Louis Langrée et la Philharmonie tchèque : « Un rapport de séduction »

Louis Langrée, photo: ČTK/Ondřej Deml

Pour ce 74ème festival du Printemps de Prague, Louis Langrée, célèbre chef d’orchestre français et directeur musical de l’Orchestre symphonique de Cincinnati, est le chef invité qui dirigera l’orchestre Philharmonique tchèque ce vendredi soir. Un concert où les caractéristiques de la musique classique française seront mises en valeur avec un concerto de Berlioz, Ravel et Franck à la Maison municipale de Prague. Rencontre.

Devenir chef d’orchestre, était-ce une évidence pour vous ?

Louis Langrée,  photo: ČTK/Ondřej Deml
« Non. Par contre, la musique était une évidence. Devenir chef d’orchestre lorsque vous avez dix ou onze ans, ça peut être un rêve ou un fantasme mais vous ne pouvez pas le devenir si jeune. Être chef d’orchestre, c’est d’abord apporter quelque chose aux musiciens sans forcément leur apprendre. Vous êtes d’abord là pour apporter un point de vue différent sur une œuvre. Pour moi c’est une vocation qui est venue assez tard. Je jouais du piano et j’ai toujours aimé faire de la musique de chambre avec passion. Et selon moi, faire de la musique d’orchestre, c’est faire de la musique de chambre démultipliée. Tous ces gens qui font de la musique ensemble qui ont des caractères différents, parfois des cultures différentes, des âges différents, des expériences différentes et qui parlent ensemble d’une même voix, c’est une belle leçon de vie. Écouter, répondre, provoquer et faire ensemble. »

Lors de la conférence de presse, vous avez mentionné le timbre particulier de la musique classique française aux contrastes forts. Comment faites-vous pour harmoniser l’orchestre et garder le naturel de la musique française ?

« Je ne parle pas tchèque, peu de gens dans l’orchestre parlent français, mais musicalement j’ai l’impression qu’on parle la même langue. Il y a une spécificité dans l’identité sonore de l’orchestre tchèque qui me plaît et que je veux utiliser évidemment. Lorsque vous venez comme chef invité, vous ne souhaitez pas transformer le son d’un orchestre en trois jours. Au contraire, il faut que l’orchestre parle dans son arbre généalogique musical et il y a énormément de similitudes. L’orchestre tchèque détient une clarté d’articulation et de phrasé qui sont tout à fait essentiels dans la musique française. »

Vous avez souligné à l’instant que la musique est une langue internationale. Ayant eu plusieurs expériences avec des orchestres du monde entier, avez-vous déjà rencontré des difficultés avec des orchestres qui ne parlent pas la même langue que vous, qui ne partagent pas la même culture ?

« Quand vous êtes directeur musical ou quand vous êtes chef invité, ce sont presque deux métiers différents. Quand vous arrivez pour trois jours, il faut attraper les musiciens et aller aussi loin, aussi haut, aussi profondément dans l’énergie de la première fois. On est plutôt dans un rapport de séduction alors que quand vous êtes directeur musical c’est au contraire un travail de conviction. Par exemple, s’il y a des moments de tensions sociales, cela ne sera pas évident pour le chef invité qui arrive au milieu de cela ; d’arriver à ce que les musiciens s’abandonnent à faire de la musique. Il y a aussi l’expérience et l’âge. Lorsque vous êtes un jeune chef, vous êtes tout feu, tout flamme, mais ce n’est pas parce que vous l’êtes que les musiciens le seront. Le but n’est pas que vous montriez votre passion c’est au contraire de faire en sorte que les musiciens la fassent ressentir au public. C’est un exercice très sensible. Quelque part, on ouvre une partie intime de soi-même que l’on partage sans les mots, sans même se connaître. »

Pour vous c’est une première au Printemps de Prague en compagnie de la Philharmonie tchèque. Que ressentez-vous à l’approche du concert ?

Photo: Petra Hajská,  La Philharmonie tchèque
« Une joie immense ! Prague, avant même d’y avoir été, était une ville importante pour moi. Pendant la guerre, ma mère et ses parents ont été prisonniers des nazis dans un camp à Breslau, désormais nommé Wrocław en Pologne. Lorsqu’ils ont été libérés en 1945 par l’Armée rouge, ils ont marché de Wrocław à Prague. Ma mère me racontait cette arrivée à Prague et ce sentiment de liberté qu’elle pouvait ressentir tout un coup. Pour moi, Prague c’est la ville de la liberté au travers du récit de ma mère et des souvenirs musicaux que j’ai eus avec la Philharmonie tchèque et d’autres orchestres notamment. J’ai le souvenir de ce petit fragment de répétition de Charles Munch, répétant la symphonie de Franck en français d’ailleurs avec la Philharmonie tchèque. Comment se forge une idée entre les rêves et l’imagination ? Quelque part j’avais l’impression de connaître Prague par ce qu’en racontait ma mère. Il y a un auteur tchèque qui en parle mieux que personne, c’est Kundera : qu’est-ce que peut évoquer un geste, un visage ou un paysage ? »