Marta Kubišová : « Que la paix reste avec ce pays »
« Marta Kubišová, une voix étouffée par le Printemps de Prague », a titrait la presse française en 2008, quarante ans après ce printemps si particulier, plein de liberté et d’espérance, à Prague comme à Paris. Agée bientôt de 75 ans, la chanteuse reste le symbole de la révolte des Tchèques et des Slovaques contre le régime totalitaire. Cette semaine, Marta Kubišová s’est produite pour la dernière fois devant le public pragois dans la salle de Lucerna, avant de donner l’ultime concert de sa carrière le 1er novembre, le jour de son anniversaire, dans sa ville natale de České Budějovice, dans le sud de la Bohême. Portrait…
Pour commencer, nous nous posons (à l’image de la chaîne de télévision ARTE) la question suivante : C’est qui ou plutôt c’est quoi Marta Kubišová ?
Marta Kubišová, c’est la chanson « Loudá se půlměsíc »… La version tchèque de la chanson française « Un Ange est venu » de Jean-Gaston Renard a rendu célèbre la jeune chanteuse au milieu des années 1960, lorsqu’elle venait d’entamer sa carrière à Prague, au théâtre musical Rokoko situé sur la place Venceslas.Marta a grandi dans la station thermale de Poděbrady, où son père travaillait comme médecin. Elle rêvait, elle aussi, des études de médecine, mais elles lui ont été interdites par le régime communiste. Marta travaille alors dans une verrerie locale et, parallèlement, chante avec un orchestre de danse de Poděbrady, avant d’être engagée par des théâtres de Pardubice, de Plzeň et, enfin, par le Rokoko à Prague.
Dotée d’une voix exceptionnellement grave, la jeune chanteuse au regard mystérieux et aux longs cheveux bruns cumule les prix ; elle est aussi remarquée par la télévision et le cinéma.
Marta Kubišová, c’est ensuite le titre « Oh, Baby, Baby » enregistré en duo avec une autre découverte des années 60’, Helena Vondráčková, chanson qui gagne un prix au concours Bratislavská lyra en 1966.
Des concerts à l’Olympia
Arrive l’année 1968 et Marta Kubišová forme un trio avec Václav Neckář et Helena Vondráčková ; un trio de chanteurs à succès nommé Golden Kids, mais qui ne se produira sur scène que pendant deux ans. Au printemps 1968, la censure est levée, un vaste débat est engagé au sein de la société tchécoslovaque, alors que les nouveaux visages politiques du pays, à commencer par Alexander Dubcek, veulent mettre en place des réformes politiques et économiques. Nous sommes toujours au printemps 1968 et les Golden Kids se produisent pendant quatre semaines à l’Olympia. En 2014, Marta Kubišová a évoqué ces moments inoubliables au micro de Radio Prague :« J’en garde les meilleurs souvenirs, notre séjour a été pimenté par la révolte étudiante, c’était un peu l’aventure…. M. Coquatrix nous avait mis à disposition sa voiture et son chauffeur. Il nous baladait en dehors de la ville et nous ramenait le soir à l’Olympia pour nos vingt-cinq minutes de concert. Avec Václav et Helena on terminait la première partie du concert de Jacqueline Maillan. »
Toujours en 1968, Marta Kubišová remporte pour la deuxième fois consécutive le prix de la chanson tchécoslovaque le Rossignol d’or. La télévision lui consacre un court-métrage, dans lequel la chanteuse, âgée alors de 26 ans, raconte son expérience dans le show-business et prononce ces mots prophétiques :
« On peut facilement ruiner la carrière d’un chanteur. On peut le jeter à la poubelle comme un bout de papier. Il suffit de ne plus l’inviter à la télévision. Les gens oublient vite ! Ils ne voient pas quelqu’un pendant trois ans et c’est fini… »
Interdiction professionnelle après 68’ et grand retour sur scène après 89’
Marta Kubišová, c’est donc aussi et surtout cette voix magnifique étouffée par les autorités communistes après l’invasion soviétique dans le pays en août 68’. Elle ne sera pas réduite au silence pendant trois, mais pendant dix-neuf ans, de 1970, l’année où elle est victime d’une affaire de photographies pornographiques falsifiées, jusqu’en 1989. Pendant ce temps-là, elle se réfugie d’abord à la campagne, gagne sa vie comme ouvrière puis comme secrétaire, divorce du réalisateur Jan Němec et se remarie, donne naissance à sa fille, encourage les dissidents, dont son ami Václav Havel, devient signataire et une des porte-paroles de la Charte 77, pour rechanter enfin en public, pour la première fois depuis presque vingt-ans lors d’une manifestation en faveur des droits de l’Homme organisée à Prague en décembre 1988.Arrive enfin le 21 novembre 1989. L’émotion est au rendez-vous lorsque Marta Kubišová chante depuis un balcon de la place Venceslas, devant des milliers de manifestants qui scandent son nom, sa célèbre « Prière pour Marta » (Modlitba pro Martu), chanson qui est devenue un des symboles de l’écrasement du Printemps de Prague en 68’, puis de la Révolution de velours en 89’.
Après la chute du régime totalitaire, la carrière de Marta Kubišová prend un nouvel envol. La chanteuse multiplie les concerts et les albums, se produit avec beaucoup de succès au théâtre pragois Ungelt, s’engage aussi pour défendre les animaux et soutient des projets caritatifs.
« Quand on m'a interdit de chanter, je n'ai pas eu du tout l'impression d'avoir perdu le sens de la vie. Pour moi, le sens de la vie, c'était de protester contre le manque de liberté. De me révolter. Et alors, j'ai pris cette interdiction pour un bon signe. Un signe qu'il me fallait pour continuer. En fait, en me donnant ce coup, les communistes m'ont fait monter sur les barricades », a constaté Marta Kubišová en 2002, dans un entretien pour Radio Prague.Qui est donc Marta Kubišová ? Une grande dame de la chanson tchèque, une femme sans amertume : « Que la rage, la jalousie, la rancune, la peur et les querelles cessent, qu’elles cessent enfin… » Trop idéalistes peut-être pour certains, les paroles de la « Prière pour Marta » restent d’actualité.
Par ailleurs, pour marquer la fin sa carrière, Marta Kubišová a enregistré en 2017 une reprise de cette chanson culte. Elle se fait accompagner par d’autres chanteuses, comme Bára Basiková, Blanka Šrůmová, Natálie Kocábová ou Tereza Černochová et leur passe le relais…