L’endettement des ménages, un enjeu crucial en Tchéquie

Foto: Barbora Němcová

La démocratie tchèque menacée par la crise de l’endettement privé en République tchèque ? C’est le diagnostic d’un article publié dimanche par le quotidien The Guardian. Le problème, avec des procédures de saisie-acquisition d’une grande brutalité, est bien connu et il concerne des centaines de milliers de Tchèques.

Photo illustrative: Barbora Němcová,  Radio Prague Int.
« Si vous êtes endetté en République tchèque, l’Etat vous criminalise. C’est pire que si vous étiez un véritable criminel », explique Renata, dont le témoignage est rapporté par le journal britannique. Son cas serait exemplaire. Après la faillite de sa petite entreprise dans le BTP, suite à la crise de 2008, elle s’est séparée de son mari et s’est fait saisir sa maison et ses biens. Vivant désormais seule avec sa fille, à 54 ans, Renata est toujours sous le coup de 34 procédures de saisie-acquisition pour une somme totale à rembourser de 7 millions de couronnes, quelque 270 000 euros.

Cette situation, qui semble sans issue, a à voir avec l’une des législations européennes les plus sévères en matière de recouvrement de dette. Depuis 2001, le marché tchèque a été ouvert à des huissiers de justice privés. Ils sont aujourd’hui environ 150, livrés à une très forte concurrence. Pour bénéficier d’une mise en faillite plus souple, une personne endettée doit prouver qu’elle est en capacité de régler à brève échéance au moins 30 % de sa dette, une condition généralement inapplicable.

De surcroît, plus une personne dispose d’un salaire élevé, moins il lui reste d’argent pour vivre si elle est sous le coup d’une procédure de saisie. Une absurdité, puisqu’il n’y a aucun intérêt à travailler pour rembourser sa dette, que dévoilait en décembre une enquête de journalistes de la Radio publique tchèque. Lucie Streichsbierová, du centre Rubikon, une organisation qui aide à la réinsertion dans la société, confirme :

« Pour toute personne qui fait l’objet d’une procédure de saisie-acquisition, qu’il s’agisse d’un diplômé de l’enseignement supérieur ou de quelqu’un pouvant prétendre aux postes les mieux rémunérés, il est plus avantageux de gagner de l’argent en travaillant au noir ou bien en empruntant les voies de l’économie grise. »

En 2017, 863 000 personnes, soit près d’un dixième de la population tchèque, faisaient l’objet d’au moins une procédure pour endettement. Et cela peut toucher n’importe qui. Une simple amende obtenue pour défaut de présentation d’un ticket valable dans les transports en commun, qu’on oublie de régler, peut prendre des proportions énormes après plusieurs années. D’après une étude de l’agence Median, cela concerne un cas sur dix. Mais le plus souvent, les personnes menacées de saisie le sont pour des loyers ou des factures d’eau ou d’énergie impayés.

Jan Kněžínek,  photo: ČT24
Il est clair que la majorité de ces dettes ne pourront jamais être remboursées. Le phénomène, qui condamne des milliers de personnes à la pauvreté et sape, selon l’enquête de l’agence Median, la confiance dans les institutions de l’Etat tchèque, est régulièrement pointé du doigt dans les médias tchèques. Ces dernier mois, le journal en ligne A2larm a par exemple publié une riche série d’articles sur le sujet. Et il semble que cela bouge désormais également au niveau politique. Le ministre de la Justice Jan Kněžínek (ANO) veut en tout cas du changement :

« Nous devons poursuivre l’objectif de faire en sorte que le travail paie, même pour les personnes sous le coup d’une procédure de saisie ou de faillite. Cela n’est possible que si nous garantissons à ces personnes des revenus suffisants pour vivre dignement. »

Pour cela, le gouvernement veut relever la part d’un salaire que ne peut saisir l’huissier de justice.

Le problème est aujourd’hui d’autant plus visible que l’économie tchèque connaît une croissance soutenue depuis plusieurs années, avec un niveau de chômage historiquement faible. « Le principal frein sur le marché du travail n’est pas le manque de postes, mais l’impossibilité dans ce pays de se désendetter », remarquait ainsi récemment David Beňák, le directeur de l’agence gouvernementale pour l’inclusion sociale.