L’élection présidentielle 1918-2013

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Jamais auparavant dans l’histoire moderne tchèque, le président de la république n’avait été élu au suffrage universel direct. Jusqu’à présent, c’était le parlement qui avait le droit d’élire le président, soit au scrutin secret, soit à main levée. En attendant l’issue du second tour de la première élection au suffrage direct, retour sur des péripéties de la présidentielle durant les 95 ans d’existence de l’Etat tchèque.

Tomáš Garrigue Masaryk,  photo: Josef Jindřich Šechtl,  Creative Commons 3.0
Dix présidents se sont succédés à la tête de l’Etat, depuis 1918 jusqu’à nos jours. Pour l’historien Jaroslav Šebek, il est un chapitre à part dans l’histoire de la présidentielle : la pratique communiste de l’élection à l’unanimité, par acclamation, d’un candidat unique désigné à l’avance. Un déroulement atypique a marqué la première élection du président libérateur, Tomáš Garrigue Masaryk, ovationné debout par les parlementaires:

« La première élection présidentielle organisée le 14 novembre 1918, quelques jours après la naissance de l’Etat tchécoslovaque, a été de la part de l’Assemblée nationale révolutionnaire une confirmation par acclamation du leader de la résistance étrangère et du président fondateur, Tomáš Garrigue Masaryk, dans les fonctions de chef du nouvel Etat. »

Resté le plus longtemps dans ses fonctions, Tomáš Garrigue Masaryk a été réélu quatre fois. La deuxième élection s’est déroulée au printemps 1920. Une tension dans les rapports tchéco-allemands a alors marqué la procédure :

August Naegle
« Le bloc civique allemand de partis de droite a nommé un contre-candidat pour concurrencer Masaryk : le professeur de l’Université allemande de Prague, théologien et historien Auguste Naegle. La dignité de l’élection a été perturbée par les protestations des législateurs allemands qui ont quitté la salle avant que le président Masaryk ne prête serment. »

Ceci n’a rien changé au fait que le président réélu a brigué un nouveau mandat dont la durée est passée cette fois de 5 à 7 ans. La troisième élection, en mai 1927, a été la plus difficile pour Masaryk. Plusieurs partis politiques ont critiqué les activités du Château en tant que deuxième centre de pouvoir dans le pays et ses interventions dans les affaires du gouvernement. Finalement, Masaryk a été élu dès le premier tour, bien que par une majorité étroite de voix. Icône démocratique, il a été réélu encore une quatrième fois, au printemps 1934, même s’il a longuement hésité avant d’accepter la nomination, vu la dégradation de son état de santé. Jaroslav Šebek:

Tomáš Garrigue Masaryk
« Dans cette élection, Masaryk avait un rival – le chef communiste Klement Gottwald, disciple fidèle de Moscou. Les liens de ce dernier avec les soviétiques ont été documentés par le texte des tracts électoraux passible de poursuites judiciaires qui ont contraint Gottwald à se réfugier en URSS. Le soutien accordé un an plus tard par le parti communiste à l’élection d’Edvard Beneš, a été dans une grande mesure influencée par la recommandation du Kremlin qui a jugé préférable d’appuyer la bourgeoisie démocratique en tant que contrepoids au fascisme. »

L’élection la plus dramatique, sous la première République, a incontestablement été celle de décembre 1935 : après sa démission, un mois auparavant, Masaryk a recommandé à sa place le ministre des Affaires étrangères, Edvard Beneš. Sa nomination a suscité une vive opposition. C’est alors que le lobbyiste Jan Jiří Rikl, politicien catholique influent qui entretenait des contacts avec les milieux diplomatiques européens et la curie papale, est intervenu dans la campagne. Jaroslav Šebek :

