Législatives : les Tchèques de l’étranger plaident toujours pour le vote à distance
111 ambassades et consulats généraux tchèques répartis dans 91 pays à travers le monde ont ouvert la semaine dernière leurs portes aux expatriés tchèques à l’occasion des élections législatives. Ces chiffres à première vue élevés cachent pourtant d’importantes disparités entre les territoires qui ont été accentuées au cours de la crise sanitaire. Si ceux installés en Allemagne peuvent voter à Berlin, Dresde, Düsseldorf ou Munich, ceux vivant en France ne peuvent s’exprimer qu’à Paris tandis que ceux qui résident en Nouvelle-Zélande sont contraints de se rendre en Australie. L’introduction du vote à distance fait l’objet de débats récurrents au sein du Parlement tchèque mais les résultats sont, jusqu’à présent, toujours restés infructueux. Les espoirs reposent désormais sur le prochain gouvernement pour changer la donne.
Sur les 600 000 Tchèques qui vivraient actuellement de façon permanente ou temporaire à l’étranger, seuls 13 000 d’entre eux se sont rendus dans l’un des 111 bureaux de vote ouverts à l’étranger lors des élections législatives d’octobre. Pour l’heure, s’ils souhaitent participer aux élections présidentielles et législatives de leur pays d’origine, les expatriés tchèques doivent nécessairement se rendre à leur ambassade ou consulat général de secteur. Un tel déplacement peut s’avérer chronophage et coûteux s’ils n’habitent pas à proximité de l’une de leurs représentations diplomatiques. Cependant, aucune alternative ne leur est proposée pour participer aux différents scrutins puisque le vote à distance, qu’il soit par correspondance ou par voie électronique, n’est toujours pas instauré en République tchèque. Le pays figure parmi les derniers Etats de l’Union européenne à ne pas avoir encore franchi le pas en la matière.
L’instauration du vote à distance pour les Tchèques de l’étranger était pourtant au nombre des promesses inscrites dans le programme du gouvernement d’Andrej Babiš en juin 2018. Trois ans plus tard, force est de constater que cette proposition est restée lettre morte. Le projet a été avorté précocement au lendemain des élections présidentielles américaines de 2020 lorsque Donald Trump, d’abord annoncé en tête, s’était finalement retrouvé distancé par son adversaire démocrate après la comptabilisation des votes à distance. Le président sortant avait alors dénoncé des fraudes massives orchestrées par le camp adverse. Si ces suspicions de fraudes n’ont jamais été avérées, il n’en a fallu cependant pas davantage pour que le projet en République tchèque soit définitivement enterré.
Lenka Hadravová continue cependant de militer en faveur de la reconnaissance du droit de vote à distance pour les Tchèques de l’étranger, au sein de l’Initiative Chceme volit distančně (Nous voulons voter à distance), créée en 2019. Anthropologue à l’Université de Melbourne, Lenka Hadravová est la coordinatrice de l’Initiative pour les Tchèques installés en Australie. Pour la jeune femme, les élections présidentielles américaines n’ont été qu’un prétexte, la défiance du gouvernement tchèque à l’égard du vote à distance trouve ses fondements ailleurs :
« Selon moi, la raison pour laquelle le changement de loi n’a pas encore eu lieu est à la fois politique et sociohistorique. Tout d’abord, les partis politiques au pouvoir ont activement bloqué ce type de vote. Cela a été d’autant plus manifeste lors du changement de la loi électorale plus tôt cette année. Dans leurs calculs politiques, les partis au sein du gouvernement s’appuient sur les statistiques des élections antérieures, au cours desquelles les Tchèques vivant à l’étranger ont généralement voté pour l’opposition et pour le professeur Jiří Drahoš dans le cas de la dernière présidentielle. »
Les résultats des dernières élections législatives étayent effectivement cette position. Tandis qu’en République tchèque le mouvement ANO du Premier ministre était au coude-à-coude avec la coalition conservatrice Spolu (Ensemble) aux alentours de 27% des suffrages, à l’étranger le vote des expatriés était tout autre. Le mouvement d’Andrej Babiš n’y est arrivé qu’en troisième position avec 5% des voix, loin derrière les coalitions PirSTAN (50,47%) et Spolu (34,26%). Outre des intentions de vote défavorables, Lenka Hadravová avance également une seconde explication à cette méfiance vis-à-vis des expatriés.
