Madeleine Albright et Joseph Stiglitz dans les pages de la presse tchèque
Deux interviews qui sont parues dans la presse nationale de ces derniers jours, ont retenu notre attention. La première a été accordée par l’ex-secrétaire de l’Etat américain Madeleine Albright au quotidien Lidove noviny, l’autre par Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, à l’hebdomadaire Tyden. Les deux personnalités interrogées ont un trait en commun : ils se prononcent non seulement sur des questions d’ordre international, mais s’expriment également sur celles ayant trait à la République tchèque.
L’Amérique de George Bush, les présidentielles, le Printemps de Prague… Autant de sujets et quelques autres encore qui sont abordés dans l’entretien exclusif que Madeleine Albright a accordé à l’édition de ce lundi du quotidien Lidove noviny. A la question de savoir ce que l’Amérique est devenue sous la présidence de George Bush, l’ex-chef de la diplomatie américaine répond :
« Bush nous a amenés dans un trou… Nous avons perdu notre crédit moral. Quand nous nous employons à critiquer quelqu’un pour des violations des droits de l’homme, on peut sortir la carte irakienne et nous prendre pour des hypocrites. Bush a infligé un coup à la démocratie, par sa volonté têtue de l’imposer partout. Mes amis et nos alliés européens me consolent en disant que l’image de l’Amérique s’améliorera dès que Bush aura quitté la Maison blanche. J’espère bien que les gens dans le monde ne vont pas identifier notre échec moral avec l’Amérique comme telle, mais seulement avec une certaine administration non compétente. »
Une grande place dans l’entretien accordé par Madeleine Albright au journal Lidove noviny est réservée au candidat démocrate à la présidence Barack Obama qui, selon ses propres paroles, « a répondu aux émotions de la majeure partie des Américains ». Et elle ajoute :
« Le plus grand succès d’Obama c’est qu’il est devenu une incarnation du changement que nous souhaitons tellement en Amérique. Son instinct lui a permis de saisir le climat dans le pays. Et c’est un atout qui devrait être propre à un homme politique exceptionnel… Obama est un politicien très intelligent. Je suis certaine qu’il saura s’acquitter dignement de sa fonction présidentielle. En plus, il est tout à fait nouveau, il a des visions nouvelles. C’est une qualité que l’Amérique admire. »
Madeleine Albright, de son nom de jeune fille Marie Jana Korbelova, fille d’un diplomate tchèque, est née en 1937 dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Après la chute du régime communiste, elle s’est rendue à plusieurs reprises dans son pays d’origine, notamment en accompagnant Bill Clinton lors de sa visite officielle à Prague, en 1994. Lorsque neuf ans plus tard, elle a participé au Forum 2000, conférence initiée par Vaclav Havel, elle a visité les studios de la Radio tchèque, pour parler des deux patries qu’elle considère comme les siennes, dans un tchèque presque parfait. Rappelons-nous ce qu’elle a dit à cette occasion :
……Les Américains sont très ouverts, ils ont la volonté d'aider les autres. Je dis que les Etats-Unis sont le meilleur pays au monde, mais cela ne veut pas dire que tout ce qu'on fait est super, qu'on ne se trompe jamais dans notre politique étrangère. Vous savez, j'aurais beaucoup aimé vivre toute ma vie dans une Tchécoslovaquie démocratique, dans ce pays qu'ont connu mes parents. Ils m'ont toujours parlé de la Tchécoslovaque de l'entre-deux-guerres, de la Première république qui était pour eux un paradis. Si, historiquement, les choses s'étaient passées autrement, j'aurais certainement vécu ici. Mais ce n’a pas été le cas. Et alors, je suis contente d'avoir pu grandir comme une Américaine libre et aussi d'avoir aidé les gens qui n'ont pas pu vivre dans l'esprit de la liberté. Voilà pourquoi j'aime l'Amérique." ….Il y aussi la thèse que Madeleine Albright avait rédigée à l’Université de Columbia qui semble trahir ses racines tchécoslovaques. Comme elle le révèle dans les pages du quotidien Lidove noviny, celle-ci a été consacrée au fameux Printemps de Prague 1968 et « au socialisme à visage humain ». Et d’ajouter : « l’occupation qui a écrasé le Printemps de Prague a définitivement discrédité le régime communiste. Ce qui est triste, c’est que l’agonie ait duré vingt longues années. »
A la question si l’Occident aurait pu faire à l’époque quelque chose pour empêcher l’occupation, elle répond :
« Je pense que l’Occident aurait dû le faire. Une autre question est de savoir s’il aurait pu. 1968 a été une année sauvage. L’Amérique était au Vietnam, des émeutes proliféraient en Europe. Bref, les pays démocratiques étaient trop préoccupés par eux-mêmes. »
Des thèmes d’ordre économique figurent au cœur de l’entretien qui a été accordé par l’économiste américain, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et ancien premier économiste de la Banque mondiale, à l’hebdomadaire Tyden. Nous avons sélectionné la partie qui se penche sur certains aspects du parcours de la République tchèque après la chute du régime communiste. Son regard est assez sévère. Il dit : « Après la chute du rideau de fer, les pays tchèques ont eu une chance de constituer une société du marché, une société à la fois socialement juste, assez égalitaire et solidaire. Ils ont gâché cette possibilité. »
Josef Stiglitz est très critique au sujet de la privatisation par coupons qui a été une spécificité tchèque et qui a été mise sur pied au début des années quatre-vingt-dix. Le problème, d’après lui, c’est qu’elle a été réalisée avant même l’adoption d’une législation sur la gouvernance corporative, sur la protection des investisseurs, d’où des fraudes à la faillite en masse et d’autres phénomènes négatifs. « Tout a été réalisé avec beaucoup de naïveté – qui saura dire si elle a été intentionnelle ou pas, » dit-il en allusion à ce que certaines personnes se portent dès lors « pas mal ».
Et comment se porte aujourd’hui l’économie tchèque ? Le prix Nobel d’économie répond :
« Si l’économie tchèque va bien, c’est surtout grâce à l’entrée de la République tchèque dans l’Union européenne et grâce à sa situation géographique, grâce à la proximité avec l’Allemagne. La Tchéquie dispose d’une main d’œuvre de qualité. Au départ, elle se trouvait donc dans une situation très favorable, mais la thérapie de choc qu’elle a subie l’a empêchée de développer son capital humain. Des facteurs objectifs, dont la localisation géographique mentionnée, l’ont sauvée du pire. Le pays aurait atteint de bien meilleurs résultats, et de ce point de vue, il y a lieu de parler d’une grande déception ».
A qui la plus grande part de responsabilité des pertes enregistrées ? Réponse de Joseph Stiglitz pour le magazine Tyden :
« C’est à l’idéologie de droite. Mais la faute n’en revient pas seulement au gouvernement tchèque qui ne savait pas comment s’y prendre, elle en revient aussi au Fonds monétaire international. Vous êtes vous-mêmes responsables de vos décisions, mais beaucoup – je ne parlerai que des gens de Wall Street - vous ont soutenu dans ces décisions. »
C’étaient donc les quelques réflexions de l’économiste Joseph Stiglitz pour le magazine Tyden, dont les origines remontent à la monarchie austro-hongroise et peut-être, aussi, aux pays tchèques.