Lenka Froulíková, professeur de tchèque en France et traductrice

Lenka Froulíková, photo: MZV ČR

Lundi 12 novembre, la rédaction française de Radio Prague organise, à l’Institut français, une soirée littéraire et musicale sur la vie et l’œuvre du poète, traducteur et graveur Bohuslav Reynek (1892-1971). Nous vous proposons aujourd’hui de rencontrer une des invitées de cette soirée, Lenka Froulíková, qui a traduit douze poèmes de Reynek en français et les a publiés, en 2006, dans le recueil « Dans les espérances solitaires ». Lenka Froulíková a fondé, en 2001, l’enseignement de langue, de littérature et de culture tchèques à l’Université de Nancy. Après avoir d’abord enseigné le français à Prague, elle a obtenu son premier poste à la section tchèque du Lycée Daudet de Nîmes, en 1993. Lenka Froulíková a ensuite enchaîné par l’enseignement de tchèque à l’Université Stendhal de Grenoble et, enfin, à l’Université Nancy 2. Elle nous parle de ses traductions notamment, en commençant par évoquer ses liens avec l’Association Romarin de Grenoble qui promeut l’œuvre de Bohuslav Reynek et de son épouse Suzanne Renaud en France.

Lenka Froulíková,  photo: MZV ČR
« Quand je suis arrivée à Grenoble, je suis allée me présenter, le jour-même, à l’Université. Comme j’aime beaucoup la culture, je me suis rendue, le lendemain, au Musée des Beaux-Arts de Grenoble, où je suis tombée sur une inscription : ‘Romarin – les amis de Bohuslav Reynek et de Suzanne Renaud.’ J’ai été très surprise et j’ai aussitôt contacté la présidente de l’Association Romarin, Annick Auzimour. Comme elle était en train de préparer une exposition d’œuvres graphiques de Reynek et la publication de ses poèmes, elle m’a tout de suite proposé une collaboration. Voilà comment j’ai connu Annick Auzimour, ce personnage exceptionnel qui a consacré presque toute sa vie à l’art de Reynek. J’ai fait aussi la connaissance d’autres membres de l’Association, dont certains ont connu personnellement Bohuslav Reynek et Suzanne Renaud. Et j’ai commencé à m’intéresser d’avantage à l’œuvre poétique et plastique de Reynek. »

Photo: Bonaventura
En 2006, vous avez publié, à Prague, aux éditions Bonaventura, un livre bilingue, intitulé « V nadějích samoty/Dans les espérances solitaires » et qui réunit vos traductions en français de poèmes de Bohuslav Reynek. Pourriez-vous présenter cet ouvrage ?

« J’ai toujours regretté que le public français ait peu de possibilités de découvrir les poèmes de Bohuslav Reynek. J’ai donc décidé d’en traduire et publier une douzaine. Mon choix a été très personnel : j’ai choisi les poèmes qui me sont chers. Il se fait qu’à l’époque, j’ai eu un très bon étudiant, Stanislas Markiewicz, qui est devenu bohémiste et qui lui-même écrit de la poésie. Du coup, j’ai collaboré avec lui pour la traduction. J’avoue que c’était un travail difficile. »

Vous dites que la poésie de Reynek semble simple et ancrée dans la vie de tous les jours, mais qu’elle est, en même temps, très élevée et archaïsante. Est-ce là la principale difficulté pour le traducteur ?

Bohuslav Reynek,  photo: ČT
« Oui, la difficulté est là, parce que ce qui paraît le plus simple est, en quelque sorte, le plus sage... Ses mots qui, seulement en apparence, sont simples, ont beaucoup de connotations différentes, il faut y réfléchir, aller en profondeur... En plus, nous étions confrontés aux problèmes dus aux différences entre les deux langues. Prenons l’exemple du poème ‘Les canards dans la cour’. Reynek parle, en tchèque, de ‘kachny hnědé jako sovy’. En tchèque, ‘kachna’ et ‘sova’ sont les noms féminins. Or, les équivalents français, ‘canard’ et ‘hibou’, sont masculins. Nous avons donc opté pour : ‘les canes brunes comme des chouettes’. Mais il nous a fallu vérifier dans des encyclopédies si le hibou et la chouette ont la même couleur, si les deux oiseaux sont vraiment bruns, s’ils ont le même caractère... Du coup, vous êtes complètement dans un autre domaine ! Et comment faire avec les accents ? La langue tchèque possède un accent tonique, placé sur la première syllabe, tandis que le français met l’accent sur la dernière syllabe. Pour que le vers garde son unité au niveau du sens et aussi au niveau de la forme, il faut bien réfléchir et penser à toutes les nuances. Les difficultés sont un peu partout et tous les traducteurs le savent. Mais je crois qu’en poésie, elles sont encore doubles. »

LE GEL (Bohuslav Reynek)

Les coteaux sont lisses,
la neige incandescente.
A travers le ciel se glissent
des furets d’étoiles étincelantes. L’ombre blottie près du foyer,
se lamente en cachette.
Les jardins et les vergers
ont les lèves violettes. Nuit glacée, diaphane,
de l’Epiphanie.
Lise qui le peut, en éblouissement,
les mots ardents.

(traduit du tchèque par Lenka Froulíková et Stanislas Markiewicz)

Lenka Froulíková, vous enseignez donc le tchèque à l’Université Nancy 2. En 2011, vous avez fêté les dix ans de cet enseignement... Qui sont vos étudiants ? Apprennent-ils le tchèque dans le cadre de leurs études ou alors s’agit-il de leur intérêt personnel ?

« A l’Université de Nancy, le tchèque est enseigné aux étudiants non-spécialistes. Ce sont les étudiants de toutes les spécialités possibles : des musicologues, psychologues, linguistes, sociologues, littéraires, philosophes... j’ai aussi beaucoup d’historiens. D’ailleurs, début 2012, l’Université de Nancy 2 a changé de nom, du fait qu’elle a été intégrée à l’Université de Lorraine... Alors à l’Université de Lorraine, nous enseignons non seulement la langue et la littérature, mais aussi la culture et la civilisation tchèques. Cette formation attire beaucoup d’étudiants : des historiens qui s’occupent de l’Europe centrale, des musicologues qui s’intéressent à la musique tchèque... Comme nous avons des relations Erasmus avec quatre universités tchèques, nos étudiants choisissent fréquemment un ‘sujet tchèque’ pour leur travail de diplôme et partent le préparer pendant six ou neuf mois en République tchèque. Certains de mes étudiants ont même trouvé du travail dans le domaine qu’ils ont ainsi choisi, et ceci en République tchèque, en France ou dans d’autres pays européens. Je pense par exemple à un de mes anciens élèves qui est professeur d’histoire française au lycée bilingue franco-tchèque à Olomouc, à une fille qui organise, à Grenoble, des événements culturels franco-chèques ou à une autre étudiante qui gère la galerie ‘Ztichlá klika’ à Prague. Même dans le domaine du commerce, un de mes anciens étudiants qui est historien, est d’abord parti à Prague pour travailler dans une agence de communication et, actuellement, il est un des managers de la chaîne Ikea à Prague. Je me réjouis du fait que les études du tchèque permettent à certains de mes étudiants de réussir les débuts de leur carrière professionnelle. »


Rediffusion du 05/01/2012