Les Tchèques fêtent-ils aussi les 85 ans de Milan Kundera ?
Quatre jours après le centenaire de la naissance de Bohumil Hrabal, c’est au tour d’un autre grand écrivain tchèque (du moins d’origine) du XXe siècle d’être à l’honneur ce mardi 1er avril. Ce n’est pas un poisson d’avril et ça ne l’a d’ailleurs jamais été : Milan Kundera, l’auteur entre autres de La Plaisanterie, fête ses 85 ans. En dépit de la distance qui sépare désormais l’écrivain de son pays d’origine, l’événement ne passe pas totalement inaperçu en République tchèque, même s’il est « célébré » avec moins de fastes que pour Hrabal.
Ces propos en français de Milan Kundera remontent à 1968. Invité sur un plateau de la télévision française, l’écrivain tchèque qu’il était alors encore avait accepté de s’exprimer sur son premier roman, La Plaisanterie, dont la traduction en français venait juste d’être publiée aux éditions Gallimard avec une préface retentissante de Louis Aragon. A l’époque, Milan Kundera, que l’on découvrait en France, quelques semaines après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars russes et l’écrasement du Printemps de Prague, donnait encore des interviews. Cela n’est plus le cas depuis 1985. Et depuis l’auteur joue, avec un certain succès, du voile de mystère qui l’entoure, en République tchèque peut-être plus encore qu’en France, son pays d’adoption, comme il l’avait expliqué en juillet 1981, lors de la cérémonie de sa naturalisation :
« La France a toujours été ma deuxième patrie, ma patrie spirituelle. Et si elle est aujourd’hui devenue ma première partie, j’en suis vraiment très heureux. »
La France, Milan Kundera l’a choisie en 1975 en lieu et place de la Tchécoslovaquie. Et c’est en France qu’il est devenu l’écrivain à résonnance mondiale que l’on connaît aujourd’hui, « l’écrivain probablement le plus célèbre issu du peuple tchèque », comme le constatait, en mars 2011, notre collègue Václav Richter dans ses Rencontres littéraires consacrées à l’entrée de Milan Kundera dans la Bibliothèque de la Pléiade, la prestigieuse collection de Gallimard (http://www.radio.cz/fr/rubrique/literature/milan-kundera-parmi-les-classiques).
Alors qu’en République tchèque, les manifestations se rattachant au centième anniversaire de la naissance de Bohumil Hrabal battent actuellement leur plein, établir un parallèle entre ceux qui resteront très probablement les deux plus grands écrivains de langue tchèque de la seconde moitié du XXe siècle est tentant. C’est ce qu’avait fait en début d’année dernière le directeur-adjoint du Centre tchèque à Paris, Jean-Gapsard Páleníček, lors de la présentation du projet intitulé Via Hrabal :
« C’est toujours surprenant pour moi : si on dit le nom de Kundera à n’importe quel Français dans la rue, il l’aura déjà entendu au moins une fois dans sa vie. Par contre, quand on dit le nom de Hrabal, parfois on entend : ‘ah oui, Arrabal, je connais’, alors que la presque totalité de l’œuvre de Hrabal a pourtant été traduite en français. »
Ce déficit de reconnaissance de Hrabal en France n’est pas la seule différence entre celui-ci et Kundera. Car si l’œuvre du premier est aujourd’hui unanimement reconnue en République tchèque, celle de Kundera, et essentiellement celle de l’après 1990, est considérée avec plus de réserve. C’est que Kundera, depuis la publication de L’immortalité en 1990 et de La Lenteur cinq ans plus tard, ses deux premiers romans écrits en français, n’est plus un auteur tchèque, mais bel et bien français. Et si Milan Kundera veilla encore à traduire L’Immortalité en tchèque, avec une publication dans son pays d’origine trois ans après celle en français, il ne le fit plus pour ses livres suivants, restés sans traduction dans sa langue maternelle ; la langue qu’il affirme pourtant toujours pratiquer chez lui avec son épouse tchèque. C’est aussi ce qui explique que la sortie, cette semaine en France, de La Fête de l’insignifiance, malgré l'anniversaire de Milan Kundera, passe presque inaperçue en République tchèque. Comme la fête d’une relative indifférence.