Légendes et histoires vraies, au confluent de la Vltava et de l’Otava
À une centaine de kilomètres au sud de Prague, si l’on suit le cours de la Vltava, on tombe sur l’un de ces ouvrages techniques toujours aussi impressionnants lorsqu’on se retrouve juste devant : le barrage d’Orlík. Construit dans les années 1950, sa construction a fatalement entrainé l’ensevelissement de centaines de maisons, de moulins, de chapelles et de souvenirs, laissant place, en amont, à la plus grand e retenue hydroélectrique existant aujourd’hui en République tchèque. C’est dans cette région, et plus précisément au confluent de deux rivières, l’Otava et la Vltava, que ce magazine touristique vous invite cette semaine. Du château d’Orlík au fort de Zvíkovské Podhradí, un chemin de randonnée séduira les amoureux de beaux paysages, et conduira les curieux, de légendes en histoires insolites. Écoutez donc, Radio Prague en a collecté quelques-unes pour vous.
« Je suis né à Radava, où il y avait quatorze habitations. La plupart des gens, ici, n’avaient rien d’autre que leur maison. Les hommes, en général le père de famille, travaillaient à la forêt, celle qui appartient au prince de Schwarzenberg. Certains étaient des draveurs, d’autres construisaient les radeaux. Mais tous savaient nager et se tenir sur un radeau. »
De nos jours encore très développée, l’exploitation forestière est depuis longtemps enracinée dans la région. Les forêts de la famille Schwarzenberg réservées à l’exploitation représentent par exemple une superficie de 10 500 hectares.
Le hêtre et le pin sont les deux types d’arbres principalement exploités, ainsi que le chêne dans une moindre mesure. À l’abord des plantations, on trouve parfois une étrange boîte en métal percée de rainures, servant de piège aux scarabées et autres insectes xylophages (les mangeurs de bois). Les histoires liées à l’industrie du bois ne manquent pas dans la région. En voici une que nous a racontée un habitant du village de Zbonín :« Avant, les gens qui habitaient le village étaient tous draveurs. Ils coupaient le bois aux alentours – y a un ravin près d’ici, et ils y apportaient le bois coupé. Ils attachaient les arbres ensemble, les mettaient à la rivière, et les dravaient jusqu’à Lahovice, à Prague – et même plus loin ! Ils gardaient le petit bois pour eux, les branches qui faisaient pas plus d’un mètre, pour les brûler le soir. Les draveurs vendaient le bois au fur et à mesure du chemin, et ils dépensaient souvent l’argent en route, pour se faire rôtir un canard ou bien pour de l’alcool, si bien qu’en arrivant à Prague, il ne leur restait plus rien. Et à cause de cela, ils étaient obligés de rentrer, à pieds, de Prague jusque chez eux. »
Si les arbres sont bien au sec, cela n’a pas toujours été le cas du reste de la vallée. Très instable comme le niveau de n’importe quel cours d’eau, avant l’édification du barrage, la Vltava débordait souvent de son lit. Les crues à cet endroit étaient fréquentes. František Pták se souvient :« Dès qu’il y avait une grosse pluie, ou que la neige se mettait à fondre de la montagne, ou encore si un énorme bloc de glace venait se bloquer dans le moulin, alors ça bloquait toute la rivière, et le niveau de l’eau se mettait à monter, jusqu’à inonder tout le village. En fait, depuis longtemps déjà, on savait qu’il fallait un barrage. Et ça, c’était peu de temps après la révolution de mai, en 1948. »
Trois rivières alimentent le lac artificiel d’Orlík : la Vltava, l’Otava et la Lužnice. On a mesuré par endroits jusqu’à 74 mètres de profondeur. Si des premiers plans et études géologiques ont été réalisés dans les années 1940 en vue de la construction du barrage, les travaux ont véritablement commencé en 1957 pour être définitivement achevés en 1966, soit presque dix ans plus tard. L’eau est progressivement retenue à partir de 1960, et la centrale hydroélectrique d’Orlík peut alors fonctionner. D’une hauteur de 81 mètres très exactement, l’épaisseur du barrage dépasse les 300 mètres. Plus d’un million de tonnes de béton a été nécessaire à sa construction, et lors des dramatiques inondations de 2002, la digue a résisté à la pression du puissant débit d’eau, alors même que le seuil de sécurité avait été dépassé. Si elle avait cédé, on dit que le centre de Prague aurait été inondé jusqu’à la statue de saint Venceslas.Après la création du lac artificiel, la région devient vite un lieu de villégiature apprécié. À la haute saison, il est possible de prendre un bateau au barrage d’Orlík, et de rejoindre ainsi Týn nad Vltavou en passant par Zvíkov. L’écrivain et journaliste František Cacák, auteur du livre La Vltava dans le miroir des cartes postales d’autrefois, nous livre quelques anecdotes :
