Hommage au poète Cédric Demangeot, éditeur de poésie tchèque en France
Le 28 janvier 2021 disparaissait, à l’âge de 46 ans seulement, le poète français Cédric Demangeot. Auteur de nombreux recueils de poésie, mais aussi de deux pièces de théâtre, on lui doit aussi la publication de plusieurs poètes tchèques en français. C’est grâce au traducteur tchèque, et ancien correspondant de la TV tchèque à Paris Petr Zavadil, que Cédric Demangeot a découvert la poésie tchèque contemporaine. Alors que l’Institut français de Prague organise le 10 novembre une soirée d’hommage en souvenir de Cédric Demangeot, Petr Zavadil est revenu au micro de RPI sur le rapport de son ami à la poésie :
« Notre premier contact date de 2004 où j’ai trouvé un de ses livres dans une librairie parisienne, en même temps qu’un livre de Guy Viarre et j’ai adoré les deux. Je les achetés immédiatement. Je voulais d’abord traduire Guy Viarre, j’ai donc fait mes recherches et je me suis rendu compte qu’ils étaient très amis – chose que j’ignorais au moment de l’achat. J’ai aussi appris que Guy Viarre était déjà mort à cette époque et que c’était Cédric Demangeot qui s’occupait de ses textes. Cédric Demangeot avait déjà à l’époque sa maison d’édition Fissile, et publiait les textes de Guy Viarre. Je lui ai donc écrit une lettre, il m’a répondu très vite. Nous avons commencé à échanger beaucoup… »
Des échanges sur la poésie ?
« Sur la poésie d’abord, oui. On a correspondu d’abord de manière très classique, épistolaire, puis on est passés aux courriels, plus rapides. A cette époque, je traduisais les textes de Guy Viarre et j’avais besoin de conseils parfois. Quand le livre de Guy Viarre est sorti, je me suis mis à traduire les textes de Cédric lui-même. En 2011, je suis allé le voir pour la première fois en personne, il vivait à l’époque à Belle Isle. Nous avons peaufiné ma traduction pendant une semaine, tout en se rendant compte que nous avions beaucoup de choses en commun. Nous sommes devenus des amis très proches. »
Créateur des éditions Fissile en 2001, disparu le 28 janvier 2021, ces mêmes éditions résument ainsi sa biographie : « Né en 1974, Cédric Demangeot s’obstine sans trop savoir pourquoi, dans un monde qui n’en demande pas tant, à publier des livres de poésie ». Qu’est-ce qui le poussait inlassablement à écrire et à publier de la poésie dans un monde où celle-ci semble occuper une place très limitée ?
« Il a aimé la poésie dès son plus jeune âge. Je suppose que pour lui, c’était logique de passer à l’acte très tôt. Il a commencé à écrire très jeune. Il a aussi travaillé dans une maison d’édition, Fata Morgana, à Montpellier. Il voulait faire les choses à sa manière, différente, et a finalement décidé de créer les éditions Fissile. Avant cela, il a créé une revue littéraire, Moriturus, qui n’a eu que cinq numéros en quatre volumes. Il a décidé d’y réunir des poètes qui n’écrivaient pas de la même manière que lui, mais qui avaient le même rapport que lui à la vie et au vrai. C’était très important pour lui : il considérait que la poésie française actuelle, souvent, n’était pas assez proche de la vie, qu’elle était très formelle. Ce rapport à la vie et au vrai, c’est ce qu’il cherchait dans la poésie et qu’il a trouvé plus tard aussi dans la poésie tchèque. »
C’est vous qui lui avez fait découvrir ce monde de la poésie tchèque…
« J’ai joué mon rôle, je crois. Je lui ai envoyé très tôt l’anthologie de la poésie tchèque Petr Kral, poète tchéco-français, publiée chez Gallimard. Il ne la connaissait pas et en avait même honte. Il l’a beaucoup aimée. Il avait quand même des notions de littérature centre-européenne, mais s’est orienté vers la littérature tchèque, grâce à moi je suppose. Il a vite trouvé des auteurs qui lui étaient très proches, que ce soit František Halas, Zbyněk Hejda et plus tard Bohdan Chlíbec. »
Qu’est-ce qui l’a séduit dans la poésie tchèque ou dans ces auteurs en particulier ? En parlait-il avec vous ?
