Les bénédictines de retour en Tchéquie après 90 ans d’absence
En décembre dernier, quatre sœurs tchèques de l’Ordre de Saint-Benoît, mieux connu sous le nom d’Ordre bénédictin, ont fait leur retour à Prague, quatre-vingt-huit ans après le départ des dernières Bénédictines de Tchécoslovaquie. Un retour discret mais marquant au couvent de La Montagne Blanche, dans le quartier de Bílá Hora, haut lieu de l’histoire de la Bohême et du conflit qui a opposé, pendant la Guerre de Trente Ans, principalement en Europe centrale, catholiques et protestants. Nous sommes donc allés à la rencontre de ces religieuses artisanes du renouveau dans leur pays natal de la branche féminine de l’un des ordres les plus anciens de l’Eglise catholique romaine, accueillis par sœur Anežka, ou sœur Agnès en français.
Leur premier couvent fut fondé en 973 au Château de Prague par Mlada Přemyslovna, la sœur du prince des Přemyslides, la dynastie qui régna sur la Bohême du IXe jusqu’au début du XIVe siècle. Très vite, le couvent devient un centre du savoir, comme l’explique sœur Anežka :
« Le couvent a effectivement joué un rôle relativement important dans l’histoire de la Bohême, notamment sur le plan culturel. On suppose ainsi que ce sont les premières Bénédictines qui ont traduit les saintes Ecritures du latin au tchèque. Mais d’une manière plus générale, elles ont grandement contribué à l’éducation du peuple tchèque. Pour donner une idée de cette influence, on peut également rappeler que l’abbesse avait le droit, avec l’évêque de Prague, dont l’évêché avait été créé la même année que le couvent, de couronner la reine tchèque. Et elle a possédé ce droit jusqu’en 1782 lorsque le couvent fut dissous par un décret de Joseph II d’Autriche. »
A l’époque, l’empereur du Saint Empire Romain Germanique est à l’origine de réformes religieuses inspirées de l’esprit des Lumières qui conduisent, entre autres, à la suppression des congrégations et des ordres religieux jugés inutiles. Les bénédictines font donc partie des victimes de ces réformes brutales.
Les sœurs, réfugiées entre-temps en Allemagne, font leur retour en Bohême un siècle plus tard, en 1889, et fondent un nouveau couvent, Saint-Gabriel, à Prague dans le quartier de Smichov. S’enduit alors une période faste qui ne dure toutefois pas longtemps, la communauté étant en effet constituée majoritairement de religieuses de langue allemande. Une situation inconfortable dans une Bohême anticléricale placée sous domination autrichienne et étouffée par le catholicisme imposé depuis la bataille de la Montagne Blanche en 1620. Cette bataille, cruciale dans le déroulement de la Guerre de Trente Ans, entraîna la suppression de la liberté de religion, le départ des élites protestantes du pays et mit fin à l’indépendance de la Bohême pour trois siècles. Un contexte guère propice au sort des bénédictines, comme le confirme Sœur Anežka :« Malheureusement, et même si le couvent s’était bien développé puisqu’une centaine de sœurs y ont vécu pendant ses trente ans d’existence, après la création de la Tchécoslovaquie en 1918, les Tchèques étaient animés d’un fort sentiment nationaliste et ont pris conscience de l’importance pour leur existence de la langue tchèque. Or, la majorité des sœurs qui vivaient à Prague au couvent étaient d’origine allemande. Elles ont donc pris peur et ont quitté la Tchécoslovaquie pour s’installer en Autriche voisine où leur communauté existe d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui. Leur départ a signifié la disparition de la vie bénédictine dans le pays. A partir de ce moment-là et jusqu’à l’année dernière et à notre retour, il n’y a donc plus eu de couvent de bénédictines. »
