Les initiaves civiques dénoncent la démocratie en panne

Quels sont d‘après vous les problèmes les plus graves de la Tchéquie d’aujourd’hui ? Le quotidien Hospodářské noviny a lancé une mini-enquête en s’adressant à plusieurs personnalités tchèques représentant différents domaines de la vie publique : économes, juristes, scientifiques, psychologues, biologistes, écrivains, entrepreneurs. Nous vous présenterons quelques-unes des réponses retenues, avant de vous présenter certaines nouvelles initiatives civiques qui viennent d’émerger et qui traduisent le sentiment de mécontentement d’une partie de la population face à la situation politique et ay climat tel qu’il existe actuellement au sein de la société. La dernière édition de l’hebdomadaire Respekt s’est penchée sur le phénomène.

Les députés du KSČM
« L’instabilité du système politique. L’omniprésence de la corruption qui ébranle la fiabilité des politiciens et de la scène politique aux yeux du public. La passivieté des citoyens. La cupidité en tant que trait marquant de notre époque ». Telles sont les réponses qui apparaissent le plus souvent dans cette enquête. Ceci dit, la gamme des problèmes que les personnes interrogées évoquent est particulièrement variée, correspondant en quelque sorte à la profession et aux activités que celles-ci pratiquent.

« La colonisation de l’espace publique par des intérêts privés, le non respect des règles du jeu... Le socialisme dans les cœurs et les âmes... L’arrogance, le désespoir... Le déclin démographique ». Voilà quelques-unes des réponses qui ont été également données dans cette enquête.

L’ex-présidente de l’Académie tchécoslovaque des sciences Helena Illnerová déplore l’absence de « gens honnêtes » dans la politique, ainsi que le peu de soins et d’attention qui sont accordés à l’éducation... L’envie, l’inactivité et l’intolérance, voilà d’autres caractéristiques qui marquent d’après les personnes interrogées le climat dans le pays et qui méritent d’être mises au pilori.

L’évêque hussite Jana Šilerová dénonce d’un autre côté l’ingratitude de nombreux de ses concitoyens qui auraient tendance à pleurnicher et à se plaindre à tout moment de tout, oubliant d’avoir la chance d’appartenir à la partie riche du globe. La consultante Adriana Krnáčová a formulé une réponse qui semble refléter l’opinion d’une grande partie des Tchèques, découragés par les affaires de corruption et autres qui défraient presque quotidiennement la chronique. Nous citons :

« Le pays n’a pas de vision pour savoir dans quelle direction aller. Sa représentation qui n’est pas très érudite est en même temps capable de tout. Le pillage des ressources publiques est dès lors devenu un sport national multidisciplinaire ».

Karel Hvížďala
Par ailleurs la dernière enquête de l’opinion publique effectuée en mai dernier par la société STEM révèle également l’insatisfaction des Tchèques de la situation politique. Plus : elle montre que la majorité des gens ne croient pas que les partis politiques soient capables de garantir la démocratie. Selon le journaliste Karel Hvížďala, c’est un constat très dangereux. Sur le serveur Aktualne.cz, il écrit : « Une telle situation ouvre un grand espace aux courants politiques extrêmes, de gauche et de droite, qui cherchent un ennemi comme cible en proposant des solutions simplistes et un gouvernement à la poigne ferme. De telles tendances, nous pouvons en voir désormais non seulement en Hongrie, mais également chez nous ».

Et de mentionner dans ce contexte le groupe D.O.S.T., de droite ultra-conservatrice et antieuropéenne, le discours de certains de ses membres pouvant être considéré comme fascisant.

Le Public contre la corruption. C’est ainsi que s’appelle une nouvelle association civique qui a été récemment créée et dont le but consiste à lutter contre « la corruption et les corrupteurs ». Elle s’appuie sur le Manifeste du libéralisme radical qui avait été lancé en automne dernier et dont les initiateurs sont un ancien journaliste et un politologue.

