Maryša, une héroïne du XIXe siècle qui ne prend pas de rides
Une fois de plus, Maryša, le drame rustique des frères Alois et Vilém Mrštík, revient sur la scène du Théâtre national de Prague et nous nous demandons une fois de plus pourquoi cette histoire d’une jeune paysanne morave continue à nous intriguer et pourquoi cette pièce crée il y a plus d’un siècle est encore aujourd’hui un des piliers de l’art dramatique tchèque.
Onze productions différentes
La première de la pièce Maryša a eu lieu au Théâtre national de Prague en 1894. La direction du théâtre n’étant pas convaincue du talent des frères Mrštík, la première est programmée pour un après-midi afin qu’un éventuel échec ne fasse pas trop de bruit. La pièce remporte pourtant un vif succès qui ne se démentira jamais plus. Rien que sur la scène du Théâtre national, l’œuvre sera présentée successivement dans onze productions différentes. Et au début du XXIe siècle elle est encore et toujours une des pièces tchèques les plus populaires et les plus souvent jouées. Le théâtrologue Jan Císař constate :« Maryša est l’œuvre dramatique tchèque du XIXe siècle la plus actuelle. Cet aspect est d’autant plus évident que même les jeunes gens, les amateurs de théâtre que je fréquente souvent, y reviennent toujours et y trouvent des problèmes et des questions qui les touchent très étroitement et de façon presque organique. »
Un amour avorté et un mariage forcé
Maryša est la fille de Lízal, un riche paysan morave. Elle tombe amoureuse de Francek, fils des pauvres qui doit partir dans l’armée. Le père Lízal s’oppose à cette liaison car il a déjà choisi un autre mari pour sa fille. Il envisage de la marier avec le riche meunier Vávra, un veuf avec trois enfants. Toute la famille fait pression sur Maryša pour l’obliger à obéir à son père et à épouser un homme qui lui répugne. La jeune fille oppose à cette pression une résistance aussi farouche que désespérée mais on ne l’écoute pas. Seule et abandonnée dans sa résistance, elle finit par se résigner à épouser un homme qu’elle n’aime pas. Et comme il fallait s’y attendre son mariage avec Vávra n’est pas heureux. Son mari passe la majorité du temps à la taverne et commence à battre sa femme. La situation de Maryša se complique encore après le retour de Francek de l’armée. Il n’a pas renoncé à son amour et cherche à persuader Maryša de partir avec lui. Dans un accès de jalousie, Vávra menace Francek de le tuer et cette menace amène Maryša à un acte désespéré. C’est elle qui tue finalement son mari en versant du poison dans son café. Le théâtrologue Jan Císař met l’accent sur l’importance de la deuxième partie de la pièce, où la protagoniste se retrouve face à un dilemme :« C’est le choix d’une vie dans la dignité. Il ne s’agit pas tellement de savoir si Maryša a été obligée ou n’a pas été obligée de se marier avec un homme qu’elle n’aime pas et à quitter l’homme qu’elle aime. Dans la deuxième moitié de la pièce, c’est le problème du choix qui est mis en relief. Maryša doit décider comment elle vivra, comment elle se mesurera avec la situation dans laquelle elle s’est retrouvée à cause de la pression de tout son entourage, à cause des convenances. Elle doit choisir une solution et elle finit par choisir une solution très dramatique et tragique. Et ce sont donc ces questions existentielles de la liberté du choix, de la liberté de décision sur notre propre sort qui reviennent toujours. »
Une mise en scène moderne et dépouillée
Modernité oblige, la dernière production de Maryša au Théâtre national est loin d’être une évocation de la vie à la campagne morave au XIXe siècle. Le public de la première donnée le 23 novembre dernier n’a vu ni décors champêtres, ni costumes folkloriques. Dans cette dernière production, le drame de Maryša se joue dans un espace clos qui ressemble à un studio de radio, un espace qui provoque par sa froideur et son aspect anonyme une sensation de détresse. Les costumes des acteurs ressemblent aux vêtements du public et tout semble indiquer que les personnages de ce drame sont nos contemporains. Le metteur en scène Jan Mikulášek s’explique :« Nous avons voulu surtout mettre en évidence le thème universel de ce texte. Et il nous semble que situer cette pièce dans un contexte trop concret pourrait la priver de son message plus général. En plus, j’ai l’impression que le folklore aujourd’hui suscite plutôt un sentiment d’apaisement et nous, dans notre conception, nous cherchons plutôt à aller à contre-courant, à déranger. Nous ne voulons pas créer une image d’Epinal. »
Le drame d’une vie gâchée
Maryša et les autres personnages évoluent donc dans un décor qui ne permet pas de les situer dans les champs moraves et de reléguer leurs problèmes au XIXe siècle. Sur les chaises éparpillées sur la scène, il y a des instruments de musique, instruments qui semblent attendre les musiciens mais dont personne ne joue. Le public est invité à assister à un drame qui n’est pas rustique mais qui est de tous les pays et de tous les temps. C’est le drame d’une vie gâchée et détruite, le drame de la violence mentale et physique et surtout le drame de ceux qui refusent de s’écouter et de s’entendre, le drame de la non-communication. Les protagonistes de ce drame se parlent, crient, pleurent, se battent mais restent comme emmurés dans leur égoïsme et dans leurs préjugés. Et un tel manque de sensibilité et de compréhension ne peut aboutir qu’à une tragédie. Pour Jan Mikulášek, le texte des frères Mrštík est aussi une matière de réflexion sur le chemin que nous avons parcouru depuis le XIXe siècle :« Dans notre conception de cette pièce, les rapports entre les personnages sont assez conflictuels et nous voulons savoir si nous avons progressé un peu dans les rapports humains pendant le siècle qui nous sépare de la création de cette pièce. Et c’est pour nous le thème clé, à côté, bien sûr, de l’histoire tragique du personnage principal. Nous avons cherché à compliquer un peu les caractères des personnages du drame afin que, par exemple, Maryša ne soit pas uniquement sympathique, une héroïne souffrante, mais aussi une femme qui est parfois insupportable parce qu’elle se trouve dans des situations sans issue. Et dans ce genre de situation nous sommes souvent insupportables. Et d’autre part, nous avons cherché à humaniser un peu son mari Vávra, pour ne pas en faire un monstre, une brute, et nous avons compliqué ce personnage en confiant le rôle à un comédien plutôt sympathique pour qu’on se demande : Est-il juste que Maryša le déteste à ce point ? Vávra est-il vraiment une telle brute ? »