaela Solnická
Sans oublier que le studio Jakub Cigler Architekti apporte sa refléxion sur le projet d’un conservatoire de danse pour l’Ecole internationale de danse d’Irène Tassambédo ou encore sur la préparation d’une cité des arts en collaboration avec le chorégraphe Salia Sanou. En marge de ses activités architecturales, le studio a lancé une ligne de sacs créés par des couturiers burkinabè à partir de matériaux de récupération, notamment des emballages de ciment. Sacs de voyage, sacs à dos, sacs d’ordinateur, pochettes, trousses et porte-monnaie : autant de produits qui font la promotion des activités du studio et qui, disposés sur les étagères, décorent son siège dans le quartier pragois de Smíchov :

« Chaque sac a son histoire. Tout a commencé lorsque moi-même, j’avais besoin d’un sac à main un peu ‘classe’, mais en même temps rigolo. Je voulais un sac de style enveloppe pour aller à l’opéra, parce que je suis une maniaque du théâtre et de la danse, je sors tout le temps. Quand je me suis fabriquée ma première enveloppe, mes copines étaient ravies, elles en voulaient aussi. Un autre jour, j’ai fabriqué un sac à main pour ma copine Adjara qui fêtait son anniversaire, un autre jour encore, j’ai fait une trousse de toilette pour la sœur d’un ami. La trousse s’appelle Saramani. Cela signifie ‘la beauté’ dans la langue dioula qui est parlée à Bobo Dioulasso. Ensuite, le partenaire d’une collègue qui travaille à Moscou, Serge, nous a demandés un sac à dos.

Les sacs de la collection 'cementJCA pour Bolo'centre',  photo: Michaela Solnická
Le produit s’appelle aujourd’hui ‘Serge’. Une autre histoire encore : une amie à Prague m’a demandée de lui dessiner un sac de fitness, où elle pourrait mettre ses chaussures de sport, une miche de pain et… son bébé ! (rires) J’ai appelé ce sac ‘deeni’, cela veut dire ‘enfant’ en dioula. C’est le couturier Moussa, dont on a une photo dans ce bureau, qui a fait tous les prototypes de produits avec moi. Parce que moi, je ne suis pas couturière, c'est lui qui dispose de l'expertise dans son artisanat et c'est lui qui m'a beaucoup conseillée. Il contrôle la qualité de tous les sacs. Tous les produits passent par les mains de Moussa et de ses fils-apprentis, aussi par les mains de Madame Sali qui lave les sacs de ciment que nous utilisons ensuite. Ils passent par mes mains également. »

Le couturier Moussa Sermé,  photo: Michaela Solnická

Les Burkinabés, quelle idée se font-ils de la République tchèque et, plus généralement, de l’Europe centrale ?

« La perception est pareille que celle du Burkina en République tchèque. Les Tchèques ne savent rien sur le Burkona Faso, mais ils auront quand même retenu ce nom de ‘Ouagadougou’ (elle imite la prononciation tchèque) qui sonne bizarrement à leurs oreilles. Les Burkinabés, à leur tour, savent que les Tchèques sont originaires d’un pays au nom imprononçable pour eux, la ‘Tchéco…’. Heureusement, il existe un moyen de lier les gens : le ballon. Tout le monde au Burkina Faso connaît Pavel Nedvěd, Petr Čech avec son casque, Milan Baroš, bref toutes les stars du football tchèque. Les connaissances de certains gens vont plus loin, ils écoutent RFI, savent qui était Václav Havel apprécié ici pour sa lutte pour le respect des droits de l’Homme. Un Burkinabé m’a surprise par sa connaissance des cubes de sucre ! Les gens connaissent aussi Otto Wichterle, l’inventeur des lentilles de contact qui sont pourtant peu utilisées au Burkina, à cause de la poussière omniprésente… D’ailleurs, je me réjouis du renouveau d’une coopération bilatérale, culturelle et économique, entre nos deux pays, renforcée tout récemment par la venue des délégations tchèques. »

Vous n’avez eu aucune difficulté à vous habituer à la vie au Burkina ?

Photo: Archives de Michaela Solnická
« Je m’adapte facilement. Il existe au Burkina une certaine modestie de vie qui me convient, j’ai du mal à supporter la consommation excessive telle qu’on la voit dans le monde ‘occidental’. Evidemment, il existe aussi un risque de certaines maladies et infestions, mais ces problèmes sont assez faciles à résoudre car les soins médicaux sont abordables, du moins pour ceux qui ont suffisamment de moyens. »

Un plaisir pour Michaela Solnická, architecte passionné de danse, de théâtre et de musique que de vivre au Burkina Faso, pays qui a vécu un changement politique important à l’automne 2014 : son président Blaise Compaoré, au pouvoir pendant vingt-sept ans, a été renversé par un mouvement massif de protestation. Michaela Solnická se souvient :

« L’insécurité a duré deux jours. Je participais aux protestations, portées par le mouvement Balai citoyen, et je me sentais très concernée, car tout le monde était investi dedans. Pareil lorsqu’un coup d’Etat est survenu au Burkina Faso pendant la période de transition, il y a presque deux ans de cela, alors que le pays se préparait pour les élections démocratiques. Le mouvement de protestation contre les putschistes a uni et consolidé la société, il a encouragé les gens dans leurs initiatives. Là encore j’étais présente, j’ai manifesté à Bobo-Dioulasso. Moi qui suis de nature pacifique, j’ai presque pleuré de joie lorsqu’on voyait partir les voitures blindées de Bobo-Dioulasso vers Ouagadougou, contrôlée par la garde de l’ancien président Compaoré qui a voulu reprendre le pouvoir. En moins d’une semaine, le pays a su retrouver sa stabilité. Le coup d’Etat a fait assez peu de morts, il n’y avait pratiquement pas d’affrontements, dans la plupart des cas, il s’agissait de victimes de balles perdues. Cet épisode m’a permis de revivre, ou plutôt de redécouvrir ce que je n’ai pas vécu dans mon pays pendant la Révolution de velours, parce qu’en 1989, j’étais encore trop petite. »