L’Egyptologie tchèque, passé et avenir
On le sait peu, l’égyptologie tchèque peut s’enorgueillir d’une longue tradition. Nous en parlons aujourd’hui avec, bien sûr, la question de l’incidence des événements récents en Egypte, qui a vu la chute du président Hosni Moubarak le 11 février dernier, sur les recherches des équipes tchèques sur le terrain.
« Notre Institut travaille à Abousir (à environ 20 km au sud du Caire, ndlr) depuis 1960 et nous avons déjà fouillé un grand nombre de monuments importants de l’Egypte antique. Abousir était une nécropole royale durant les débuts de la Ve dynastie, durant la moitié du premier millénaire avant J.-C. Elle concerne des personnalités importantes de l’époque. »
« Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de monuments royaux mais aussi d’un certain nombre de tombes de particuliers : dignitaires, courtisans ou membres de la famille royale. Nous avons jusqu’à présent étudié plusieurs centaines de momies et squelettes, dont la plupart mal préservés. En effet, dans cette partie du désert, et notamment sur le terrain des pyramides, les terres ont longtemps servi à inhumer les habitants des villages voisins. Nous avons donc également trouvé des tombes de gens humbles, enterrés de manière simple, à même le sable. Nous avons donc l’ensemble des échelons sociaux, à différentes époques. »
Abousir, littéralement, « la Maison du Temple d’Osiris », est un site particulièrement riche, abritant 14 monuments, dont au moins sept pyramides. Les événements qui ont agité l’Egypte depuis janvier dernier ont-ils eu des incidences sur le site et les activités de l’équipe de recherche ?
« Oui, cela a eu et aura encore un impact. Nous avions prévu de nous rendre en Egypte début mars. A l’heure actuelle, nous ne savons même pas quand nous pourrons y aller ni quand nous pourrons reprendre nos travaux à Abousir. Surtout, nous ne connaissons pas encore l’impact des actions des populations avoisinantes. En effet, un bon nombre de sites ont été visités et pillés et la situation est assez confuse. Nous devons tout d’abord nous assurer de l’état des lieux, et ensuite il faudra essayer de travailler de concert avec les personnes locales pour améliorer la situation. Cela va donc retarder les travaux tels que nous les avions planifiés. »Deux noms s’inscrivent parmi les pères fondateurs de l’égyptologie tchèque, qui remonte à la fin du XIXème siècle avec Jan Kminek-Szedlo, pour se perpétuer ensuite avec František Lexa et d’autres noms tout aussi emblématiques.
« Jan Kminek-Szedlo était le premier égyptologue tchèque mais il a passé le plus clair de sa vie en Italie. Il est donc peut-être d’abord un pionnier de l’égyptologie italienne ! Bien sûr, son nom est connu en République tchèque et nous le considérons comme l’un de nos illustres prédécesseurs. Lexa fut le premier qui commença à enseigner l’égyptologie en tchèque, c’était à l’université Charles de Prague en 1919. Avant lui cependant, dès 1913, l’égyptologie avait été enseignée dans la partie allemande de ce qui s’appelait alors l’université Charles-Ferdinand. »
« Lexa arrive un peu plus tard, dans les années 1920, à une époque où il y avait déjà beaucoup d’égyptologues à travers le monde. Il s’est spécialisé dans les études de démotique. La démotique désigne l’aspect avancé de la langue de l’Egypte antique, parlée et écrite durant le premier millénaire avant J.-C. Lexa était un leader dans ce domaine de recherche. »Sur les relations entre chercheurs tchèques et allemands, les tensions des années 1930 ne semblent pas avoir eu de conséquences :
« Cette période était plutôt sous le signe de la collaboration et la coopération entre chercheurs tchèques et allemands, car ils étaient tous membres de l’Institut oriental, qui avait été créé en 1929. Ils avaient donc travaillé ensemble, se connaissaient et coopéraient de différentes manières. »
L’Institut tchèque d’égyptologie est fondé en 1958, donc en plein communisme mais dans un contexte de déstalinisation, certes tardive, en Tchécoslovaquie. La naissance de l’Institut est pourtant moins liée au contexte de Guerre Froide qu’à celui du Proche-Orient.« La naissance de l’Institut est née d’une coïncidence d’événements. En 1956, après la crise et la guerre de Suez, les Egyptiens ont mis un terme aux missions de recherche des Anglais et des Français. Il y avait donc là un espace vide, dans lequel nos collègues polonais, par exemple, n’ont pas tardé à s’installer, de même que les Allemands, dont les recherches avaient été impossibles durant la seconde guerre mondiale (l’Egypte étant alors sous tutelle britannique, ndlr). Au milieu des années 1950, Zbyněk Žába – le deuxième à enseigner l’égyptologie à Prague après Lexa – enseignait le tchèque dans la deuxième université du Caire. Il lui est venu l’ idée d’installer, à la faveur des événements, une équipe archéologique tchèque qui travaillerait en permanence en Egypte ».
L’Egyptologie constitue sans doute, aux yeux du régime communiste, une matière assez éloignée des préoccupations de l’époque, une discipline a-politique. Les chercheurs n’en sont pas moins étroitement surveillés, et d’abord pour les contacts qu’ils pourraient nouer en Egypte.« L’Institut était financé par le régime mais il était étroitement contrôlé. Les conditions de recherches étaient donc un peu irrégulières. Nous étions surveillés par les gens de l’ambassade. Notre travail constituait dans le même temps une possible propagande tchécoslovaque et pouvait être utilisé ainsi par le régime. »
« Nous étions parmi les premières missions à avoir essayé différentes méthodes d’études géophysiques. A cette époque, en 1971, très peu d’équipes travaillaient ainsi. Depuis, l’analyse géophysique est passée dans les usages de la recherche archéologique. Elle donne en effet des résultats intéressants, sans même toucher au sol. »Il y a quelques années, un hebdomadaire français à grand tirage publiait un article, sous forme de révélation historique : Moïse serait en fait un membre de la dynastie des Pharaons... Particulièrement aigü concernant l’Egypte antique, très populaire auprès du grand public, le traitement médiatique de l’histoire est-il également soumis à rude épreuve par les médias tchèques ?
« C’est un problème partout et pas seulement en France bien sûr. En effet, l’Egypte antique représente une période particulièrement intéressante. Elle exerce une certaine fascination sur de nombreuses personnes. Beaucoup d’aspects éveillent la curiosité aujourd’hui : différents mystères, on s’en doute, sont très populaires auprès du grand public. D’un côté, c’est utile pour nous car cela attire l’attention sur ce qui est notre sujet d’étude. Mais d’autre part, il peut s’avérer difficile d’expliquer aux amateurs que tout ce qui a été écrit dans les journaux ou montré à la télévision sur l’Egypte, ne correspond pas à la réalité historique. C’est un peu fastidieux mais bien sûr, nous sommes très heureux que les gens soient intéressés par nos travaux et par l’Egypte antique en général. » En temps normal, le site d’Abousir, comme les autres sites égyptiens, bénéficie d’une protection contre les risques de pillage mais ce n’est plus le cas depuis quelques semaines. Espérons que les déconvenues de l’Institut tchèque d’égyptologie restent limitées quand ses membres, parmi lesquels Ladislav Bareš, retourneront sur place.