Les femmes du 28 octobre 1918

Photo: Česká televize
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Le 28 octobre 1918, date de la création de la République tchécoslovaque dont nous commémorons ce jeudi le 92e anniversaire, est le synonyme du combat des légions tchécoslovaque en Russie, en France et en Italie. Il est le synonyme des efforts politiques et diplomatiques des « hommes » de la Première république : Tomáš Garrigue Masaryk, Edvard Beneš, Milan Rastislav Štefánik, Karel Kramář et Alois Rašín. Le 28 octobre 1918 a néanmoins aussi ses femmes : Alice Masaryková, Hana Benešová, Františka Zemínová, Karla Máchová…

Dans l’Autriche-Hongrie de la fin du XIXe siècle, l’engagement des femmes dans la vie sociale et politique est très limité. En aucun cas l’activité publique des femmes n’est considérée comme une activité politique, cette dernière étant interdite par la loi. L’activité publique consiste le plus souvent dans diverses activités de bienfaisance et dans le travail social. Une riche vie associative se développe en Autriche-Hongrie depuis les années 1860, grâce surtout à Vojta Náprstek, mécène et patriote qui créé à Prague le Club américain des dames. Même si la politique est un tabou pour les femmes, le début du XXe siècle est déjà lié à quelques noms de pionnières des femmes politiciennes en pays tchèques. L’historienne Dana Musilová de l’Université de Hradec Králové :

Karla Máchová
« Au sein du parti social-démocrate, c’est Karla Máchová, institutrice, journaliste et première intellectuelle dans ce parti. Karla Máchová est pionnière du mouvement social-démocrate féminin. Aux Etats-Unis où elle part, elle collabore avec le mouvement de compatriotes tchèques et fonde un journal pour femmes, Ženské listy. Amie très proche de Charlotte Masaryk, elle milite en faveur du droit de vote des femmes et devient la première femme candidate à l’Assemblée nationale des pays tchèques. Un autre nom parmi les premières femmes politiciennes est celui de Františka Zemínová. Le parti national socialiste auquel elle adhère, en 1897, sera interdit après le coup d’Etat communiste de février 1948, mais le pire dans sa vie se produira un an plus tard :
Františka Zemínová
Františka Zemínová est condamnée à 20 ans de prison dans un procès politique, le même qui a abouti à la condamnation à mort de Milada Horáková. A juste titre, Františka Zemínová est considérée comme la première politicienne professionnelle dans notre pays, car dès que l’occasion s’est présentée, en 1918, elle a quitté son poste de comptable dans une librairie pour se consacrer entièrement à la vie politique. »

Božena Viková Kunětická
Une autre femme engagée dans les affaires publiques et politiques déjà avant la Première guerre mondiale: Božena Viková Kunětická, femme écrivain, dramaturge et la toute première politicienne tchèque élue au parlement austro-hongrois pour le parti des Jeunes Tchèques. En 1918, elle devient députée et pendant une courte période, elle occupe également un siège au Sénat.

Lorsque la guerre éclate, en 1914, la situation des femmes se complique. Elles doivent remplacer les hommes dans les usines et se charger entièrement de l’approvisionnement en denrées des familles. Le rôle des femmes politiciennes dans cette période augmente :

« Františka Zemínová n’a jamais abandonné son engagement à travailler contre l’Autriche-Hongrie. Interdite de séjour à Prague, elle a continué ses activités à la campagne. Plusieurs femmes, dont Hana Benešová et Alice Masaryková, ont été incarcérées, alors que leurs proches – Edvard Beneš, époux de Hana, et Tomáš Garrigue Masaryk, père d’Alice, étaient en exil à l’étranger où ils oeuvraient en vue de la création d’un Etat indépendant. Les deux femmes ont purgé leur peine pour leurs proches, néanmoins Alice Masaryková était elle-même membre active de la résistance et du mouvement féminin déjà avant la guerre. »

Photo: Česká televize
Parlant du rôle des femmes lors des événements bouleversants de la création de la Première république tchécoslovaque sur les ruines de l’Autriche-Hongrie, Dana Musilová souligne que le principal, dans ce rôle, était le travail quotidien des femmes anonymes dont on ne connaît pas le nom, seulement leurs visages sur les photos qui les saisissent en train de faire la queue pendant des heures pour acheter du pain. Ce sont ces femmes anonymes qui ont manifesté contre l’exportation des aliments sur le front et qui ont apporté un soutien aux familles des personnes emprisonnées :

« S’il est vrai ce qu’on dit de la Révolution française à savoir qu’elle a débuté dans les queues pour acheter du pain lorsque Paris était mal ravitaillé, alors ces propos prennent tout leur sens au moment où on voudrait faire une analogie avec les femmes engagées lors de la Première guerre mondiale : Alice Masaryková, Františka Zemínová, ou encore Luisa Landová Štychová, journaliste et future députée du Parti socialiste tchécoslovaque, participante active à la vie politique déjà avant la guerre et qui n’a cessé ses activités pendant la guerre non plus. »

Marie Kvíčalová,  photo: Česká televize
Les femmes installées avant la guerre à l’étranger, aux Etats-Unis notamment, ont apporté elles aussi une contribution marquante à la création de la Première république tchécoslovaque. A Washington où la déclaration de Washington consacrant la naissance du nouvel Etat indépendant était conçue, avant d’être rendue publique à Paris, le 18 octobre 1918, une exposition intitulée « Les femmes – messagères révolutionnaires » vient de commencer. Elle rend hommage aux femmes qui ont collaboré avec Masaryk en exil sans que leurs mérites aient été connus du large public. L’une de ces femmes, Marie Kvíčalová, est partie en 1916 des Etats-Unis en Europe avec des documents confidentiels. Arrêtée à Londres conformément à un accord préalable, elle a passé une semaine dans l’appartement londonien des Masaryk pour apprendre par coeur le contenu de ces documents destinés aux milieux de résistance en Bohême. La police les soupçonnait moins que les hommes qui risquaient en plus d’être appelés sous les drapeaux, à leur retour dans la monarchie.

La célèbre cantatrice Ema Destinnová, entrée dès 1909 au Metropolitan Opera de New York, figure aussi parmi ces femmes. L’écrivain Karel Pacner rappelle la mission de cette cantatrice dont la carrière a été brisée par la Première Guerre mondiale :

« Ema Destinnová, bien que munie d’une lettre personnelle de l’empereur Guillaume d’Allemagne qui l’aimait et admirait, a été arrêtée par les autorités autrichiennes et soupçonnée d’espionnage. Privée de passeport, elle a été internée dans son manoir à Stráž nad Nežárkou, en Bohême du Sud. »