Le temps pour un poème
Attention, si vous marchez ces jours-ci dans les rues de Prague, si vous courrez à vos besoins, vous risquez un grave accident : vous pourriez vous heurter à ... un poème. Depuis le 20 juillet dernier, les piétons pragois trouvent de la poésie à 450 endroits de la ville habituellement réservés à la publicité. Certains s'arrêtent, incrédules, devant les grandes affiches sur lesquelles on peut lire les poèmes de cinq auteurs européens. Ainsi, la poésie cherche à se faufiler dans la vie de tous les jours, elle aborde les passants à des endroits qui semblent les moins propices au recueillement nécessaire pour que la voix fragile des poètes puisse se faire entendre. La poésie ose faire face à la rue pleine de vacarme, aux mille et une tensions de la vie quotidienne. Elle ose inviter le passant à s'arrêter, à ne pas se laisser entraîner par la hâte collective, par cette folie de la précipitation qui est si caractéristique de la vie des citadins actuels. Elle nous invite à déguster lentement le moment qui passe, un moment unique de notre vie qui ne se reproduira plus jamais.
L'initiative a rencontré un tel succès en 2003 qu'elle a dépassé les frontières autrichiennes. Depuis, elle est organisée chaque été aussi à Budapest, Ljubljana, Bratislava et Prague, et les poèmes sont placés dans des vitrines lumineuses des rues de ces villes. Désormais, l'initiative "Le temps pour un poème" a l'ambition de devenir le symbole de la nouvelle Europe sans frontières, d'une Europe de paix et de tolérance.
Svetlana Paunovic, de l'agence Multiart, qui a coordonné le projet à Prague: "L'objectif du projet "Le temps pour un poème" est de présenter la poésie d'auteurs contemporains. Nous la présentons à des endroits où nous trouvons habituellement soit de la publicité soit les informations de la municipalité, sur des affiches dans le métro et dans d'autres moyens de transports urbains. L'année dernière, à Vienne, nous avons ainsi présenté environ deux cents poèmes de deux cents auteurs. On en a imprimé quelque 500 000 exemplaires. Cette année, nous avons choisi cinq auteurs de cinq pays différents. Il s'agit de Jiri Grusa, qui représente la République tchèque, Barbara Korun de Slovénie, Marian Hatala de Slovaquie, Doris Mühringer d'Autriche et Zoltan Sumonyi de Hongrie. "La poésie tchèque est donc représentée sur les affiches par un court poème de Jiri Grusa, homme qui a partagé sa vie entre la littérature et la diplomatie. Ancien dissident et signataire de la Charte 77, il a été ambassadeur à Bonn et à Vienne après la chute du régime communiste. Actuellement, Jiri Grusa, lauréat de nombreux prix littéraires, est président du Pen Club international. On lui doit, entre autres, plusieurs recueils de poésies, un livre de souvenirs et un certain nombre de traductions d'oeuvres allemandes en tchèque.
450 endroits à Prague sont donc réservés, depuis le 20 juillet, à la poésie européenne. En cela, l'initiative ressemble à une grande campagne de publicité. En présentant leur projet à la presse pragoise, les organisateurs ont évoqué aussi le passé de leur initiative et le thème auquel elle était consacrée cette fois-ci.
Michael Ludwig, membre du Conseil municipal de Vienne: "Chaque projet a un thème principal et cette fois-ci, c'est la tolérance. Je crois que c'est un thème très important. Il faut s'opposer à toute forme d'oppression, de racisme, de ségrégation de n'importe quel groupe d'habitants. Je pense qu'en Europe, il y a encore beaucoup à faire dans ce sens. D'ailleurs, c'est une tâche pour le monde entier. Les poètes et les poétesses qui écrivent la poésie lyrique sont des êtres extrêmement sensibles. En même temps, ils sont très ouverts et francs et ils nous aident à comprendre ce thème. Nous estimons que la poésie lyrique peut être aussi très bien utilisée pour ralentir la vie trépidante des habitants des grandes villes. Elle peut amener les gens à s'arrêter pour lire un poème, pour se débarrasser de leur stress quotidien et pour se pencher sur eux-mêmes."