Marcher pieds nus sur la paille
Depuis un demi-siècle Zdeněk Svěrák n’arrête pas d’amuser, d’étonner et d’instruire le public tchèque. Ancien instituteur, il nous apprend que le rire est le meilleur moyen pour surmonter les obstacles de la vie et jette sur le monde un regard amusé et complice. Il nous divertit mais le rire qu’il sait susciter est toujours bienveillant, jamais méchant. Dans son livre intitulé « Po strništi bos - Marcher pieds nus la paille », ce septuagénaire évoque les souvenirs de sa tendre enfance et réussit, une fois de plus, à nous faire rire et à nous émouvoir
« Tout a commencé lorsque je me suis mis à raconter mon enfance à mes enfants. Alors mon fils Jan, qui est réalisateur, m’a dit : ‘Père, dans ce récit il y a des choses intéressantes. On pourrait même en faire un film. Jette tout cela sur le papier avant de l’oublier.’ Il y a dix ans j’ai donc écrit ces souvenirs mais cela n’avait ni forme ni intérêt dramatique. On ne pouvait pas en faire un film. Alors Jan m’a dit : ‘Ce que tu viens d’écrire, ce n’est que de la matière première que tu dois maintenant cuire et distiller.’ Mais je n’avais pas assez de force pour le faire à ce moment-là. Il y a dix ans il me semblait encore impossible de changer le sort de mes proches. La matière première a donc dormi pendant dix ans jusqu’à ce que Jan me dise : ‘Et si tu en faisais un livre pour donner une forme à cette matière et pour faire des changements nécessaires ?’ Alors j’ai fait un essai et ça allait. Au bout de dix ans il était possible de transformer la matière, de mélanger les cartes et d’y ajouter encore d’autres. Maintenant Jan considère l’idée d’en faire un film. De toute façon il se réserve ce droit et m’a demandé de ne le donner à personne. »
Le livre raconte les aventures d’un petit Pragois qui doit quitter la capitale avec ses parents pendant la Deuxième Guerre mondiale pour s’installer à la campagne. C’est un grand tournant dans la vie du petit citadin. Le garçon découvre tout un univers inconnu qui lui paraît tantôt hostile, tantôt étrange, tantôt passionnant. Sa petite âme craintive est mise à l’épreuve presque tous les jours et souvent il n’arrive pas à comprendre ce qui se passe autour de lui. Il se heurte aux rudesses de la vie à la campagne et découvre des conflits anciens au sein de sa propre famille. Au début il n’arrive pas à s’imposer parmi les garçons du village et doit lutter contre leur méfiance et leur mépris. Tous ces souvenirs sont profondément gravés dans la mémoire de Zdeněk Svěrák :« Quand moi, un enfant de Prague, me suis retrouvé tout à coup à la campagne où j’ai été obligé de m’installer avec mes parents, j’ai été littéralement assailli de sensations. Les gamins de campagne sont différents et ils parlent différemment. Et puis il y a des animaux. Je me suis familiarisé avec des oies, des lapins, des pigeons, à l’âge de sept ans j’ai appris à conduire un attelage de chevaux. Cela m’a apporté une grande connaissance de la vie. Par exemple mes parents ont décidé de manger l’oie qui me suivait comme un chien et que je nourrissais. Et c’était la même chose pour les lapins. Il fallait s’y faire. L’enfance est une étape tellement importante qu’il vaut la peine d’écrire sur elle. »
Peu à peu le petit Pragois s’habitue à sa nouvelle vie, trouve sa place parmi les gamins villageois, apprend à se défendre. Il suit avec beaucoup d’angoisse son père qui accueille dans sa maison un membre de la résistance. Et finalement il s’enhardit même à braver l’occupant allemand et va voler du sucre dans une sucrerie :
« Mes parents m’encourageaient, parce que, d’abord, ils avaient besoin de sucre, notamment mon père pour les abeilles. Et ce qui était le plus joli, c’est que c’était certes un vol, mais un vol patriotique. Je suis donc allé dans la sucrerie pour en sortir de petits sacs de sucre cachés dans ma culotte et j’avais une peur bleue mais je me disais : ‘Ce n’est pas un vol, c’est la guerre.' »
Si je devais dire quel fil rouge passe à travers tout ce livre, alors je dirais que c’est un effort de ne pas être froussard.
Les aventures et les désarrois du petit héros du livre sont évoqués avec une grande richesse de détails et le lecteur ne doute pas de l’authenticité de cette confession. Zdeněk Svěrák avoue cependant que certains éléments de son récit ne correspondent pas à la réalité vécue et y ont été ajoutés par son imagination :
« Je ne sais pas vraiment ce que j’ai écrit. On pourrait le caractériser comme une mosaïque, une mosaïque littéraire sur l’enfance. C’est principalement une chronique de notre famille mais ce n’est pas tout. Dans la mosaïque il y a de petites pierres que je n’ai pas tirées de ma vie, qui sont de la fiction, mais je préfère ne pas dire de quelles pierres il s’agit parce que tous les éléments devraient être également véridiques. Gardons donc ce mystère.»
Le livre de Zdeněk Svěrák n’est donc pas qu’un compte-rendu du vécu mais une œuvre autonome ou la réalité se marie avec la fiction et qui obéit aux lois de la création littéraire. L’auteur y évoque aussi un des grands thèmes de sa vie :
« Si je devais dire quel fil rouge passe à travers tout ce livre, alors je dirais que c’est un effort de ne pas être froussard. J’ai été élevé dans la prudence parce que mon frère Zdeněk est mort et mes parents craignaient de me perdre aussi. Et pendant toute ma vie, jusqu’à l’âge adulte, jusqu’à aujourd’hui, je me bats pour ne pas être poltron. Je crois que cela se trouve également dans ce livre. Si je parlais de ce livre à l’école, je dirais que son thème principal est l’histoire d’un gamin qui apprend à ne pas être lâche. »
Les livres et les prestations de Zdeněk Svěrák au théâtre et au cinéma divertissent et décontractent les gens en rendant leur vie plus amusante et donc plus vivable. Et Zdeněk Svěrák mène aussi de nombreuses activités caritatives dans le cadre du centre Paraple créé à son initiative et sous son patronage pour aider les handicapés qui ne peuvent pas marcher. En aidant les autres, il s’aide cependant aussi lui-même. Il avoue que le travail lui permet de surmonter les périodes difficiles de sa propre vie :«La dernière période de mon existence n’a pas été très heureuse et je me disais qu’il valait peut-être mieux ne pas travailler parce que tout ce que j’aurais fait, aurait été marqué par ma situation. Puis je me suis rendu compte que c’est le contraire qui est vrai et que le travail chasse toutes les tristesses. L’écriture m’a ramené dans mon enfance et je m’y suis senti bien. C’était curatif. »