Les discours du Nouvel An des présidents – une tradition instaurée par Tomáš Garrigue Masaryk
Les discours du Nouvel An prononcés par les présidents de la République à partir du Château de Prague sont devenus partie intégrante du jour de l’An. Jusqu’où cette tradition remonte-elle ? Dans quelle mesure les messages présidentiels reflètent-ils l’image de l’époque ? Des réponses avec l’invité de cette première partie de l’histoire des discours présidentiels du Nouvel An, l’historien Josef Tomeš de l’Institut Masaryk de l’Académie des sciences.
« Les discours du président Beneš étaient riches et détaillés, comportant des analyses politiques profondes, les allocutions du président Hacha émouvantes et touchantes, celles des présidents communistes vides de sens, sentant le parfum de la démagogie grossière. »
Le tout premier discours du Nouvel An a été prononcé le 1e janvier 1949 par Klement Gottwald. La tradition, auparavant, était de prononcer des discours la veille de Noël. Ce changement en dit long sur le rapport du régime communiste envers les principales fêtes chrétiennes. Mais commençons en ordre chronologique.
La tradition a été instituée par le président Tomáš Garrigue Masaryk. Son message de paix et d’espoir prononcé à Noël 1933 a été enregistré par les actualités et projetées dans les salles de cinéma.
Peu avant Noël 1935, Edvard Beneš devient le nouveau président tchécoslovaque. Son premier discours de Noël où il s’adresse aux citoyens est enregistré par la société Fox Film et les studios AB Barrandov. Le premier discours radiodiffusé est celui de 1936. L’année suivante, Edvard Beneš prononce son discours de Noël dans un ton se voulant rassurant et optimiste, face à la montée des tensions en Europe.
Or en 1938 c’est le diktat de Munich et l’annexion des régions tchèques et moraves limitrophes au Reich de Hitler. Le discours de la veille de Noël est adressé à la nation par le président Emil Hácha, installé dans ses fonctions le 30 novembre précédent. Josef Tomeš perçoit positivement le rôle de cet homme considéré souvent comme controversé :
« Son arrivée à la fonction présidentielle a été l’un des rares moments clairs dans l’histoire sombre de la période d’après Munich appelée la 2e république, période remplie de rages, de ressentiments et de reproches entre les différents groupes, à cause de l’énorme désillusion des accords de Munich. »
Le message de Noël 1938 prononcé par Emil Hácha est l’un de ses premiers discours publics et curieusement, il est prononcé en tchèque, en slovaque et en ruthène, langue de la Russie subcarpatique, une région qui faisait alors encore partie de la Tchécoslovaquie :« L’ambiance de joie des fêtes de Noël cultivée par une tradition séculaire ne nous permet pas d’oublier l’angoisse qui pèse sur nous, mais il y a aussi des lumières dans notre crépuscule national, celles que nous sommes toujours sur ce bout de terre qui est le nôtre depuis plus d’un millénaire, que nous avons toujours notre propre Etat que nous n’avions pas il y a un quart de siècle. »
En mars 1939, Hitler occupe Prague et la Tchécoslovaquie devient le Protectorat de Bohême-Moravie. Le président Beneš est en exil à Londres d’où il adresse régulièrement, entre 1940 et 1944, ses allocutions au peuple tchèque par l’intermédiaire de la BBC. Le discours de 1942 est un discours phare. C’est une année de guerre marquée par les plus lourdes pertes, observe l’historien Tomeš :« N’oublions pas que c’était une année de la ‘heydrichiade’ /l’attentat contre Heydrich/, de l’anéantissement des communes de Lidice et Ležáky, d’importantes pertes au sein de la résistance nationale, mais, en même temps, une année de présage de la défaite nazie à Stalingrad, en janvier 1943. »
Edvard Beneš recourt donc à un ton un peu plus optimiste, même si la guerre va durer encore longtemps :
« Nous vivons symboliquement les journées de Noël, dans l’atmosphère de souffrances, de privations et de cliquetis d’armes, et pourtant aucun de nous, citoyens tchécoslovaques fidèles, ne perd l’espoir que ces horreurs qui se propagent en Europe et dans le monde, avec la misère nazie, morale et matérielle, avec les souffrances, la torture et la guerre, que ce mal satanique personnifié ne peut et ne doit pas finir par l’emporter, dans cette bataille horrible et sans précédent dans l’histoire. »
En 1946, les premières élections législatives d’après-guerre organisées en Tchécoslovaquie ont confirmé un glissement à gauche de la société. Cette année a été en même temps celle des procès contre les représentants de l’autorité d’occupation comme Karl Hermann Frank, mais aussi contre ceux du gouvernement du protectorat. C’est aussi une année où le premier plan biennal est adopté. Le président Beneš en parle dans son premier discours de Noël d’après-guerre :
« Il y a sans doute des imperfections et des défauts dans notre plan, on le verra durant son accomplissement. Le principal, en ce moment, est de faire preuve de bonne volonté, de coopération et de soutien de la part de nous tous pour montrer au monde et à nous-mêmes que nous estimons hautement la liberté retrouvée. Je ne cache nullement l’existence de phénomènes inquiétants qui se manifestent dans la vie publique, dont notamment le fait que de mauvais éléments cherchent à s’imposer au sein de tous les partis politiques, sans différence. Ceci dit, nous devrions prendre nos distances avec ces éléments et soutenir uniquement les personnes moralement pures et sûres en nous débarrassant résolument des autres, pour contribuer à un assainissement de l’ensemble de la société. »
Edvard Beneš exprime la conviction que l’héritage de la guerre sera surmonté et que la Tchécoslovaquie retrouvera son rôle d’intermédiaire entre l’Est et l’Ouest. Ce discours est le tout dernier message présidentiel de Noël de l’histoire. Cette tradition subsistera pendant quelques années dans des allocutions présentées par les chefs de gouvernement, pour être remplacée, à partir de 1949, par les discours du Nouvel An. Mais ce sera le thème de notre prochaine rencontre.