Les communistes, encore et toujours ?
Les communistes représentent-ils un danger ? Voilà la question que soulève la dernière édition du trimestriel Pritomnost (Le Présent). Politologues, sociologues et journalistes se sont penchés sur la question dans les pages de cette revue, parue à la veille des élections législatives. On rappellera que celles-ci leur ont rapporté 26 des 200 sièges à la Chambre des députés, soit 15 sièges de moins que précédemment. Nous vous offrons un bref panorama de ces réflexions.
Le politologue Jiri Pehe s'interroge dans la même édition de la revue Pritomnost sur les raisons de la persistance et de l'influence du parti communiste sur la scène politique tchèque, un parti qui, comme on le sait, n'a subi aucune « réforme ». Un phénomène qui peut sembler étrange, la République tchèque étant une démocratie stable et prospère et n'ayant donc apparemment pas besoin d'une idéologie communiste.
Selon Pehe, la « lutte contre le capitalisme », a pris dorénavant une forme nouvelle. Si, auparavant, l'idéologie communiste mettait l'accent sur l'internationalisme, refusant l'Etat national, la situation est bien différente, aujourd'hui : les partis communistes se sont fortement nationalisés, au cours des quinze dernières années. « Voilà un point que l'idéologie communiste a en commun avec la droite extrême et avec la droite en général », écrit-il. Et d'ajouter que, paradoxalement, « ce sont les social-démocraties qui sont les partisans de la mondialisation ».
Jiri Pehe estime - et c'est d'ailleurs l'une des rares voix sur la scène médiatique tchèque à le déclarer - que le Parti communiste de Bohême et de Moravie (le KSCM) ne constitue plus un danger dans le sens d'être capable de s'emparer du pouvoir ou d'imposer le communisme ou une autre dictature. Selon lui, « les conditions n'existent plus pour un tel scénario, d'autant que nombreux sont les communistes qui se sont bien établis dans la nouvelle situation et qui ne veulent plus le retour de l'ancien régime. L'existence du KSCM représente en revanche un problème moral ». Il note plus loin :
« La République tchèque est le seul pays post-communiste qui a vu naître, après 1989, la naissance d'un fort parti social-démocrate qui n'ait pas été issu d'un parti communiste transformé. Dans les pays comme la Hongrie ou la Pologne, les communistes sont devenus une partie normale du spectre politique... A la longue, on voit s'esquisser pour la Tchéquie une plus grande chance de s'acquitter de sa dette envers son héritage communiste que pour ses voisins. En plus, les communistes réunis au sein du KSCM sont plus visibles qu'au sein d'un parti voulant donner l'apparence d'une gauche démocratique ».
« Le plus grand problème du public tchèque, ce n'est pas l'existence du KSCM, mais ce sont les séquelles du communisme dans la pensée des gens », conclut-il.
La carte du « danger communiste », nous l'avons dit souvent, ces derniers jours, a été largement utilisée dans la campagne électorale par le parti qui est sorti vainqueur des élections, l'ODS. Ecoutons le politologue Pehe :
« On peut bien croire que cette stratégie a aidé le Parti civique démocrate, l'ODS. Tout indique que ce sont surtout les électeurs indécis qui lui ont finalement donné leurs voix. Et une certaine partie de ceux-ci a choisi ce parti pour des raisons négatives, car elle s'est dit qu'il fallait voter contre le parti communiste. Cette tactique, soit la troisième mobilisation déjà utilisée par l'ODS, lui a finalement apporté ses fruits ».
Jan Eichler, politologue, développe cette idée :
Selon Lubos Dobrovsky, journaliste et ancien politicien, « les communistes représentent un risque pour la stabilité politique du pays, non seulement à cause de leur passé sanglant, mais aussi du fait de leur programme actuel ». Il écrit :« Le radicalisme des communistes qui donnent intentionnellement une interprétation fausse de l'essence de la solidarité sociale des citoyens dans un Etat démocratique, incite les animosités primitives entre riches et pauvres. En ce qui concerne la politique étrangère, le nationalisme des communistes cultive la crainte vis-à-vis des Allemands, provoque de l'anti-américanisme et des positions négatives à l'égard de l'Alliance atlantique. Ainsi ils menacent les principes mêmes de l'orientation de politique étrangère tchèque. Peut-on dire qu'il s'agit-il là d'un risque négligeable ?».
Quelle position à l'égard du parti communiste faut-il prendre ? Petr Prihoda, psychiatre et publiciste avoue que les deux alternatives qui s'imposent comportent des risques :
« On peut marginaliser ce parti par une pression verbale ce qui ne ferait que le renforcer et l'unir... Ou bien l'impliquer dans le jeu, miser sur les discordes existant en son sein et assimiler une de ses fractions avec la social-démocratie. Ainsi, le reste du parti communiste vivoterait à la périphérie politique comme une curiosité... ».
« Il nous faudra, probablement, apprendre à vivre avec les communistes, ce qui ne veut pas pourtant dire partager leur regard destructeur sur le monde », écrit Petr Fleischmann, philosophe et publiciste, dans un article paru sous le titre « Le parti qui sait survivre même à sa mort ».
« Les communistes continueront à vivre avec nous, nourris par les imperfections du monde qui est le nôtre et en tirant le profit. Il est fort probable qu'ils y seront encore longtemps...Mais vivre avec eux est autre chose que de se laisser séduire par leur rêve éminemment dévastateur sur une société dépourvue de contradictions ».