Les Filaments : « On voit la bonne impro. On la sent, on la vit » (2e partie)
La première édition du festival international d’improvisation Impro Prague s’est déroulée il y a près d’un mois. Les deux scènes du théâtre Švandovo divadlo, dans le quartier de Smíchov, ont accueilli plusieurs compagnies d’improvisation, à la fois tchèques, autrichienne, belge et française, lesquelles ont présenté au public de la capitale leur plaisir de jouer l’imprévisible, l’inattendu et même l’inacceptable. Radio Prague a rencontré la troupe parisienne Les Filaments, qui nous a dévoilé l’essence même de l’improvisation. Après la première partie de cet entretien diffusée la semaine dernière, voici la seconde.
Tous : « Bien, extrêmement bien. »
Garo : « Mieux que ce que l’on imaginait. »
Marie : « C’est vrai que cela débloque pas mal de choses. Le fait de jouer dans une autre langue, ça empêche de rentrer dans les travers où on parle trop et ce genre de choses. C’est une manière de libérer plus le corps et les émotions. »
Garo : « On est d’accord ! (Rires) Oui, cela fonctionne comme ça chez les Filaments, on est d’accord. »
Marie : « Quand on se tait, c’est que l’on est d’accord ! » (Rires)
Comment êtes-vous entrés en contact avec l’équipe qui organise ce festival ?
Garo : « J’ai connu Martin Vasquez (l'organisateur du festival Impro Prague, ndlr) il y a maintenant cinq ans, parce qu’il m’avait invité avec l’équipe de l’époque à venir jouer avec eux. Ils s’appelaient alors encore Impro Liga. Par contre, je ne sais pas comment il nous a connus nous. Il avait un autre contact en France, et je faisais partie de la liste des gens qui sont venus à Prague. Je me suis retrouvé propulsé là-dedans. On m’a demandé : ‘est-ce que tu veux aller jouer à Prague ?’, et j’ai dit oui. Et on a gardé un bon contact ensemble, on s’est bien aimé, on s’est demandé en amis sur Facebook. Plus tard, on les a invités à Paris, ils sont venus jouer avec nous. Et l’année d’après, j’ai encore eu la chance d’être appelé par une autre équipe tchèque. Cette fois, c’était une équipe d’Ostrava, ‘Ostružiny’, que l’on avait croisée aussi à Prague la première fois. Et, au fur et à mesure, j’ai rencontré un petit peu tout ce beau monde et il m’a fait plaisir en me rappelant pour cette année. En plus, j’ai une nouvelle équipe. Car il voulait un spectacle original. J’ai dit ‘ça tombe bien, on a ce qu’il faut, je vais venir avec des gens géniaux, tu vas voir’. Il m’a fait confiance, je le remercie et on est là. »À quelles occasions, à quels endroits, vous êtes-vous déjà produits pendant vos deux années d’existence ?
Garo : « Dans pas mal d’endroits. Il faut savoir qu’à Paris, il y a pleins de petites salles, qui ne payent pas de mine, notamment le Sonar, le Café de Paris... »
Nabla : Kariatié. Il y a près de deux cents endroits à Paris qui incluent des bars avec une salle en sous-sol. On les a toutes faites. » (Rires)
Marie : « On en fait une, après on se fait virer et on change. » (Rires)
Garo : « On ne rend pas les objets aux gens, alors on se fait virer (Rires). On essaie de bouger pas mal. »Muriel : « On aime bien jouer dans des endroits un peu différents pour varier le plaisir. »
Garo : « À chaque fois, c’est un grenier différent, la scène n’est pas pareille, les coulisses ne sont pas pareilles. Cela nous éclate aussi d’arriver dans un endroit où on n’est pas forcément confortable. On n’a pas forcément nos marques, ça nous sort aussi de nos zones de confort et ça nous oblige à être encore plus à l’écoute les uns des autres pour produire un bon spectacle et à chercher à vraiment créer du nouveau à chaque fois, pour produire un bon spectacle. »
La langue ou le mot font partie des représentations de l’improvisation, n’est-ce donc pas une barrière pour atteindre un public international ?
