Lise Forell - de Brno à Sao Paulo, dans la main des pinceaux

Tropicalia
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Née en 1924 dans une famille juive de Brno, Lise Forell est aujourd'hui une artiste-peintre brésilienne. Partie de Moravie dès 1938, la famille de Lise Forell n'a accosté sur les côtes brésiliennes que plusieurs mois plus tard, au terme d'un voyage épique pendant lequel elle n'a jamais cessé de dessiner. Dans notre émission aujourd'hui, elle raconte l'aventure qu'elle a vécue avec parents et grands-parents à travers l'Europe et l'Afrique pour échapper aux nazis, et décrit les liens particuliers qui l'unissent à son pays d'adoption.

« On est allé en Belgique, où j'avais un oncle qui vivait à Anvers. Je dessinais et peignais depuis toute petite, donc je dessinais bien. Ils ont fait une exception pour moi et m'ont acceptée à l'école des Beaux-arts, et c'est là que j'ai appris le français. »

« Puis les Allemands sont arrivés en Belgique, on a fuit par le nord de la France et voulu passer en Espagne. Mais on ne nous a pas laissé passer. Alors nous sommes restés dans le sud de la France, à Marseille, où nous avons dû acheter une traversée sur un bateau français en partance pour le Brésil. On n'a pas choisi le Brésil, mais le visa brésilien était le visa meilleur marché... »

« Donc nous avons acheté le visa et sommes partis en 1939 pour arriver dix mois plus tard... Parce qu'on est resté cinq mois à Dakar, sans explications, apparemment parce qu'il y avait de la contrebande sur le bateau. Après, on nous a tout simplement foutus dans un camp de concentration au milieu du désert marocain. C'était un camp de légionnaires français, très mal organisé avec un chef de camp habitué à être avec des légionnaires - pas la crème de la crème - et nous avons été traités comme des prisonniers de guerre, femmes enceintes, enfants, et personnes âgées compris. »

« J'ai eu de la chance. J'ai fait une série de caricatures contre le commandant du camp et l'organisation française - parce qu'on disait toujours que les Français étaient très gentils avec les émigrants, ce qui n'était pas vrai du tout - et quelqu'un l'a rapporté au chef du camp, qui était un militaire stupide et qui m'a envoyée à Casablanca pour m'expliquer avec le chef de la police. Ce dernier - j'avais 17 ans à l'époque et je n'étais pas laide - voulait faire de moi sa maîtresse... Il a fait venir mes parents et grands-parents à Casablanca. On est resté trois mois, je ne suis pas devenue sa maîtresse mais j'ai eu la chance de pouvoir revoir mes papiers. Alors on a refait les visas et racheter une traversée avec une autre compagnie de navigation... »

« On a mis un mois parce qu'il y avait beaucoup trop de gens sur le bateau. Mais on est arrivé au Brésil, et là, tout a changé car les Brésiliens sont des gens très généreux et hospitaliers. Ils n'ont pas la mentalité européenne de demander d'où vous êtes, si votre grand-père était riche et célèbre, etc. La mentalité brésilienne va mieux avec la mienne. Les gens ne sont pas antisémites et se fichent pas mal de l'origine de votre famille. »

« Mais je reviens quand même avec grand plaisir en République tchèque. Brünn (Brno), pour moi, c'est le rêve, la première école, le premier dentiste, les premiers pas, les premiers amis, les premiers baisers... La première fois, c'était il y a 15 ans, j'avais fait une exposition à Brasilia à laquelle j'avais invité l'ambassadeur tchèque et l'ambassadeur israélien, et les deux m'ont invitée à faire des expositions. Donc, après 40 ans, je suis revenue pour la première fois dans la Tchécoslovaquie que j'aimais, puis en Israël, où je me trouvais partiellement à la maison. »

« C'est donc comme ça que je suis retournée à Brünn pour la première fois. Très émouvant. J'ai couru à la maison où je suis née. Les gens qui y habitent m'ont très gentiment reçue et m'ont montré la chambre où je suis née et tout ça... Je suis allée à mon école, à la synagogue, et au centre du mouvement sioniste auquel j'appartenais. Mais je n'ai revu personne de ma famille, car tous ceux qui ne sont pas venus avec moi sont morts dans des camps de concentration. »


En attendant de les voir à Prague, certaines oeuvres de Lise Forell sont exposées dans la galerie Pod Kamenou zabou à Ceske Budejovice jusqu'au 13 novembre.