Près de quatre-vingt-dix ans plus tard, le 8 décembre 2007, sœur Anežka, sœur Petra, sœur Birgita et sœur Jana Mlada ont été les quatre premières, fondatrices en quelque sorte, à intégrer le couvent de la Montagne Blanche, nouveau couvent donc de bénédictines en République tchèque qui appartient à la communauté Venio. Cette communauté, au fonctionnement atypique dans l’ordre bénédictin, se trouve à Munich, en Allemagne. Actuellement, c’est sous sa tutelle que les sœurs tchèques sont placées, faute de pouvoir encore assumer seules leur indépendance. C’est aussi en provenance de Bavière, où elles ont passé plusieurs années, que les sœurs tchèques sont arrivées à Prague. Auparavant, sœur Anežka, par exemple, qui à environ 35 ans est la plus ancienne des quatre et dont la vocation remonte au début des années 1990, a également passé douze années à Przemysl, en Pologne, dans un ordre contemplatif. Et après une vie cloîtrée entièrement consacrée à la prière, sœur Anežka a découvert la communauté Venio à Munich dont la particularité est de s’ouvrir à l’extérieur en tendant à se rapprocher au maximum des réalités du monde contemporain et de son quotidien :« La principale différence entre la vie de la communauté Venio et celle dans un couvent bénédictin classique est que les sœurs se rendent au travail à l’extérieur du couvent et continuent d’exercer leur profession initiale, bien entendu si celle-ci n’est pas en contradiction avec la règle de saint Benoît, l’esprit de la communauté ou de l’Eglise en général. Les sœurs continuent donc de se consacrer à ce qu’elles faisaient avant d’entrer au couvent. Nous voulons essayer de faire la même chose ici à Prague. Nous voulons voir jusqu’à quel point il est possible d’appliquer un tel mode de vie dans une autre ville et dans un autre environnement parce que la communauté munichoise Venio est la seule de ce genre qui existe dans l’ensemble de l’ordre bénédictin. Les Allemands ont l’avantage de pouvoir travailler à temps partiel. Ils passent quelques heures par jour ou quelques jours par semaine au travail avant de se consacrer à leurs obligations au sein de la communauté. Pour l’instant, à Prague, nous ne savons pas encore si nos employeurs seront d’accord. »
Tandis que sœur Anežka est ingénieur-constructeur de formation, deux autres sont restauratrice et maître de conférence en psychologie tandis que la quatrième poursuit ses études supérieures. Et toutes comptent bien à court terme exercer leur activité professionnelle dans le civil. Ce rapprochement avec le monde extérieur n’est d’ailleurs pas la seule spécificité de la communauté Venio :« Une autre différence notable est que les sœurs portent un habit civil, et ce depuis la fondation de la communauté en 1926. Elles ne portent la robe noire et le voile que lors de la liturgie et des offices religieux. »
Enfin, autre élément qui contribue à l’ouverture de la communauté : les rencontres organisées à intervalles réguliers avec des femmes de l’extérieur désireuses de participer à la vie spirituelle des sœurs ou de vivre avec elles la liturgie. Pour sœur Anežka, il s’agit bien là aussi d’une pratique de la vie en société :
« Ces rencontres ne sont pas uniquement destinées à celles qui veulent entrer au couvent. Pas du tout ! Le seul critère de participation est que quelqu’un s’intéresse à la spiritualité bénédictine. Après, chacun fait ce qu’il veut. Mais il est vrai aussi que toutes les vocations sont apparues grâce à ces rencontres. Lors de ces rencontres, nous discutons des principes de notre spiritualité mais de telle manière à ce que toutes les femmes présentes, quelles que soient leur situation personnelle, familiale ou leur âge puissent en retirer quelque chose et s’en servir ensuite dans leur vie quotidienne, dans leurs familles ou à leur travail. »
On l’aura compris, la principale mission de la règle bénédictine est de chercher Dieu et de le célébrer dans toutes les activités de la vie quotidienne, dans la prière comme dans le travail, dans la vie en communauté comme dans l’accueil des personnes extérieures au couvent. Une spiritualité universelle en somme qui inspire confiance à sœur Anežka lorsqu’elle songe à l’avenir de la jeune communauté bénédictine pragoise :« Oui, je suis plutôt optimiste car après nos passages de Pologne en Allemagne, puis d’Allemagne en Tchéquie, notre situation était un peu floue et pas très stable. Je suis donc à la limite presque contente que personne ne nous ait rejoints pendant cette période car former quelqu’un dans ces conditions n’est vraiment pas simple. Mais maintenant que nous sommes installées à Prague, certaines vocations sont apparues. Au Mercredi des cendres, une Tchèque a ainsi entamé une formation à Munich et nous devrions bientôt accueillir deux nouvelles sœurs, Tchèques elles aussi. Si Dieu le veut, nous pourrions donc être sept dès l’année prochaine. »