A Vouziers, dans les Ardennes, la mémoire des légionnaires tchécoslovaques toujours honorée
Depuis 1988, la ville de Vouziers dans les Ardennes et celle de Ratíškovice, en Moravie du Sud, sont liées par un accord de jumelage. Et pour cause : ce lien franco-tchèque a des racines bien plus profondes puisqu’à Vouziers sont inhumés 282 soldats tchécoslovaques tombés pour la France à la fin de la Première Guerre mondiale. Un lycée, construit dans l’entre-deux-guerres, porte également le nom du premier président tchécoslovaque, Tomáš G. Masaryk. Radio Prague Int. a rencontré Sébastien Boschat, Pragois originaire de Vouziers, qui nous en dit plus sur cette histoire franco-tchèque.
« Bonjour, je m’appelle Sébastien Boschat, je suis professeur de français langue étrangère, et podcasteur depuis deux ans. J’habite à Prague, et en République tchèque depuis très longtemps – je dirais même la Tchécoslovaquie, puisque je suis arrivé en 1991. »
Nous nous rencontrons aujourd’hui pour parler d’un lien franco-tchèque probablement un peu méconnu de nos auditeurs et de nos lecteurs : je souhaitais évoquer le jumelage entre la ville de Vouziers, dans les Ardennes, et Ratíškovice, en Moravie du Sud, près de Hodonín. Plus de 200 légionnaires tchécoslovaques sont inhumés dans la nécropole de Vouziers qui a été un des champs de bataille de la Première Guerre mondiale…
« Tout à fait. A Prague, il y en a même des traces, en fait, puisque dans la rue Na Poříčí, où se trouve le théâtre Archa, sur une des façades se trouve un buste sous lequel on peut lire le nom de Vouziers. Et juste un peu plus loin on peut lire le nom d’un tout petit village dans les Ardennes, Terron. »
Il faut rappeler que de nombreux Tchécoslovaques se sont en effet engagés du côté des Alliés, pendant la Première Guerre mondiale, notamment côté français, refusant d’être enrôlés du côté de l’armée de l’Autriche-Hongrie. Et c’est notamment cette participation qui leur a permis de défendre la légitimité de la création de la Tchécoslovaquie après la guerre.
« En France, enfin, à Vouziers surtout, on parle beaucoup de la compagnie Nazdar. C’est le 21e et 22e régiment des légionnaires tchécoslovaques qui sont venus défendre ma région en octobre 1918. C’est leur première grande bataille sur le sol français. Et moi, qui suis presque originaire de Vouziers, j’ai toujours eu dans mon esprit la Tchécoslovaquie. Pour nous, à Vouziers, ce n’était pas étranger. Et je connaissais cela un petit peu plus que les autres, parce que j’ai eu la chance d’aller au lycée de Vouziers qui s’appelle le lycée Masaryk. »
Un lycée qui a été inauguré le 25 mai 1930 par Stefan Osuský, qui était le ministre plénipotentiaire de la Tchécoslovaquie à l’époque. C’est un très beau lycée, en effet, dans le style de l’entre-deux-guerres, en plein centre de cette petite ville des Ardennes… Vous me disiez aussi, hors micro, que votre père est un ancien maire adjoint de la ville de Vouziers. Pouvez-vous nous en dire plus sur le jumelage qui existe entre Vouziers et Ratíškovice ? Votre père a été partie prenante de ce jumelage et des commémorations patriotiques franco-tchèques…
« Exactement. Vouziers, c’est une petite ville, un gros village, avec à peu près 5 000 habitants. Mon père, travaillant en banque, connaissait beaucoup de gens. Et les mairies de ces petites communes sont composées d’élus municipaux, qui ne sont pas très politisés. On recherchait plutôt des gens de bonne volonté, pour venir s’occuper des départements municipaux. Mon père s’est donc longtemps occupé, en tant que maire adjoint, des commémorations patriotiques. Dont celles qui unissaient la Tchécoslovaquie, et après la République tchèque, et la France par Vouziers. J’ai donc toujours baigné dans cette atmosphère. Ensuite, notre professeur d’allemand a fait un jumelage avec l’Allemagne, mais il aimait beaucoup aussi la Tchécoslovaquie. Il a mis en place un comité de jumelage, en 1988-1989. Un jumelage, c’est toujours entre deux villes qui sont à peu près de la même importance, avec le même nombre d’habitants. Le but est surtout culturel et politique. Mais surtout culturel – économique, après, si ça marche bien. Ratíškovice étant en Moravie du Sud, la ville envoyait régulièrement un groupe folklorique à Vouziers, pour nous montrer leurs danses et leurs chants. Ils nous ont un peu montré ce qui se passait de ce côté de l’Europe. Quand j’étais jeune, avant la révolution de 1989, je me souviens d’une grande carte en classe où il y avait en rouge, l’URSS, et puis les pays qui étaient plutôt en rose. Pour nous, c’était un petit peu l’inconnu. Nous, Français, on ne savait pas trop ce qui se passait là-bas. »
Et pourtant, ce n’était pas loin géographiquement – a fortiori depuis l’est de la France.