« Nous nous trouvons en aval de l’écluse. On peut voir ici le fameux village de Vystrkov, où le président Antonín Novotný avait l’habitude de venir jouer aux cartes. C’était connu de tout le monde. L’endroit était tranquille et très sûr. Et au même endroit, mais plus bas, il y avait autrefois un village, qui s’appelait Podskali, et où se trouvaient la chapelle Antonína, un pub, le Na růžku, puis des moulins et aussi la famille des Kuchařů. La petite histoire du village, c’est qu’est né ici le célèbre acteur Josef Šebánek, car sa mère n’a pas eu le temps d’arriver jusqu’à Prague, et elle a dû accoucher ici. » Aujourd’hui, plusieurs chemins de randonnée sillonnent les rives du lac et suivent les méandres de la Vltava. Un sentier très bien balisé part notamment du château d’Orlík et mène au fort de Zvíkovské Podhradí. Le parcours le plus long, mais également le plus beau puisqu’il longe la rivière, fait 25 km. Pour ceux qui le souhaitent, il est possible de prendre ou de récupérer en route un parcours plus court, qui rejoint Zvíkov en 12,5 km. La première partie de la balade traverse les bois du château d’Orlík. On peut voir à travers le feuillage clairsemé de la forêt la demeure royale se refléter dans l’eau de la rivière. Car Orlík, qui fut construit dans la seconde moitié du XIIIe siècle, fut depuis toujours la résidence de princes et autres personnages de hauts rangs. Un de ses propriétaires, Petr Zmrzlík, fut au XVe siècle très engagé dans les campagnes hussites. On dit que c’est au château d’Orlík que Jan Žižka, le chef de guerre des Hussites, aurait dressé ses plans de bataille contre la deuxième croisade. Le parc du château a été aménagé dans les années 1810-1812 par le prince Charles Philippe de Schwarzenberg, en cadeau à son épouse Marie Anna, femme prétendument la plus belle d’Europe. Dédié essentiellement à ses heures de chasse, le prince Charles et maréchal en chef des armées autrichiennes n’en a pas moins veillé à ce que le parc soit aménagé au goût de la princesse, autrement dit dans un style romantique très en vogue à l’époque.Ont donc été édifiées ça et là des sortes de retraites, comme la chapelle Saint-Charles, les ponts de l’ange et du diable, l’étang Mičan, ainsi qu’un petit ermitage avec vue sur la vallée et une cabane forestière, pour ne donner que quelques exemples. Autant de petits oasis ayant survécu ou non au fil du temps et que l’on peut trouver le long de la balade. C’est pour ces curiosités, entre autres, que Kamil et Lucie ont choisi de venir randonner dans le coin :
« On vient de Prague et c’est la première fois qu’on se promène ici à Orlík. C’est un endroit vraiment très intéressant à découvrir. Les chemins de randonnée sont extrêmement bien balisés, il n’y a pas trop de monde, la nature est magnifique, et on peut se baigner. Vraiment, c’est un très bon choix de week-end pour finir l’été. On a prévu de faire les 25 km. En fait, c’est juste bien. Et puis, on a toute la journée pour le faire, on n’est pas pressé. »
À quelques kilomètres au sud du château, se trouve Žďákovský most, le pont en arcs sans poignées le plus long au monde, appelé ainsi en raison du fait qu’il a été construit au-dessus même de Žďákov, le fameux village recouvert par les eaux. D’une portée de 543 mètres et comptant 50 mètres entre le tablier et la surface de la rivière, il fut construit en même temps que le barrage, et offre une vue imprenable sur le paysage alentour. Les amateurs de sensations fortes peuvent y faire du saut à l’élastique. L’histoire de ce pont est malheureusement moins heureuse et bucolique que celle du parc précédemment évoquée.En 1995, une équipe de plongeurs appartenant à la police tchèque remonte en effet des profondeurs, sous le pont, deux barils dans lesquels on retrouve les restes longtemps recherchés des victimes de trois tueurs en série. Le gang est depuis connu sous le nom des « meurtriers d’Orlík ».
Rien de cette affaire n’a bien sûr entaché la beauté du paysage, et tandis que le chemin de randonnée traverse tantôt des clairières, tantôt des boisements bien réguliers, on finit par arriver à Zbonín, qui se trouve à quelques kilomètres de Zvíkov. Là encore, les histoires vont bon train, et au micro de Radio Prague, des villageois racontent :« Le village a été fondé dans les années 1400 et s’appelait à l’origine Zbojníkov, parce que des « zbojníci » (« des bandits ») attaquaient les pèlerins qui se rendaient à Zvíkov, qui est tout près d’ici. Le nom actuel est donc déformé de Zbojníkov. On a retrouvé ce nom sur une plaque, dans une vieille maison, datant de 1300 et quelques. »
« Le sel était acheminé par ce village depuis le XIIe siècle. Les cargaisons partaient de České Budějovice, et ça allait dans la direction de Milevsko et de Zvíkov. Dans le village, il y avait des bacs pour les faire passer de l’autre côté de la rivière, et on chargeait le sel chez nous, ici, sur des charriots, pour le transporter jusqu’à Prague. Et l’histoire des bandits est vraie, parce que quand les gens arrivaient avec le sel, des habitants se mettaient à faire du feu, et la fumée était le signe, pour les bandits qui attendaient dans les parages, que les gens arrivaient de l’autre côté de la rive avec le sel. Les bandits leur volaient alors leur argent. Les autres continuaient vers Prague avec leur sel pour seule consolation. »Et si les bandits de Zbonín faisaient d’antan bonne pêche, les habitants de Zbonín aujourd’hui sont également, à ouï dire, de bons pêcheurs mais… d’eau douce.
« Un de mes amis a réussi à pécher un silure de 2,15 mètres. 54 kg. Il s’est pris en photo avec, mais il l’a relâché ensuite. Pour moi, c’est le signe que c’est un vrai pécheur. »
« Hier, il y avait une compétition de pêche, et une carpe de 70 cm a été pêchée. On l’a remise dans l’eau ensuite, parce qu’elle doit se reproduire. »« Lui, là, quand il va à la pêche, il pique toujours un somme. Il ne sait même pas s’il prend quelque chose ou pas, et quand il se réveille, s’il y a un poisson, il rentre chez lui. »
La pêche aux histoires semble avoir été bonne aujourd’hui, il est donc temps de s’arrêter là pour aujourd’hui. À bientôt, pour une prochaine page touristique.
Rediffusion du 22/08/13