« L'interrogatoire à distance », vingt ans après

Vaclav Havel, photo: CTK

Après un long silence - un trop long silence pour beaucoup - un nouveau livre de Vaclav Havel est enfin paru. A en juger d'après la place que les pages culturelles de la presse tchèque de ces derniers jours ont réservée à sa publication, il y a lieu de parler, d'ores et déjà, d'un événement littéraire. En voici un bref résumé.

Vaclav Havel,  photo: CTK
« On trouve beaucoup de livres qui ont été consacrés au dissident tchèque le plus célèbre, devenu président », constate le critique littéraire, Viktor Slajchrt, dans les pages de l'hebdomadaire Respekt, et de poursuivre : « D'un côté, il existe des hagiographies sentimentales et, d'un autre côté, des pamphlets à scandale. Des textes sérieux font pratiquement défaut. Dans ce contexte, les textes de Vaclav Havel lui-même qui se distinguent par une certaine réserve, un style exquis et un sens prononcé du paradoxe et de l'ironie à l'égard de soi- même, paraissent comme un véritable rafraîchissement ».

Vaclav Havel, écrivain, s'est tu pendant une quinzaine d'années. Président d'abord de la Tchécoslovaquie et, par la suite, de la République tchèque, créée en 1993, il avait effectivement peu de temps et de disposition à écrire autre chose que des interventions ou des discours. Son dernier mandat ayant en février 2003 expiré, tout le monde se demandait - avec parfois un certain doute - s'il allait vraiment recommencer à écrire. D'autant que, dans un entretien, il avait alors déclaré : « Je ressens une certaine lassitude. En tant que Président, j'avais à écrire beaucoup de choses, je rédigeais un texte presque chaque week-end ».

Plus de trois ans après, trêve de doutes : Vaclav Havel nous revient en homme de lettres. Son nouveau livre, qu'il vient de présenter à la Foire du livre à Prague, et qui se vend désormais dans les librairies tchèques - fort bien d'ailleurs -, s'appelle « Avec concision, s'il vous plaît ».

Il est conçu comme une sorte de collage composé de plusieurs fragments : des réponses écrites aux questions posées par le journaliste Karel Hvizdala, un journal intime commentant cet entretien, ainsi que des événements d'actualité et, finalement, des extraits de consignes, de notes ou de remarques adressés par Vaclav Havel à ses collaborateurs, aux temps où il fut président de la République.

On rappellera que le tandem Hvizdala - Havel possède à son compte le fameux « Interrogatoire à distance » qu'ils ont rédigé il y a une vingtaine d'années, sous le régime communiste donc. Karel Hvizdala s'en est souvenu dans les pages d'une récente édition du journal Lidove noviny :

« Le premier livre, on l'a réalisé à travers le rideau de fer. Moi, je me trouvais à l'époque à Bonn, tandis que Havel vivait à Prague ou il habitait sa maison de campagne, à Hradecek. Je lui ai envoyé une cinquantaine de questions, et il a enregistré ses réponses sur des cassettes qu'il m'a, par la suite, envoyées... Assez paradoxalement, le nouveau livre a été créé à une plus grande distance encore : à Washington, en Pologne, de nouveau à Hradecek ou ailleurs. »

« Avec concision s'il vous plaît » commence là où « l'Interrogatoire à distance » se termine, soit dans la moitié des années 1980. Et si ce dernier a été rédigé à l'occasion des cinquante ans de Havel, le nouvel ouvrage paraît au moment où celui-ci s'apprête à souffler ses soixante-dix bougies.

« Vaclav Havel fut sous la pression du monde entier, tout le monde attendait effectivement ce qu'il allait écrire », se confie Karel Hvizdala et d'ajouter : « Le blocus qu'il éprouvait à l'égard de l'écriture une fois éliminé, on peut bien espérer qu'il continuera à écrire. Le psychologue que j'avais consulté, pour savoir comment m'y prendre, m'a recommandé de commencer par des questions triviales. Malin, Havel m'a demandé pourquoi j'avais des questions aussi bêtes ».

L'éditeur du livre, Jaroslav Koran, quant à lui, avoue de ne jamais avoir lu une confession aussi sincère d'un ancien haut représentant politique que celle que Havel offre dans son dernier ouvrage. Il estime qu'il lui apportera un nouveau respect et une nouvelle reconnaissance de la part des lecteurs.

La sincérité est un élément qui est fort apprécié, aussi, par Viktor Slajchrt, déjà cité. Il écrit en outre :

« Havel sait développer différents registres... on se plaira à savourer son sens de l'humour, son hédonisme cultivé, son goût prononcé pour les finesses quelques peu excentriques de la langue. Mais on sera aussi le témoin de ses moments de dépression, d'angoisse et de désespoir. Il n'hésite pas non plus à parler de ses petits défauts et de ses faiblesses, histoire d'avoir encore plus de sympathies du lecteur. L'étroitesse d'esprit n'y a pas de place : cacher les détails intimes serait appauvrir la « grande histoire », dont il est le principal protagoniste ».

Le critique conclut son article paru dans l'hebdomadaire Respekt en écrivant : « Dans son dernier livre, Vaclav Havel s'est fait valoir non seulement en tant qu'homme de lettres moderne et sophistiqué, mais aussi en tant qu'homme politique qui sait habilement traiter la vérité. Ce double rôle donne tout de même à réfléchir ».

Vaclav Havel,  photo: CTK
Dans le quotidien Mlada fronta Dnes, un autre critique littéraire renommé, Josef Chuchma, écrit qu'il est certain que le nouveau livre de Havel déplaira à l'actuel président Vaclav Klaus, tout comme aux membres et aux sympathisants du Parti civique démocrate, l'ODS, principal parti de l'opposition de droite. « Force est pourtant de constater, ajoute-t-il, que Havel est dégoûté par l'ensemble de la scène politique tchèque ».

C'est dans les passages non politiques que réside pour l'auteur de l'article intitulé « A la limite du possible » le plus grand intérêt du livre « Avec concision, s'il vous plaît ». Autrement dit, c'est sa dimension humaine qui vaut le plus, un avis qui est par ailleurs partagé par une grande partie des commentaires et des critiques. Et celui-ci de conclure : « Ce livre contient ce que Havel peut se permettre, compte tenu de son destin et des circonstances. «

Karel Hvizdala se félicite de ce qu'on ait réussi à tenir secret, jusqu'au dernier moment, le contenu du livre. Ceci en dépit du fait que tout un éventail de personnes y ait été engagé. « On a pris des mesures de sécurité sévères et, en plus, jouer au complot nous amusait. Notre jeu portait même un nom de guerre », dit-il.

Le livre « Avec concision, s'il vous plaît » que l'on aime à qualifier en Tchéquie de collage littéraire, paraîtra bientôt sur le marché international. Sa version allemande sera présentée l'automne prochain à la Foire du livre à Francfort, tandis que son édition américaine et sa présentation à Washington sont prévues d'ici à la fin d'année. Ce sont aussi les versions française, italienne, polonaise et hongroise du livre qui se préparent.