Lucas Cranach, le peintre de la Réforme
La galerie du Château de Prague, pour sa dernière grande exposition de l'année, abrite jusqu'au 8 janvier les oeuvres d'un peintre allemand exceptionnel : décédé à l'âge de 81 ans, un âge plus que vénérable pour l'époque, Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) a laissé une oeuvre importante qui est contre toute attente liée à l'histoire des pays tchèques. AK s'est entretenue avec Kaliopi Chamonikola, conservatrice de l'exposition.
L'oeuvre de Lucas Cranach est essentiellement liée à la région de Saxe, à Wittenberg, en Allemagne, et c'est à partir de ce point névralgique que l'on peut retracer son empreinte en Bohême, car outre leur proximité géograhique, les deux régions entretrenaient des liens politiques et culturels. Outre les oeuvres de Cranach qui ont été rapportées dans les pays tchèques, les commandes de mécènes, mais aussi les travaux de copistes par exemple, l'influence du grand maître, qui ne travaillait pas seul mais dirigeait un atelier, s'est aussi propagée grâce à des successeurs en Bohême. Kaliopi Chamonikola nous en dit plus :
« Ce sont aussi des oeuvres peintes par des artistes apparemment locaux, qui avaient fait leur apprentissage dans l'atelier de Cranach, ce qui est le cas du peintre au monogramme IW, le maître le plus important dont nous présentons les oeuvres à l'exposition, qui est si proche du travail de Cranach. Qu'il s'agisse de la technologie ou de la méthode de peinture, il est clair qu'il a fait son apprentissage auprès de Cranach, avant de revenir et d'exercer son art dans les environs de Louny et de Litomerice. Puis on trouve les peintres locaux qui ont été influencés par les créations de Cranach et qui ont repris son style. Il s'agit surtout de la région du nord-ouest de la Bohême qui a été influencée, dans la figuration des personnages notamment : la manière dont il peignait les visages, avec ces yeux de chat, un type physionomique classique chez Cranach, immédiatement reconnaissable. »
Il peut paraître paradoxal que Cranach soit désigné comme le « peintre de la Réforme » lorsque l'on sait que les Protestants avaient la réputation d'être iconoclastes. Explication de Kaliopi Chamonikola : "Cranach était l'ami de Luther. On peut dire que Luther a trouvé en lui le meilleur propagandiste capable de visualiser ses réflexions théologiques. Les protestants radicaux peuvent être considérés comme iconoclastes, car ils mettaient l'accent sur le Verbe. Cranach est un de ces peintres qui a, en fait, créé un tout nouveau type de tableau, qui a adapté les styles de représentations antérieurs à la conception luthérienne de la foi. »
« La loi et le pardon », « Jésus et la femme adultère », Cranach décline le thème luthérien du rachat par la foi à travers des tableaux moralisateurs et didactiques. Mais les représentations hagiographiques ne manquent pas pour autant, avec une étonnante abondance de sainte Catherine et de sainte Barbe, chez lui et chez son successeur de Bohême : "Sainte Catherine et sainte Barbe sont certes deux des quatre saintes-martyres les plus importantes, mais dans le contexte tchèque, c'est vrai que sainte Barbe apparaît souvent comme la patronne des mineurs, ce qui certainement lié au nord-ouest de la Bohême où se trouvaient des mines. Son culte y était très important et le fait que nous ayions conservé tant de représentations de cette sainte ne doit pas y être étranger... Même dans le cas des fiançailles mystiques de sainte Catherine, un thème qui apparaît chez nous très souvent, un thème très en vogue à l'époque, mais qui existe dans de multiples variantes ! On peut supposer ici que le motif de l'anneau que le Christ passe au doigt de sainte Catherine est sans doute lié aux mines d'argent de cette région de Bohême. Il y a sans conteste des éléments iconographiques singuliers qui ont conditionné le choix des thèmes abordés dans nos régions. »