L'anniversaire de Zdeněk Svěrák éclipse un temps celui de Charles IV
Durant cette année 2016, les Tchèques fêtent en grande pompe le 700e anniversaire de la naissance de Charles IV, roi de Bohême et empereur du Saint-Empire, plus tard considéré comme « le père de la patrie ». Pourtant, cette célébration a été éclipsée ces jours-ci par un autre anniversaire, celui d’une personnalité bien vivante, le comédien, écrivain, chansonnier, cimrmanologue et génie Zdeněk Svěrák, qui vient de souffler, le 28 mars, ses quatre-vingt bougies. L’inventeur du personnage mythologique de Jára Cimrman a sans doute influencé à nul autre pareil la culture populaire tchèque du demi-siècle écoulé.
Ces propos quasi hagiographiques sont signés de la bouche de l’écrivain Pavel Kosatík. Zdeněk Svěrák n’a pas été canonisé de son vivant, mais c’est visiblement tout comme. Et le fait que presque tout un pays se soit mobilisé pour simplement célébrer son quatre-vingtième printemps est un signe qui ne trompe pas sur la sainteté de ce personnage barbu qui peut difficilement inspirer autre chose que sympathie et bienveillance.
Le cinéma Lucerna, établissement emblématique de la capitale tchèque, a ainsi mis à disposition de M. Svěrák et de ses proches une salle pour les festivités. Le 28 mars, c’est-à-dire le jour J de cet anniversaire, y était projeté le film Obecná škola (L’Ecole élémentaire), en version numérisée et restaurée, un long-métrage réalisé en 1991 par son fils Jan et dont il a écrit le scénario, inspiré largement par sa propre enfance durant la Seconde Guerre mondiale. L’œuvre était d’ailleurs montrée dans le même temps dans de nombreuses salles obscures tchèques et même à l’étranger auprès des communautés tchèques d’expatriés.
Pour les plus casaniers, les chaînes de télévision s’en sont données à cœur joie pour rediffuser quelques-uns des dizaines de films où l’octogénaire apparaît au générique crédité du scénario, d’un rôle d’acteur ou des deux à la fois. Des films comme Na samotě u lesa, Kulový blesk, Jára Cimrman ležící, spící, réalisés avec le concours de son compère de toujours, feu Ladislav Smoljak, ou encore Vrchní, prchni! avec l’excellent Josef Abrhám, Vesničko má středisková de Jiří Menzel, Kolja, Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1997, avec une fois encore son fils à la réalisation ; des films que le public tchèque connaît en général sur le bout des ongles. Entre deux films, les téléspectateurs pouvaient évidemment aussi revoir certaines pièces de la troupe du théâtre de Jára Cimrman. Jára Cimrman est un personnage fictif auquel Zdeněk Svěrák et ses complices ont donné vie. Il s’agit ni plus ni moins du plus grand génie tchèque que la Terre ait jamais porté en son sein. Cet homme touche-à-tout a notamment soufflé l’idée du canal de Panama au gouvernement américain, a convaincu Gustave Eiffel de mettre sa fameuse tour dans le bon sens et a aussi, entre autres exploits méconnus, fourni un coup de main aux époux Curie dans leurs recherches sur l’uranium. Injustement oublié, Zdeněk Svěrák, en collaboration avec Jiří Šebánek, a contribué à le sortir des oubliettes de l’histoire. Cela commence par une émission à la Radio tchécoslovaque en 1966, intitulée « Le Bar à vins de l’Araignée ». Dans la foulée, une troupe de théâtre est montée autour de Zdeněk Svěrák et de Ladislav Smoljak, qui se donne pour objectif de jouer les pièces qui auraient été écrites par Jára Cimrman lui-même, dramaturge à ses heures perdues, des représentations qui sont accompagnées de « conférences » sur des thèmes divers.Depuis 1967, seize pièces ont été écrites et le succès ne s’est depuis lors jamais démenti. Pourtant l’écrivain Bohumil Hrabal en personne ne semblait pas très optimiste sur le caractère pérenne du concept. Zdeněk Svěrák raconte :
« Il a dit, à notre désagréable surprise, qu’un tel théâtre avait une espérance de vie de sept ans… or nous nous produisions déjà pour la dixième année ! Cela nous a effrayés et nous a poussés à nous appliquer encore davantage afin que chaque nouveau spectacle soit différent du précédent. »
Le théâtre de Jára Cimrman permet à Zdeněk Svěrák d’exprimer son goût pour l’absurde, le non-sens et la niaiserie feinte. Pour s’en convaincre, on peut reproduire un extrait d’une pièce de théâtre signée Jára Cimrman, un extrait qui peut laisser perplexe où le personnage principal, Tomáš, apprend l’incroyable vérité sur sa famille :
"- Tomáš : Ce n’est pas possible !
- Le beau-frère : Elle a raison Tomáš…
- Tomáš : Je ne peux pas le croire, surtout que toi mon beau-frère tu me disais que…
- Le beau-frère : Je ne suis pas ton beau-frère.
- Tomáš : Non ?
- Le beau-frère : Je ne fais même pas partie de la famille. Je suis un étranger à la famille.
- Tomáš : Cela change tout…
- La tante : Pas tant que ça, car pour ma part, je ne suis pas ta tante.
- Tomáš : Tu n’es pas ma tante, tata ?!
- La tante : Ne m’appelle pas tata, plus maintenant.
- Tomáš : Dans ce cas je t’ai trompé papa…
- Le père : Ne te fais pas de mauvais sang mon cher fils.... C’est que je ne suis pas ton père. Je suis ton fils… Papa !
- Tomáš : Et maman ?
- Le père : C’est ta grand-mère.
- Tomáš : C’est horrible. Je suis donc totalement orphelin. Mais ce n’est pas si important. L’important, c’est que j’ai finalement appris la vérité."
Zdeněk Svěrák, qui se flatte de faire rire jusqu’à deux générations après la sienne, n’en a pas fini de raconter des histoires aussi farfelues. Outre l’écriture de différents textes, en particulier des contes ou des chansons, souvent interprétées par Jaroslav Uhlíř, il poursuit sa fructueuse coopération cinématographique avec son fils Jan Svěrák. Comme Obecná škola, le prochain long-métrage des deux hommes devrait aller fouiner dans l’enfance du saint homme barbu.