« Tout à fait. Quand je suis parti en Tchécoslovaquie en 1991, c’était incroyable : les gens me disaient mais pourquoi tu pars là-bas ? Même plus tard, ayant déjà une famille, on me demandait comment j’y allais. En avion, en bateau ? Non, non, je viens en voiture, Prague à 850 kilomètres ! »
Quand on parle du jumelage, ça veut dire, qu’il peut y avoir des échanges entre les écoles des deux communes ?
« Il y a beaucoup de choses qui ont été faites dans ce sens. En outre la Champagne-Ardenne est toujours jumelée avec la région de Vysočina. Les Ardennes, c’est un peu comme la Vysočina, une région avec beaucoup de bois, de forêts. Donc il y a eu des échanges entre des classes, beaucoup plus importants, mais aussi des échanges économiques entre scieries. »
Ce jumelage a vu le jour à la fin des années 1980, un peu avant la chute du rideau de fer. Cela veut dire que quand même, à cette époque-là, il y avait un intérêt, malgré ce rideau de fer, pour ce faire genre de jumelage, et pour commémorer les soldats tchécoslovaques de la Première Guerre mondiale ?
« Le monument que nous, Vouzinois, surnommons Bobo, avec le quartier, le cimetière, où sont enterrés les légionnaires tchécoslovaques, mais aussi des Allemands et des Français, a toujours été cher à notre cœur. On n’a jamais été très éloignés de cette culture. Quand le comité de jumelage a été lancé, il y a eu toujours, à ce moment-là, des bénévoles qui sont venus pour voir ce qu’on pouvait faire. Moi je suis allé à Ratíškovice en 1991, pendant l’été. Je suis un ancien nageur et je suis venu pour l’inauguration de la piscine municipale de Ratíškovice. On a fait une compétition avec des gens de Brno, parce qu’à Ratíškovice, il n’y avait pas encore vraiment de nageurs. J’ai un souvenir un petit peu étrange de cette époque qui montre un peu quelle était l’ambiguïté de la connaissance de ces deux pays. Nous, Français, voulions apporter des petits cadeaux, puisqu’on était accueillis dans une famille. La grande question, c’était quoi ? Certains Français proposaient des crayons de couleurs, etc. Quelques années après, connaissant l’existence de l’entreprise Koh-i-Noor, ce n’était pas forcément le meilleur cadeau. Pour les adultes, on a apporté du vin. Mais ce n’était pas évident. Quand je suis arrivé, c’était fou, parce que j’avais l’impression de connaître ce pays. J’avais l’impression que les gens n’étaient pas très différents. La langue, c’était compliqué, mais je me suis tout de suite senti bien. »
Est-ce qu’on peut dire que d’une certaine façon, que ce jumelage et ce lien entre ces deux villes a un peu changé votre vie ?
« Tout à fait. Jeune adulte, j’ai vécu la chute du mur de Berlin. J’étais à Vouziers et je regardais la télé. Et là, je ne regrettais qu’une seule chose, c’est qu’il n’y ait pas de train pour y aller parce que je voulais tout de suite partir là-bas. Je trouvais que c’était vraiment très beau. Et je sentais que je vivais un moment historique dans ma vie. Je n’avais pas encore 18 ans, et je suis resté à Vouziers. Mais j’ai toujours eu ce regret de ne pas avoir participé à ce grand événement historique. En tout cas, sans le jumelage, je ne pense pas que j’aurais eu cette vie. »
Aujourd’hui, vous enseignez le français aux Tchèques. Vous avez enseigné dans des Alliances françaises de différentes villes de Tchéquie, mais également à l’Institut français de Prague. Et vous animez également un site qui s’appelle Françaisie, avec des podcasts…
« J’ai enseigné longtemps dans des alliances françaises. A l’époque, on avait des ciseaux, de la colle, on faisait des copier-coller et on montrait ça aux étudiants. Et puis, au fur et à mesure des années, tout cela a évolué. Avec la crise du Covid, notamment, l’ordinateur et l’enseignement en ligne ont pris le dessus. Et ça a tout changé. Ensuite, je pense qu’on ne parle pas assez de francophonie. Les manuels étaient à l’époque encore très centrés sur la France. J’ai fait de la radio en France, et à Brno aussi, au début des radios libres, et je me suis dit que j’allais faire un podcast avec des thèmes variés qui traitent de la francophonie. Quand on apprend une langue, la compréhension orale ne suffit pas : il faut avoir un support écrit. A côté j’ai donc lancé une plateforme pédagogique, francaisie.com que j’ai voulue pour les étudiants en autodidactes. Les gens n’ont pas forcément une grande école, un institut, une alliance à côté de chez eux… La particularité, c’est aussi que ce site peut être adapté pour les professeurs, qui peuvent y trouver un matériel de qualité, original, sur le monde de la francophonie. »
L’idée, c’est aussi que les podcasts soient un support pour accompagner les personnes qui apprennent le français. En plus de l’aspect purement grammatical et orthographique…
« Exactement. Je travaille sur le monde francophone, les expressions francophones surtout. Mais ça dépend des podcasts. A chaque podcast, je fais correspondre des activités pédagogiques et thématiques. J’ai notamment fait un podcast qui pourrait intéresser les personnes qui nous écoutent puisque ça s’appelle : Paris vs. Prague. J’y ai accueilli deux étudiantes, une de Paris, une de Prague et ensemble, on confronte un petit peu les deux villes, on compare la vie culturelle, la propreté, la sécurité, etc. »