Edvard Beneš,  photo: Library of Congress
« Le nouveau nonce apostolique, Saverio Ritter, s’est prononcé en faveur de Beneš. Le Saint-Siège avait l’ambition de créer un bloc d’Etat centre-européens dans lesquels les partis catholiques auraient la majorité, pour faire face au national-socialisme allemand. Les milieux catholiques ont accordé leur soutien à Beneš en dépit de son appartenance à la franc-maçonnerie, incompatible avec l’Eglise catholique. Le drame de l’élection présidentielle a culminé après la rencontre d’Edvard Beneš avec le leader du parti populaire slovaque Andrej Hlinka, qui a finalement fait pencher la balance en sa faveur. Ainsi, le jour du vote, Edvard Beneš a remporté 340 voix sur les 440 législateurs présents. »

Après la signature des accords de Munich et l’annexion des régions limitrophes par Hitler, Beneš abdique. Emil Hácha est installé dans les fonctions de président du Protectorat de Bohême et de Moravie. Devenu président en exil, Edvard Beneš reprend, après la fin de la guerre, son mandat. Après le putsch communiste de février 1948, il est obligé d’accepter la démission du cabinet démocratique et de nommer Klement Gottwald, stratège du putsch, président du conseil. Février 1948 marque une dégradation du poste de président de la République, les rênes du pouvoir étant prises par le parti communiste. C’est le début de l’ère dite des présidents ouvriers. Celle de Klement Gottwald sera marquée par la terreur communiste, la liquidation des Eglises, la collectivisation, la confiscation des biens privés. 241 personnes seront exécutées à l’issue des procès politiques.

Ludvík Svoboda
Antonín Zápotocký, disciple de Gottwald, lui succède après sa mort, en mars 1953. Zápotocký meurt en 1957 et c’est à nouveau Moscou représenté par Nikita Khrouchtchev qui décide du futur président tchécoslovaque, Antonín Novotný :

« L’élection de Ludvík Svoboda, en mars 1968, au début du Printemps de Prague a été une exception dans la grisaille communiste. La nomination du général Svoboda, héros de guerre, persécuté dans les années 1950, a été un compromis entre l’aile réformatrice et l’aile conservatrice au sein du PCT, compromis qui ne devait pas, en même temps, trop provoquer les Soviétiques. »

Après l’écrasement du processus du renouveau, Ludvík Svodoba a été réélu encore en 1973. Atteint d’apoplexie, il est contraint de quitter ses fonctions et c’est Gustáv Husák qui arrive, en 1975, à sa place pour y rester jusqu’à la révolution de Velours.

Le 29 décembre 1989, Václav Havel est élu à l’unanimité, par le parlement encore communiste, nouveau président tchécoslovaque :

Václav Havel,  photo: CT
« En tant que symbole du changement et incarnation de la résistance au système totalitaire, Václav Havel a été réélu en juin 1990. Il est resté dans ses fonctions jusqu’à sa démission, en 1992, date de l’éclatement de l’Etat fédéral. Le 26 janvier 1993, le parlement unicaméral tchèque l’a élu président de la nouvelle République tchèque. L’élection a eu lieu dans les locaux de la Chambre des députés, au palais Thun, ce même palais où Tomáš Garrigue Masaryk avait été élu premier président tchécoslovaque, le 14 novembre 1918. »

Cinq ans plus tard, le 20 janvier 1998, Václav Havel a été réélu de justesse, au second tour, en l’absence de son rival, Miroslav Sládek, leader du parti républicain alors placé en détention préventive pour incitation à la haine raciale. Les républicains ont ensuite porté plainte auprès de la cour constitutionnelle pour irrégularité de la procédure.

Václav Klaus,  photo: Archives de ČRo7
En 2003, le dernier mandat de « l’irremplaçable » Václav Havel a expiré et c’est Václav Klaus qui lui a succédé. En 2008, Václav Klaus a été réélu par le parlement dans une procédure critiquée pour sa complexité et pour soupçon de corruption. En février 2012, les parlementaires ont finalement décidé que le chef de l’Etat serait désormais élu au suffrage universel direct.

S’il ne dispose pas de prérogatives aussi étendues qu’en France ou aux Etats-Unis, le président tchèque nomme le cabinet, entérine les lois adoptées par le parlement ou y oppose son veto. Il a aussi le droit d’accorder des amnisties. Or celle déclarée par Václav Klaus le 1er janvier a déclenché un débat sur cette prérogative.