Muriel : « Justement, l’impro ne repose pas que sur le mot ou que sur la langue, mais sur beaucoup d’autres choses. D’ailleurs, on a pu s’en rendre compte nous-mêmes en voyant des spectacles jouer en tchèque. Aucun de nous ne parle tchèque et pourtant il y a eu des moments d’impro que l’on a pu apprécier parce que cela passait par l’émotion, par le corps, par une complicité entre les joueurs, par une énergie dégagée sur scène, par une forme d’esthétique. Cela peut passer par beaucoup de choses autres que le langage, et, justement, c’est un tort de penser que l’improvisation passe seulement par le verbe. Si on ne passe que par le verbe, c’est souvent de moins bonne qualité que si on explore les autres outils en notre possession. »
Garo : « On a un corps qui parle aussi. »Donc, voir des improvisations en tchèque n’a pas été un frein à l’émotion ?
Muriel : « C’est plus difficile. »
Nabla : « Si, c’est un frein, mais cela ne nous empêche pas d’apprécier de la bonne impro. On voit la bonne impro. On la sent, on la vit, on est content de voir de la bonne impro. Ce soir, par exemple, c’était de la bonne impro. Alors, on n’a rien compris, mais on a quand même vu, exactement ce que disait Muriel, l’émotion, l’esthétique, des liens entre les acteurs qui étaient vraiment positifs et donc très agréables à regarder. On ne connait pas le contenu, mais on a quand même réussi à vivre des histoires. »
Garo : « La trame de l’histoire, finalement, on la voit, on la comprend, parce que les acteurs réagissent en harmonie, en symbiose, les uns par rapport aux autres. Donc, on arrive à suivre les liens émotionnels et affectifs des personnages qui sont en train d’être joués sur scène, même si on ne comprend pas ce qu’ils disent exactement. On peut avoir peur avec eux, on peut être déçus avec eux, tristes avec eux. Au fur et à mesure qu’ils vivent ces émotions-là. Donc, on arrive à suivre d’une manière assez globale ce qui se passe et être content de voir ça. »Marie : « De toute façon, il y a un type d’impro qui s’appelle le grommelot et qui consiste à jouer dans une langue imaginaire. Donc, tous les joueurs jouent dans une langue imaginaire, ne se comprennent pas et jouent ensemble, justement en utilisant uniquement le langage du corps, ce qu’ils arrivent à passer en terme d’énergie, d’émotion. Du coup, c’est un peu comme si on avait vu un grommelot géant ce soir. D’ailleurs, il ya des spectacles qui sont des grommelots géants, qui durent une heure et demie et qui sont très agréables à voir. »
Pour vous, quels sont les éléments d’une improvisation réussie ?
Muriel : « J’ai envie de reprendre… »
Nabla : « Une métaphore ! L’impro, c’est comme la cuisine ! » (Rires)
Muriel : « J’ai envie de parler des trois plaisirs. C’est un de nos enseignants d’impro qui nous a donné cette ‘règle’. Les trois plaisirs, c’est d’abord son plaisir à soi, le plaisir du joueur, le plaisir d’être sur scène. Si on ne prend pas de plaisir à jouer, cela ne marche pas. Ensuite, c’est le plaisir de son partenaire. C’est à dire offrir à son partenaire ce dont il a envie, et jouer ensemble, se connecter ensemble. Et, enfin, c’est le plaisir du public. Parce qu’une semaine entre seulement deux joueurs qui font leurs ‘private jokes’ ensemble, ce n’est pas ce que le public a envie de voir. Donc, le plaisir du public, c’est lui donner ce qu’il a envie de voir. Et quand ces trois plaisirs sont réunis, c’est comme si on avait un lien qui nous reliait à notre partenaire et au public. Quand les liens sont là, ça fonctionne. »Marie : « C’est le pouvoir des trois. »
Muriel : « C’est le pouvoir des trois. » (Rires)
Garo : « Et ça fait une bonne impro, quel que soit le sujet raconté finalement. »
Nabla : « Et quelle que soit la façon dont on fait aussi. Franchement, il n’y a aucune règle, c’est pour cela que l’on parle de langage et non pas de codes à respecter. Il n’y a aucune règle. Il y a des scènes qui ne respectent aucun principe et qui sont juste parfaites. Il y a des scènes qui respectent tous les principes à la lettre et qui sont nuls. Il y a une espèce de magie qui se dégage de temps en temps. Je pense que la leçon des trois plaisirs est pas mal. Si on arrive à avoir ces trois plaisirs en même temps, c’est forcément réussi. C’est sûr. »