Les livres de coton
Le livre est fait de papier et l’histoire du papier fait donc partie de l’histoire du livre. Depuis des siècles la production du papier répond aux besoins des écrivains et des éditeurs et reflète en quelque sorte le niveau spirituel de la population. La papeterie de Velké Losiny située en Moravie du Nord est un monument vivant de l’histoire de la production du papier et des livres dans les pays de la couronne tchèque.
« C’est une des papeteries les plus anciennes d’Europe. Elle a été fondée entre 1591 et 1596. Actuellement c’est la plus ancienne et l’unique papeterie où le papier est fabriqué à la main. Elle fonctionne véritablement depuis plus de 400 ans. »
La commune de Velké Losiny est située dans une contrée pittoresque à la beauté un peu mélancolique au pied du massif de Jeseníky en Moravie du Nord. Le domaine de Velké Losiny a appartenu depuis 1495 à la famille des Žerotín, une des plus importantes familles aristocratiques de Moravie et de Bohême. Ce sont les Žerotín qui ont construit à Velké Losiny un manoir transformé au début du XVIe siècle en un château Renaissance d’un style pur et admirable. Et Jan Jurčík de rappeler que les Žerotín ont également fondé près du château une papeterie :
« C’était l’idée de Jan de Žerotín fils qui entre 1590 et 1596 s’est établi dans le domaine de Velké Losiny et a fondé la manufacture de papier mais aussi le château et la station thermale sur les sources d’eau minérale sulfureuse. Tout d’abord le papier fait à la main était une rareté précieuse et n’était utilisé que par la noblesse. Avec le temps il allait devenir cependant un objet d’usage quotidien et au cours du XIXe siècle il a été remplacé par le papier fabriqué de manière industrielle. » La manufacture de Velké Losiny a survécu à des guerres, à des révolutions et même à la révolution industrielle qui s’est avérée fatale pour presque tous les ateliers où le papier était fabriqué à la main. Cette vieille méthode ne pouvait pas rivaliser avec la technique industrielle, les mains des ouvriers ne pouvaient se mesurer aux machines qui crachaient chaque jour avec une rapidité prodigieuse une énorme quantité de papier bon marché. En 1778 le comte Jan Ludvík de Žerotín vend la manufacture au maître papetier Mathias Werner et en 1855 la papeterie est revendue à Anton Schmidt. C’est grâce à l’ingéniosité de ce dernier que la fabrication du papier fait main à Velké Losiny résistera à la concurrence de la grande industrie. Il apporte quelques innovations techniques tout en gardant la production du papier à l’ancienne. La découverte des excellentes qualités du papier fait main et plus tard l’engouement des milieux artistiques pour le papier artisanal permettent finalement à la manufacture de Velké Losiny de surmonter les temps difficiles et de se maintenir sur le marché. En 1949, la manufacture est affiliée à la société Olšanské papírny qui réunit plusieurs papeteries industrielles de Moravie du Nord tout en gardant son caractère artisanal. Et finalement en 2006, elle s’émancipe et devient une société par actions qui s’appelle désormais Ruční papírna Velké Losiny (Manufacture de Velké Losiny). Son directeur Jan Jurčík présente sa production actuelle :« C’est évidemment du papier mais il est composé de pures fibres de coton. On peut dire donc que dans une certaine mesure il n’y pas de différence entre une étoffe de coton non tissée et du papier fait à la main. »
La pâte qui sert à la fabrication du papier est un mélange de fibres de coton, de lin et d’eau. La matière ainsi obtenue est versée sur des tamis spéciaux où elle est égouttée et homogénéisée par un mouvement de branlement. Elle se densifie et devient compacte. Les feuilles sont ensuite enlevées des tamis, empilées sur des plateaux, pressées, séchées et laminées entre deux rouleaux. Le processus est donc relativement compliqué et assez long mais le résultat en vaut la peine. Une feuille de papier faite main est bien différente de la production courante. Les papiers sont fabriqués une feuille à la fois et le grain de surface du papier fini est un peu rugueux. Les feuilles ne sont pas coupées mais ont des bords frangés sur les quatre côtés. La grande partie du travail est réalisée par les mains des artisans et la mécanisation n’intervient que dans quelques étapes du processus. Les rares mécanismes utilisés, dont une pile appelée Hollander qui broie des fibres pour la pâte à papier, sont historiques. Les matières utilisées sont naturelles et sans additifs chimiques. Jan Jurčík répertorie les utilisations diverses du papier artisanal :« En ce qui concerne le papier fait à la main, c’est l’objet principal de notre de production. Nos clients principaux sont bien sûr des institutions d’Etat, des sociétés privées, des acheteurs individuels. Nous manufacturons du papier à lettres classique pour la correspondance personnelle, nous fabriquons des diplômes, des certificats, nous livrons du papier pour l’impression des livres pour bibliophiles, pour les imprimés officiels et représentatifs et bien sur le papier utilisé par les artistes pour l’aquarelle, la gravure et les méthodes d’impression artistiques. La gamme de nos produits est vraiment très large. » Ce sont les bibliophiles et les éditeurs des livres publiés à leur intention qui sont les clients importants de la papeterie de Velké Losiny. Pour un bibliophile le livre n’est pas qu’un ouvrage littéraire, mais aussi un objet d’art. Les auteurs des livres d’artistes soignent donc beaucoup leurs œuvres et leur présentation graphique. Ils choisissent avec beaucoup de soin les types de caractères, les illustrateurs et aussi la qualité du papier. C’est vers la fin du XIXe siècle que l’art de la bibliophilie et du livre d’artiste a connu un grand essor dans les pays de langue tchèque. Dès 1908 est fondée l’Association des bibliophiles tchèques qui existera encore au début du XXIe siècle. Les livres pour bibliophiles publiés à cette époque-là, en général brochés et illustrés de gravures, sont aujourd’hui recherchés par les collectionneurs. Il ne s’agit que rarement de romans mais plutôt de genre de dimensions plus modestes, de poésies, d’essais et de recueils de souvenirs. Leur tirage ne devait pas dépasser 200 exemplaires, les illustrations devaient être signées par leur auteur et chaque exemplaire devait être numéroté et signé par l’écrivain ou le traducteur. Et évidement, ils devaient être imprimés sur du beau papier. Ces règles de la production de beaux livres sont valables encore aujourd’hui et la papeterie historique de Velké Losiny reste un fournisseur incontournable de leurs éditeurs.