« Il en parlait très bien, mais je ne sais pas le reproduire. Je sais qu’il aimait le tchèque en tant que langue. Il a commencé à l’apprendre. Il adorait les mots monosyllabiques, il disait que le français n’en avait pas autant et que cela manquait en français. D’ailleurs sa propre poésie est souvent construite avec des mots très courts, il aimait beaucoup cela : cela crée un rythme qu’il adorait. Il aimait cela aussi dans la poésie tchèque. Pourquoi ces auteurs-là ? Il avait l’impression qu’ils se situaient un peu en marge, un espace que Cédric aimait beaucoup. Lui-même vivait un peu à l’écart, sa poésie était aussi un peu marginale dans le cadre de la poésie française actuelle. Cela dit, ça commence à changer un peu et on commence à s’intéresser à lui. A part cette marginalité, il y retrouvait ce rapport très vif à la vie : il faisait une distinction très nette entre la vie et le monde. Le monde, c’est ce qu’il n’aimait pas. Ce qu’il recherchait, c’était la vraie vie et il avait l’impression que les poètes tchèques qu’il a décidé de publier avaient un rapport très direct, parfois même très cru à la vie. »
A-t-il appris le tchèque ?
« Oui, et il le parlait pas mal. »
Cela lui a donné un accès plus direct aux poètes tchèques que via vos traductions…
« Au tout début de notre relation, il m’a proposé de traduire ensemble des poètes tchèques. On a fait une première tentative de František Halas et d’Ivan Diviš. C’est moi qui faisais des traductions littérales… et très mauvaises ! Comme il n’avait pas de notion de tchèque à l’époque, il ne pouvait pas trouver le bon ton. Il s’est mis à apprendre le tchèque, très vite il a eu des notions assez importantes et on a repris cet exercice. Ca a beaucoup mieux marché car il a su, par instinct poétique je suppose, trouver les erreurs que je faisais en lui soumettant la première version du texte. »
Vous parliez du fait que qu’il aimait le côté monosyllabique du tchèque. Y a-t-il eu un avant et un après l’apprentissage du tchèque dans son écriture à lui ?
« Je ne le dirais pas. Enfin, oui, il y a des étapes dans l’écriture de Cédric. Peut-être même pas des étapes : il reprenait un certain type d’écriture continuellement, il passait d’une écriture à une autre. Il écrivait des notes, des poèmes longs, des poèmes courts, des pièces de théâtre : il avait besoin de cette diversité d’écriture, un besoin très personnel. »
Quels sont vos souvenirs de ce travail à quatre mains sur ces traductions ?
« Au début, ce n’était pas ça du tout : je le réitère avec fierté. Mais après c’était vraiment un travail très assidu. Surtout de sa part. Je lui soumettais une première version et il pouvait passer une journée entière à travailler deux vers, pour avoir l’effet qu’il voulait obtenir en français. Pour moi, le voir travailler ainsi était très important parce que cela m’a fait réfléchir à ma propre manière de travailler. Je crois que dans mes traductions du français et de l’espagnol, je crois que j’ai commencé à faire encore plus attention que je ne le faisais auparavant. »
Cédric Demangeot est venu plusieurs fois à Prague. Comment se déroulaient ses séjours ?
« C’est vrai, il est venu plusieurs fois. La première fois, il est venu faire une lecture lors de la publication de la première traduction que j’ai faite de ses poèmes. Je crois qu’il est amoureux non seulement de la langue tchèque, mais aussi de Prague – pourtant, il n’aimait pas les grandes villes, il détestait Paris, mais Prague, il aimait beaucoup ! Il est ensuite revenu plusieurs fois, je dirais presque en touriste, il voulait juste passer du temps ici. Plus tard, quand j’étais à Paris où j’ai travaillé pendant cinq ans, il m’a demandé s’il pourrait venir passer une année entière dans notre appartement. Bien sûr, j’ai accepté, et il a passé une année ici. Mais d’après ce que je sais, il n’a pas rencontré beaucoup de monde : ce n’était pas quelqu’un qui recherchait un contact social très important. Il a rencontré Bohdan Chlíbec, et même si ce dernier ne parle pas français et qu’à l’époque, Cédric ne parlait pas bien tchèque, ils se sont très bien entendus. C’est d’ailleurs Bohdan Chlíbec qui a eu l’idée d’organiser une soirée d’hommage à l’Institut français de Prague. »