Leur appel propose toute une série de démarches concrètes, dont la définition de nouvelles règles pour le financement des partis politiques ou l’obligation de publication sur internet des appels d’offres publics. A ce jour, le manifeste a réuni plusieurs milliers de signatures.

Une jeune sociologue a organisé pour sa part une initiative qui s’appelle ProAlt. « Dotées d’une certaine énergie politique, je ne voulais pas faire partie de la majorité silencieuse », confie-t-elle dans les pages de l’hebdomadaire Respekt. Le texte de l’appel, qu’elle a rédigé en commun avec un professeur universitaire et un scientifique, dénonce les mesures d’austérité et les réformes mises en place par l’actuel gouvernement de Petr Nečas, mettant en garde « devant des démarches irresponsables qui vont porter préjudice à la société et à la nature ».

« Toutes ces initiatives qui se multiplient, sont le résultat du bouillonnement qui émerge dans la société tchèque, depuis environ un an », signale le journal dans un article qui décrit « la vague civique qui pousse les politiciens tchèques à changer de style ». Son auteur explique :

« Les nouvelles initiatives ont des idées variées sur la manière de concrétiser ce bouillonnement, afin de le mettre à profit. Elles ont pour autant un dénominateur commun : il ne s’agit plus d’aérer et de remanier la scène politique. Le défi à relever c’est de développer une forte pression sociale afin de contraindre les politiciens à des changements. » Et de citer le politologue Jiří Pehe selon lequel il faut « créer un climat dans lequel les corrupteurs ne se sentiront plus en sécurité ».

« Les nouvelles associations et initiatives réalisent qu’il ne suffit plus de combattre pour l’amélioration de la situation du pays dans des cafés de la capitale. Voilà pourquoi elles insistent sur la création d’un réseau de filiales régionales », rappelle le journal. Ceci semble particulièrement important pour l’association ProAlt, car c’est effectivement au niveau régional que l’impact des réformes qu’elle critique se fait et se fera ressentir le plus.

A noter que cette fois-ci, c’est aussi, et probablement pour la première fois, la sphère du business qui commence à s’activer. C’est de ce milieu qu’est issue par exemple la Fondation contre la corruption.

Une autre initiative civique KohoVolit.eu (Qui élire) vient de lancer le site NapisteJim.cz (Ecrivez-leur) qui permet à chaque personne d’identifier facilement qui est son élu à la Chambre des députés et au Sénat et de le contacter. A cette fin, le site offre un formulaire électronique servant à l’envoi d’e-mails à tel ou tel représentant politique... « Rien qu’au cours de la première semaine, quelque 150 courriels ont ainsi été envoyés », souligne Respekt.

L’hebdomadaire prévient en outre que des manifestations et des happenings sont bientôt à attendre de la part de l’initiative Le public contre la corruption qui affirme « préférer des ‘actions de guerilla’ à des meetings classiques, le sifflet étant choisi comme le principal instrument de résistance ».

D’un autre côté, l’initiative ProAlt, plus jeune et plus radicale, est déjà descendue à plusieurs reprises dans la rue. Récemment, elle s’est par exemple jointe à une manifestation syndicale à Prague. Pour elle, le temps de désobéissance civique est arrivé.

Photo: CTK
D’autres témoignages de l’éveil de la société civile existent : on ne rappellera que le rassemblement de ce mardi sur la place Venceslas à Prague qui a réuni quelques centaines de personnes, venues protester contre la décision de démolition d’une maison au cœur du site historique classé, prise par le ministre de la Culture.

Selon l’hebdomadaire Respekt, cette effervescence ne semble pas contrarier la classe politique qui prétend préparer et mener bientôt à bien toute une série de dispositions législatives contre la corruption. Ces velléités ne satisfont guère les nouvelles initiatives civiques qui considèrent leur mission « comme une tâche à durée indéterminée ».