L’écrivaine Petra Hůlová abat son jeu
« C’est mon livre le plus autobiographique », explique Petra Hůlová à propos de son roman intitulé Nejvyšší karta - La Carte maîtresse. Dans ce livre elle met en scène une femme qui lui ressemble et en même temps ne lui ressemble pas. La vie et les opinions de cette femme permettent cependant à l’écrivaine d’aborder toute une panoplie de problèmes brûlants de notre temps.
Une langue simple et facile à lire
Petra Hůlová considère La Carte maîtresse comme un livre exceptionnel dans l’ensemble de son œuvre. Elle manifeste la satisfaction et même une certaine fierté en parlant de ce roman qui ressemble d’ailleurs parfois à un recueil d’essais :
« Je pense avoir réussi à brosser dans ce livre un tableau complexe et multiforme du personnage principal qui est la narratrice du roman, et aussi de son entourage. Je voulais l’écrire également dans une langue simple qui serait facile à lire et je crois être parvenue à le faire mieux que dans tous les autres livres que j’ai écrits. »
La hantise du vieillissement
Sylvie Novak, la narratrice du roman, est un personnage qui permet à l’auteure de répertorier tout un éventail des thèmes qui lui tiennent à cœur et dont beaucoup font partie du débat public. L’héroïne du roman est donc en partie une porte-parole des opinions de l’auteure sur la vie, la sexualité, l’émancipation, le conflit entre générations, etc. Et tout cela est profondément marqué par un âpre effort de l’auteure de conserver face à ces problèmes sa franchise et sa sincérité même si c’est décevant, blessant et dérangeant. Un des leitmotivs de la confession de Sylvie Novak est sa hantise du vieillissement. Petra Hůlová constate :
« Ce roman est une espèce de réflexion personnelle et de confession d’une écrivaine qui prend de l’âge mais il reflète aussi les points névralgiques que je perçois dans la société actuelle, comme l’émancipation, l’éducation des enfants, le vieillissement ou notre rapport vis-à-vis du passé, plus particulièrement vis-à-vis des années 1990. Par l’intermédiaire de ce texte j’ai réfléchi sur ces problèmes et j’ai découvert pour moi-même leur complexité et leur richesse sans parvenir à un jugement final. »
Les vicissitudes de la vie d’une écrivaine de renom
Petra Hůlová permet au lecteur de pénétrer profondément dans l’intimité de son héroïne. Sylvie Novak est une femme divorcée qui a deux enfants, une fille et un garçon, déjà au seuil de la maturité. Ecrivaine renommée, elle parle ouvertement des revers de son métier, de la situation des écrivains qui sont de plus en plus poussés à obéir aux impératifs de la publicité. La sexualité joue un rôle important dans la vie de cette femme qui désire attirer les hommes. Elle entretient une relation sexuelle avec son éditeur et elle suit avec anxiété les signes de décrépitude sur son corps et la perte progressive de son attractivité. Bien que Petra Hůlová déclare qu’il s’agit de son livre le plus autobiographique, elle refuse d’être considérée comme un alter-ego de son héroïne :
« Je crois que c’est paradoxalement plus sincère que si j’écrivais une autobiographie. D’ailleurs, l’autobiographie n’était pas mon ambition. J’avais seulement besoin de faire un bilan, de puiser dans l’expérience de ma vie. Mon objectif était de profiter de cette expérience pour trouver une façon de réfléchir sur certaines choses, pour créer une histoire qui serait nourrie de mon vécu. Je pense que même si je voulais écrire une autobiographie, elle serait pleine de choses par lesquelles je m’abuse moi-même et que je ne serais pas capable de considérer avec objectivité. Au fond, je ne crois pas en moi-même. »
Selon Petra Hůlová, une autobiographie qui se présenterait comme telle, ne serait donc qu’une déformation inavouée de la vie.
La fille, la mère et la grand-mère
Trois personnages, trois femmes, représentent dans ce roman trois générations et trois âges de la vie - Sylvie, sa fille Judita et sa mère. Tandis que le rapport entre Sylvie et Judita est délicat et presque conflictuel, les relations de Sylvie avec sa mère sont plus paisibles mais pleines de malentendus. Elle voit dans sa mère la femme qu’elle doit devenir un jour et elle rechigne intérieurement à accepter une telle perspective.
Evidemment, Petra Hůlová n’a pas pu éviter d’être comparée à son héroïne. Elle ne cache pas les traits qu’elle partage avec Sylvie mais elle souligne aussi les différences :
« Sylvie est différente de moi parce qu’elle a dix ans de plus et est confrontée donc à des problèmes qui sont un peu différents des miens. Par contre la plus grande ressemblance entre elle et moi est dans le fait qu’elle est auteure et écrivaine et qu’elle s’intéresse aux problèmes du genre. Ses relations avec ses enfants sont un peu compliquées, elle a eu dans sa jeunesse une liaison avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle, elle entretient un rapport étroit avec son éditeur. Toutes ces choses ont été ou sont présentes sous une forme bien différente aussi dans ma vie. »
Les deux faces du féminisme
Ce sont donc les éléments avec lesquels Petra Hůlová a composé son roman en y ajoutant cependant une forte dose de fiction. Un des grands thèmes de son roman est la problématique du genre ainsi que le féminisme et ses multiples facettes. Sylvie Novak et sa fille Judita sont féministes chacune à leur façon. Tandis que les opinions de la mère sur cette problématique sont assez nuancées, l’attitude de sa fille est presque une caricature du féminisme militant. Et lorsque Judita découvre dans un carton le journal intime de la jeunesse de sa mère dans lequel Sylvie décrit explicitement ses amours avec un homme beaucoup plus âgé, la fille commence à considérer sa mère comme la victime d’un séducteur et fomente une vengeance. L’attitude plutôt conciliante de la mère se heurte donc à l’intransigeance de la fille. Pour Petra Hůlová l’inégalité des hommes et des femmes est un phénomène aux aspects tragiques mais elle refuse de pousser ces antagonismes jusqu’au conflit :
« Depuis mon enfance, je perçois le fait que les femmes sont physiquement plus faibles que les hommes comme une espèce de malédiction. Mais je pense que c’est un phénomène avec lequel on peut composer. Par exemple, nous avons tendance à éliminer de notre vie la galanterie masculine et la considérer comme le signe d’une certaine suprématie. Cependant la galanterie peut être aussi une réaction à cette fragilité physique de la femme et il vaut la peine de la cultiver. »
Petra Hůlová ainsi que l’héroïne de son roman voient donc l’émancipation comme un terrain compliqué, comme un problème qui n’est pas noir ou blanc. Elles restent réalistes et refusent de ne pas voir les différences entre hommes et femmes. Le roman La Carte maîtresse est donc non seulement la confession d’une féministe qui jette un regard désabusé sur sa vie et sur les antagonismes d’une société en plein changement mais aussi une critique lancée dans ses propres rangs.