« Ces partis populistes s’appuient sur les craintes d’un segment spécifique de la société tchèque qui a émergé lors du changement de régime en 1989 et de la montée des inégalités que le néo-libéralisme a favorisée durant les années 1990. Les Tchèques vivant à l’étranger, et en particulier ceux qui habitent à l’Ouest, sont généralement perçus par cet électorat comme menaçant leur sécurité existentielle qu’ils pensent avoir acquise depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement sortant. Cette approche puise aussi dans un imaginaire collectif antérieur à 1989, toujours très influent, concernant les Tchèques qui ont quitté le pays. Ces derniers avaient l’habitude d’être décrits par la propagande communiste comme des traîtres qui ont abandonné leur patrie pour l’ennemi capitaliste en quête de gloire. Cette idée que les expatriés tchèques mènent une vie facile et aisée, guidés par leurs intérêts propres et se souciant peu des gens ordinaires persiste encore pour certains. Quand bien même nous gardons contact avec nos proches, nous lisons les actualités quotidiennement, nous nous rendons régulièrement en Tchéquie, pour ces personnes nous ne pouvons pas correctement comprendre la vie en République tchèque. »
L’exercice du droit de vote de tout citoyen tchèque, quel que soit son lieu de résidence, ne devrait pourtant pas être négociable. Ne pas reconnaître ce droit revient à saper les fondements mêmes de la démocratie, comme le soutient Lucie Slavíková-Boucher, installée en France et fondatrice de l’Ecole tchèque sans frontières :
« Il serait temps que notre représentation politique comprenne que les Tchèques à l’étranger ne sont pas des personnes qui sont parties et qui ne reviennent jamais. L’évolution du pays les concerne bien évidemment. Et même s’ils n’y ont pas un bien, ils y ont très souvent une famille et par conséquent le destin de la République tchèque les regarde de près. L’élément le plus important est que la représentation politique comprenne que nous faisons partie du pays et que nous sommes des Tchèques à part entière avec tous les droits et toutes les obligations que cela implique – et notamment le droit d’avoir une réelle possibilité de voter. Ce qui n’est malheureusement pas le cas quand le vote peut s’effectuer uniquement dans les ambassades ».
Se rendre à l’ambassade tchèque la plus proche n’est, en effet, pas toujours évident considérant la distance et les frais qu’un tel déplacement peut induire. L’instauration du vote à distance aurait également été la bienvenue pour les élections législatives d’octobre au regard de la crise sanitaire actuelle qui entrave encore dans certains pays la libre circulation des individus, à l’image de l’Australie où vit Lenka Hadravová :
« J’habite dans la péninsule de Mornington, près de Melbourne. Pour me rendre à Canberra, la capitale, cela me prendrait six heures et demie en combinant le bus, le train et l’avion ou huit heures en voiture. Le tout me reviendrait à 100 dollars australiens (63 euros) pour l’aller. Il faudrait ensuite ajouter à cela au moins une centaine de dollars pour le logement ».
« Il nous est donc tout simplement impossible d’exercer notre droit de vote durant la crise sanitaire actuelle. »
« Par ailleurs, à cause de l’épidémie, nous ne sommes pas autorisés à quitter un périmètre de dix kilomètres autour de notre domicile. Bien que se rendre à une ambassade ou à un consulat soit considéré comme un motif impérieux pour quitter ce périmètre, cela ne reste envisageable actuellement que pour ceux vivant à Sydney ou à Canberra. Pour les 60% de Tchèques expatriés en Australie mais qui ne résident pas dans ces deux villes, exercer son droit de vote implique deux semaines de quarantaine à l’arrivée à Sydney ou à Canberra et le même délai d’isolement une fois de retour. Il nous est donc tout simplement impossible d’exercer notre droit de vote durant la crise sanitaire actuelle. Vous comprenez alors que ceux qui souhaitent participer aux élections tchèques en Australie doivent être très patriotes. »
Les tentatives parlementaires pour introduire le vote à distance ne manquent pourtant pas depuis deux décennies. La dernière remonte à juillet 2021, quand une cinquante de sénateurs de l’opposition issus notamment des rangs des Maires et Indépendants et du parti TOP 09 ont défendu la mise en place du vote par correspondance, deux partis qui figurent désormais au sein de la grande coalition post-électorale portée par Petr Fiala (ODS). Tous les regards se tournent donc à présent vers la nouvelle majorité parlementaire pour bouger les lignes et enfin répondre favorablement aux demandes des Tchèques de l’étranger.
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