Les Japonais n’ont pas oublié Věra Čáslavská
Dans la dernière édition de cette émission hebdomadaire, nous avions évoqué la personnalité de Charles IV, roi et empereur romain, qui a été plébiscité par le public dans une enquête télévisée comme le plus grand Tchèque de tous les temps. Cette semaine, nous avons retenu dans une des récentes éditions du quotidien Lidové noviny un article intitulé Věra Čáslavská – la plus grande des femmes tchèques. Une occasion de rappeler le parcours sportif et l’histoire extraordinaire de cette femme hors du commun.
« Si l’on devait compter les Tchèques qui ont acquis dans le monde une reconnaissance aussi fabuleuse que Věra Čáslavská, les doigts d’une main nous suffiraient. Et pour ce qui est des Tchèques vivants, on ne citerait probablement que Václav Havel et la gymnaste Věra Čáslavská, la figure la plus remarquable du sport féminin tchèque. »
C’est en 1964 que Věra Čáslavská a ébloui par son charme et ses performances sportives Tokio qui accueillait ses premiers jeux olympiques. Avec ses trois médailles d’or, elle est devenue un symbole, un personnage emblématique des Jeux.
Au total, elle a été sacrée sept fois championne olympique et a obtenu quatre médailles d’argent, car elle a brillé non seulement à Tokio mais aussi, quatre ans plus tard, à Mexico.
Ses premiers succès sportifs, Věra Čáslavská les a remportés au début des années 1960. Au fur et à mesure, ses performances et son charme ont fait d'elle l'ambassadrice la plus célèbre de son pays. En 1968, elle a été proclamée meilleure sportive du monde. A l'époque, tout semblait lui sourire.
La charmante Věra est au sommet de la gloire lorsqu'elle épouse, pendant les Jeux olympiques dans la capitale mexicaine, le coureur Josef Odložil, médaille d'argent olympique. Jamais un mariage entre sportifs tchèques n'avait eu un tel retentissement. Deux enfants, une fille et un fils, naîtront de cette union. Toujours en 1968, Věra Čáslavská est proclamée meilleure sportive du monde, la seconde femme la plus populaire après Jacqueline Kennedy.
Mais le bonheur est de courte durée, car elle doit connaître par la suite, à deux reprises, des chutes dont elle ne se remettra que difficilement et beaucoup plus tard. Tout a basculé pour elle après l'écrasement du Printemps de Prague par les chars soviétiques, en août 1968. En tant que signataire du manifeste « 2000 mots », qui dénonçait les pratiques du régime et de ses nouveaux leaders, elle a été exposée à toutes sortes de persécutions et a disparu du devant de la scène. Věra Čáslavská n’a pas omis d’évoquer ce long et sinistre chapitre de sa vie dans le discours qu’elle a prononcé cette semaine lors de la remise de l’Ordre du soleil levant, sur le sol de l’ambassade du Japon à Prague en disant:„Pendant ces vingt années longues et difficiles, je puisais une grand force psychique chez les gens que je ne connaissais même pas et qui m’adressaient des lettres chaleureuses et encourageantes. Au cours de ces années noires et dépourvues de liberté, le Japon incarnait pour moi un pays où le soleil d’espoir se levait. Cela m’a beaucoup aidé. »
Věra Čáslavská ne s'est pourtant jamais inclinée, en dépit du fait que, sollicitée dans tous les coins du monde, le régime ne l'a autorisée à sortir du pays que pour un stage de deux ans au Mexique. Côté vie privée, Věra Čáslavská n'est pas très heureuse non plus. Elle a divorcé de son athlète, après dix-neuf ans de mariage.
La chute du régime communiste donne satisfaction à Věra Čáslavská. Elle devient l'une des conseillères du président Václav Havel, est élue présidente du Comité olympique tchécoslovaque et reçoit des prix. Mais encore une fois, son bonheur est de courte durée. Cette fois, c'est sa vie privée qui bascule...Une tragédie antique. C'est en ces termes qu'on a l'habitude de décrire le drame familial que Věra Čáslavská vit au début des années quatre-vingt-dix. Lors d'une bagarre dans une discothèque qui oppose son ex-mari, l'athlète Josef Odložil, médaillé d'argent olympique, et son fils, le père meurt. Le fils est condamné à quatre ans de prison ferme avant d'être bientôt gracié par le président Havel. Věra Čáslavská a du mal à affronter la situation avec sérénité. Elle se réfugie dans un foyer d'assistance sociale et coupe les liens avec le monde extérieur, sauf avec sa famille et quelques rares intimes.
« Je mène une vie tranquille. Je lis, j'écoute de la musique. Je me promène... Je veux protéger mes enfants pour qu'ils puissent vivre une vie normale», se confie-t-elle alors dans la première interview qu'elle a accordée depuis dix ans... C’était il y a trois ans.
Aujourd’hui, on voit Věra Čáslavská sortir de l’ombre. Même si ses apparitions en public restent rares, elle a pourtant brisé le silence et l'isolement dans lesquels elle s'était réfugiée de son propre gré pendant de longues années, elle ne refuse plus de donner des interviews, d’apparaître sur le petit écran.
Dans l’interview qu’elle a accordée en juin dernier au quotidien Mladá fronta Dnes, elle a parlé entre autres de ses états d’âme à l’époque de son isolement volontaire:
« A l’époque, je ne me sentais pas battue ou vaincue. J’avais une vérité qui était la mienne et dont j’étais intimement convaincue. Si j’ai préféré éviter les rencontres et les gens, c’était parce que je me sentais très fatiguée et épuisée. Mon corps et mon âme ont revendiqué le repos ».
A la question de savoir ce qui compte actuellement le plus pour elle, Věra Čáslavská a répondu :
« Le plus important pour moi, c’est la santé. Aussi banal que cela puisse paraître, c’est pourtant entièrement vrai. Ce que je veux par-dessus tout, c’est mener une vie équilibrée, atteindre une certaine sérénité. Je veux aussi profiter de certaines choses que je négligeais auparavant, car j’avais une vie très mouvementée, voire hectique. Je veux écouter de la musique, car j’ai beaucoup de disques que j’ai amenés de l’étranger. Je le fais déjà, mais très sporadiquement pour l’instant. Ce qui compte également beaucoup pour moi, c’est ma famille et les amis sur lesquels je peux compter. Et j’a découvert que de tels gens effectivement existent. »A l’occasion de la récente remise de la plus haute distinction japonaise à Věra Čáslavská, le journal Lidové noviny déplore le fait que nous les autres Tchèques ayons tendance à oublier cette gymnaste qui est une célébrité sportive mondialement reconnue. Et de faire remarquer qu’il est en quelque sorte honteux de voir venir les Japonais pour nous la rappeler et pour mettre en relief son importance.
Et de conclure que l’on devrait, enfin, tourner un bon documentaire qui lui serait consacré.