« Macocha » de Petra Hůlová, la descente dans un abîme
« Ce qui m’intéresse, c’est de confronter les conventions et les modes de comportements et de réflexion habituels à quelque chose de différent. J’aime être désagréable », dit la romancière tchèque Petra Hůlová et son dernier roman intitulé « Macocha » démontre que ce ne sont pas de vaines paroles. Il y a quelque chose de violent, de provocateur et d’intolérable dans ce texte adulé par les uns et décrié par les autres.
« Avant, ce que je trouvais essentiel avait beaucoup plus un caractère intemporel. Je pensais que ce qui était important dépendait beaucoup moins du temps et de l’espace. Je me demandais comment saisir le mieux possible et à ma propre façon les variations sur des thèmes éternels, et l’aspect temporel y manquait presque absolument. Et puis j’ai commencé à réaliser petit à petit que chacun est ancré d’une certaine manière dans son époque et la façon dont il la reflète, se retrouve aussi dans son écriture. Par conséquent, ne pas s’avouer cela, c’est prendre une attitude qui est fausse. »
Petra Hůlová considère son écriture comme une espèce de journal intime transformé par la fiction. Elle aime les problèmes que lui pose sa création, elle aimer relever les défis au niveau de la forme. Et elle y ajoute aussi l’effort de ne pas stagner, de ne pas rester bloquée au même point, d’aller toujours vers quelques chose d’inédit, qui n’a pas encore fait ses preuves. Elle a toujours besoin de courir un certain risque :
« Je n’ai pas l’intention d’écrire une réflexion fidèle ou transformée de la société. Si elle se trouve quand même dans mon écriture, c’est que je suis consciente de l’emprisonnement mental et physique dans l’époque et dans l’espace dans lesquels je vis. J’en suis consciente plus que dans le passé où je pensais que pour écrire il fallait avoir la tête dans les nuages et qu’il valait mieux ne pas se salir par des choses autour de moi. »
Il n’est pas facile de traduire le titre du dernier roman de Petra Hůlová. Macocha est un gouffre profond situé en Moravie du Sud et entouré de terrifiantes légendes. Le nom du gouffre évoque cependant aussi le mot tchèque « macecha » qui signifie « marâtre, belle-mère » et qui est souvent donné aux mauvaises mères, aux femmes qui n’aiment pas leurs enfants. Le titre du roman est donc à la fois une invitation à la descente dans le gouffre de l’âme humaine et le récit d’une mère qui a une relation très compliquée avec ses enfants. Qui est donc cette femme qui nous raconte sa vie? L’auteure n’aime pas beaucoup parler de son héroïne :« Les réactions à mon dernier livre Macocha ont été très controversées et souvent diamétralement opposées. Il y en a qui sont enthousiastes, et il y en a qui pensent qu’il s’agit des bas-fonds littéraires. C’est ce qu’ont dit certains critiques. J’ai refusé de donner des interviews sur ce livre parce que j’ai l’impression que cela détournerait l’attention au dépend de ce que j’ai écrit. On se demanderait sans doute si c’est autobiographique ou non. Je voulais faire parler le livre lui-même. C’est pourquoi je ne l’ai pas commenté et je n’en ai même pas envie. Je peux dire seulement en bref que c’est un récit raconté à la première personne par une femme. Elle est alcoolique et écrit de la littérature de mauvais genre. C’est donc son monologue qui est très dur et cru. C’est une méchante femme qui crie parfois ce qu’elle pense du balcon de son appartement. C’est donc un peu fou, un peu ivre. Elle parle sans ménagement des choses qui sont importantes aussi pour moi, sur les relations en famille, sur les enfants, sur la création. Voilà, ce que c’est. »
La femme qui nous raconte ce récit situé à la limite entre la réalité et le délire, a probablement un véritable don pour la littérature, mais après des débuts prometteurs, elle a renoncé à ses ambitions littéraires et a fini par écrire une longue série de romans de mauvais genre. Installée désormais définitivement dans ce qu’on appelle la paralittérature, elle continue à écrire en s’aidant de fortes doses d’alcool. Son mariage avec un journaliste a échoué et ses rapports avec ses deux enfants devenus adultes, sont extrêmement tendus. Elle partage maintenant sa vie avec un homme qui n’a rien d’un intellectuel. Installateur en climatisation, il ne discute pas avec elle les problèmes de la littérature mais il apporte dans son existence la sensualité et le sens de la réalité. C’est probablement grâce à lui qu’elle n’a pas encore définitivement sombré dans l’abîme de l’alcoolisme. Le texte du livre est une longue confession sur une vie ratée, sur une perte totale d’illusions, sur un vide que la création littéraire n’arrive pas à combler. La narratrice que sa fille appelle Macocha, dévoile devant le lecteur avec une franchise choquante, les vicissitudes de sa vie, les failles de son caractère et les recoins sombres de sa sexualité. Elle évoque aussi l’éducation négligée et peu conventionnelle qu’elle a donnée à ses enfants.Toutes ces choses sont importantes aussi pour Petra Hůlová. Elle l’avoue et le lecteur en vient nécessairement à se demander, dans quelle mesure le roman reflète la vie de l’auteur, quelle est la part d’éléments autobiographiques dans ce récit corrosif. Petra Hůlová évite de répondre à cette question, mais elle parle très ouvertement de la maternité qui est un des grands thèmes sinon le thème majeur de son livre :
« Avant de devenir mère, je savais déjà comment serait la maternité, je savais l’imaginer. Donc finalement ce n’était pas une surprise pour moi. A peu près à l’âge de vingt ans, je savais déjà quel serait le caractère de la joie que nous donnent les enfants, et aussi quel serait le caractère de la peine qu’ils nous apportent. Et cela s’est finalement confirmé. (…) Avant de devenir mère, j’avais peur de m’abrutir, de me décerveler. Selon un sondage que j’ai trouvé dans un journal, après la trentaine, l’intelligence des femmes baisse dans une certaine mesure, parce qu’elles s’occupent des enfants et n’utilisent leur intellect que partiellement. Je pense que je me suis également abrutie et puis je me suis ressaisie quand les hormones sont parties. Je suis donc reconnaissante pour cette expérience, bien que je pense que nous pouvons très bien vivre sans enfant et que cela ne diminue pas nécessairement la valeur de la vie. »
Le style que Petra Hůlová a choisi pour transmettre au lecteur la confession de l’héroïne de son roman, reflète la nature désordonnée de cette femme. La ligne de la narration ne cesse d’être interrompue par d’innombrables digressions, la narratrice ne nous épargne aucun détail répugnant. Personne et rien ne sont épargnés par le regard critique de cette observatrice violente. Elle ne recule même pas devant les mots grossiers et le lecteur se sent parfois comme une victime innocente de sa logorrhée. Parfois, il ne sait même pas d’ailleurs, si les faits et les situations évoqués par cette narratrice déchaînée relèvent encore de la réalité ou s’il s’agit déjà des visions provoquées par l’abus d’alcool. Il se perd souvent dans le labyrinthe de cette confession en cherchant péniblement dans ce texte une raison d’être, un sens profond et une lueur d’espoir.
Pourtant, quand il referme le livre, il sent comme une libération. La franchise ravageuse de ce texte a balayé toutes les illusions, tous les préjugés et tous les lieux communs. Il sent comme un vide et hésite à le remplir de ses propres sentiments et de ses propres illusions.
(Le roman de Petra Hůlová «Macocha» est sorti aux éditions Torst.)