Madeleine Albright, fièrement américaine et tchèque
Pragoise de naissance, Madeleine Albright, qui est décédée ce mercredi à l’âge de 84 ans, n’a jamais oublié la langue tchèque et revenait régulièrement au pays de ses ancêtres. Fille de réfugiés tchécoslovaques devenue secrétaire d’Etat américaine en 1997 pendant le mandat du président Bill Clinton, elle a joué un rôle déterminant dans l’admission de la République tchèque à l’OTAN, deux ans plus tard.
Les représentants politiques, les diplomates et des amis tchèques ont rendu hommage à « une grande figure la politique américaine », grâce à laquelle les Tchèques peuvent se sentir aujourd’hui « un peu plus en sécurité », selon le Premier ministre Petr Fiala. « Les Tchèques avaient toujours la porte ouverte chez elle. Madeleine Albright était le plus grand intercesseur de la République tchèque aux Etats-Unis », a déclaré l’ambassadeur tchèque à Washington Hynek Kmoníček.
« Madeleine Albright a énormément contribué à la démocratisation de notre partie de l’Europe après la fin de la guerre froide et de la guerre en ex-Yougoslavie. Elle nous a aidés à établir des relations très étroites avec les Etats-Unis », a constaté l’ancien diplomate et porte-parole du président Václav Havel, Michael Žantovský, en rappelant que c’est justement grâce à Madeleine Albright, que Václav Havel entretenait à l’époque des relations étroites avec son homologue américain Bill Clinton.
Pour le chef de la diplomatie tchèque Jan Lipavský, elle était une « ardente défenseuse de la démocratie et des droits de l’Homme ». « Aujourd’hui plus que jamais, l’Europe centrale se souvient de son engagement en faveur de l’élargissement de l’OTAN », a-t-il déclaré.
C’est son expérience d’enfant réfugié qui a fait de Madeleine Albright une opposante de toujours au totalitarisme et au fascisme. Née à Prague-Smíchov, le 15 mai 1937, Marie Jana Körbelová, surnommée « Madla » au sein de sa famille, avait un père diplomate : avant la Seconde Guerre mondiale, Josef Körbel était ambassadeur tchécoslovaque à Belgrade, puis collaborateur du gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres, où la famille s’était réfugiée pendant la Seconde Guerre mondiale.
En 1948, lorsque les communistes prennent le pouvoir en Tchécoslovaquie où sa famille est retournée, Marie Jana Körbelová, qui étudie alors en Suisse (et se fait déjà appeler Madeleine), émigre avec ses parents aux Etats-Unis. Celle qui étudiera les sciences politiques, sera naturalisée américaine en 1959 et grimpera les échelons du Parti démocrate jusqu’à diriger la diplomatie des Etats-Unis s’est pourtant souvenue, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire tchèque Respekt en 2003, de ses débuts difficiles en exil :
« Peu après le putsch communiste en février 1948, nous sommes partis aux Etats-Unis et pendant longtemps, je me suis sentie étrange, comme une étrangère. Nous étions pauvres, j’avais des parents tchèques qui mangeaient tout le temps des ‘knedlíky’ et mon père me surveillait quand je sortais avec un garçon. J’en avais un peu marre. A vrai dire, je me sens beaucoup plus heureuse et gaie maintenant que je ne l’étais à l'époque. »
« C’était une immigrée qui fuyait la persécution. Une réfugiée qui avait besoin d’un abri. Et comme tant d’autres avant et après elle, elle était fièrement américaine », a dit le président américain Joe Biden suite à son décès.
Américaine, et fière de l’être, Madeleine Albright n’a toutefois jamais oublié ses racines tchèques. Née de parents juifs convertis au catholicisme, elle n’a appris que dans les années 1990 le destin d’une trentaine de membres de sa famille qui ont péri, pendant la Shoah, dans les camps de concentration. Pour suivre leurs traces, la femme politique a alors entrepris un voyage dans le ghetto juif de Terezín, situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Prague. Elle s’en était souvenue plus tard au micro de la Radio tchèque :
« Ce voyage a été très important, mais aussi très triste, car j’ai emmené mes filles et mes petits-enfants avec moi et nous avons parlé de tout ce qui est arrivé à notre famille. J’ai dit aux enfants que nous ne pouvions jamais oublier ce qui s’était passé qu’il fallait toujours s’opposer à ce que des personnes soient injustement punies, juste pour ce qu’ils sont. »
Amie de l’ancien président tchécoslovaque et tchèque Václav Havel, Madeleine Albright était également très proche de son collaborateur Michael Žantovský déjà cité. L’actuel directeur de la Bibliothèque Václav Havel de Prague se souvient :
« Après la révolution de Velours de 1989, elle a été l’un des premiers politiciens hauts placés à venir en Tchécoslovaquie non seulement pour regarder et admirer, mais aussi pour travailler avec nous : elle a aidé Václav Havel à mettre en place son administration présidentielle ou encore à élaborer la loi électorale avant les premières élections démocratiques en 1990. »
Il y a quinze jours encore, Michael Žantovský a eu Madeleine Albright au téléphone. Les deux amis se sont entretenus, entre autres, de la guerre en Ukraine. « Ce conflit l’a profondément touchée, car elle avait le sentiment d’avoir contribué elle-même à ce que le monde soit meilleur une fois la guerre froide terminée », a confié Michael Žantovský au site d’information Seznam Zprávy en concluant : « Madeleine Albright connaissait personnellement Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov et je dois avouer qu’elle n’attendait que le pire d’eux. »
Il y a neuf ans, lorsque Madeleine Albright était déjà retournée à la vie civile, l’hebdomadaire Respekt lui avait demandé si, en tant que politologue, historienne et enseignante, elle se sentait prête à entrer en politique. Voici la réponse de l’ancienne diplomate et « voix de l’Amérique » :
« Au début de ma carrière, je pensais que la politique était basée sur de grandes décisions, que tout devrait être clair, soit noir soit blanc, soi oui, soit non. Mais au fil du temps, j’ai réalisé que la politique était plutôt un enchaînement de petites tâches et décisions. Vous prenez la première et soudain vous êtes sur votre chemin et vous vous demandez : mais comment suis-je arrivé ici ? C'est là que j’ai changé d’avis - la politique, c’est une question de petites décisions. »