Vilém Mrštík, écrivain rural à la sensibilité moderne
Les pièces du XIXe siècle ne figurent que rarement dans le répertoire des théâtres tchèques actuels. Il n’y a qu’une seule exception, le drame « Maryša » écrit par les frères Vilém et Alois Mrštík, histoire tragique inspirée par la vie d’une femme réelle, qui ne cesse d’attirer des directeurs de théâtre, des metteurs en scène et le public. Chaque nouvelle génération trouve dans ce drame une nouvelle matière à réfléchir, une nouvelle inspiration. La pièce reste vivante bien que son auteur Vilém Mrštík soit mort le 2 mars 1912, donc il y a juste un siècle.
« Mrštík est un auteur au carrefour des époques, d’une période où finissait une étape et commençait une étape nouvelle et dans laquelle le modernisme commençait à se substituer au réalisme. Nous trouvons tout cela dans l’œuvre de Vilém Mrštík et cela se reflète d’une certaine façon jusqu’à nos jours dans la place qu’occupe son œuvre dans la littérature et dans le théâtre tchèque. »
C’est en 1894 que le Théâtre national de Prague présente la première de « Maryša », drame dont le succès ne se démentira plus. Maryša, jeune femme obligée par son père de se marier avec un homme qu’elle n’aime pas, deviendra l’un des personnages féminins les plus populaires de l’histoire du théâtre tchèque. Et Jan Císař constate qu’elle est loin d’être oubliée même au seuil du XXIe siècle :« ‘Maryša’ est jusqu’à aujourd’hui la pièce dramatique tchèque la plus actuelle de la période du XIXe siècle. Elle est si actuelle que les jeunes d’aujourd’hui et aussi les jeunes amateurs de théâtre avec lesquels j’entretiens de fréquents contacts, y reviennent toujours et y trouvent sans cesse des questions et des problèmes qui les concernent très étroitement et très organiquement. »
L’action de la pièce est située dans un village morave. Maryša, fille d’un riche fermier, est amoureuse d’un garçon pauvre, Francek. Son père décide cependant que Maryša doit épouser un riche meunier, Vávra, qui est veuf et père de trois enfants. Maryša refuse de se marier avec cet homme brutal, ose désobéir à toute sa famille qui l’oblige à accepter ce mariage de raison, mais ses capacités de résistance ne sont pas inépuisables et elle finit par se soumettre. Elle épouse Vávra et comme il fallait s’y attendre c’est un mariage malheureux qui finira en tragédie. Lorsque le premier prétendant, Francek, revient de l’armée et cherche à renouer sa liaison avec Maryša, Vávra pris d’un accès de jalousie menace de le fusiller et Maryša, au bord du désespoir, empoisonne son mari. Jan Císař décèle dans cette tragédie rurale toute une série de thèmes intemporels :« Il s’agit notamment de la seconde moitié de la pièce qui pose le problème du choix de la vie dans la dignité. Maryša est contrainte de se marier avec un homme qu’elle n’aime pas et de quitter l’homme qu’elle aime. Dans la seconde moitié du drame est posée la question existentielle de la liberté de choix. Maryša doit décider comment elle continuera à vivre, comment elle affrontera la situation dans laquelle elle se retrouve à cause de la pression de son milieu et des conventions de la société. Elle doit trouver une solution. Et nous savons combien la solution qu’elle choisira sera tragique. Alors ce sont ces questions existentielles de la liberté du choix dans les décisions sur la destinée humaine qui reviennent toujours. »Bien que Maryša reste une partie vivante du répertoire des théâtres tchèque, au cours de ces dernières décennies elle est quelque peu éclipsée par des adaptations pour la scène d’un roman des mêmes auteurs, « Une année au village », célèbre chronique de la vie campagnarde que Vilém Mrštík a écrite avec son frère Alois. Une de ces adaptations a été écrite et réalisée pour le Théâtre de la ville de České Budějovice par le metteur en scène Břetislav Rychlík. Voilà comment il explique les motifs qui l’ont poussé à réaliser ce projet :
« La vie dans ce roman est très complexe, il y a des éléments tragiques et grotesques, de l’ironie et de la tendresse. Il y a évidement aussi des aspects tragiques qui font partie de la vie mais je ne mets l’accent sur rien. Un jour vous avez du chagrin et le lendemain vous avez de la joie, un jour vous êtes pleins de bonheur qui tourne le lendemain en désespoir profond. C’est bien de présenter les choses de cette façon, les unes à côté des autres. »
La vie du village est un enchevêtrement de destinées humaines soumis à la cadence des saisons et des fêtes religieuses. Les auteurs ont mis dans ce roman de neuf tomes une multitude de petites histoires, souvent drôles et amusantes, sans idéaliser la vie à la campagne. Les héros de cette épopée villageoise sont tantôt comiques, tantôt tragiques, parfois sages et courageux, parfois sots et déplorables. Le roman devient ainsi un vaste témoignage sur la nature humaine. Břetislav Rychlík souligne encore d’autres aspects de cette œuvre :« La vie dans la campagne morave comme dans la campagne tchèque est rythmée par une série de coutumes mais ce n’est pas le thème principal. Les villageois vivent la Toussaint, le carnaval, le départ de jeunes recrues, tout cela se trouve dans le livre, mais comme il arrive dans un bon drame, les choses tournent souvent en leur contraire. Ce qui doit rendre les villageois heureux, ne leur apporte que du malheur, là où ils doivent montrer du courage, ils se couvrent de ridicule. Tout cela se trouve dans ce roman rythmé par les coutumes de l’année. Cela ne finit jamais comme tout le monde le souhaite et c’est ce qui est bon et précieux dans la vie. »« Maryša » et « Une année au village » font oublier aujourd’hui d’autres œuvres de Vilém Mrštík. Il est l’auteur de plusieurs romans, contes et récits de voyage. Son roman impressionniste « Conte de mai », histoire d’un jeune amour sur le fond de la campagne printanière, a été jadis très célèbre et porté avec grand succès à l’écran. Romancier influencé par le naturalisme et notamment l’œuvre de Zola, Vilém Mrštík a été également traducteur de grands auteurs français et russes, et un profond critique littéraire. Sa vie a été assombrie par des problèmes psychiques et des accès de désespoirs et de mélancolie qui l’ont poussé, le 2 mars 1912, à mettre fin à ses jours. Son départ prématuré a été une grande perte pour la littérature tchèque. Le professeur Jan Císař évoque le caractère hypersensible de cet artiste qui s’est reflété dans son œuvre et qui en font, en quelque sorte, homme de notre temps :
« Mrštík, comme nous le savons, était d’un tempérament agité et névrotique, une nature assaillie par une multitude de questions qui sont toujours d’actualité. Dans toute son œuvre, y compris son œuvre prosaïque, reviennent toujours les questions que se pose un homme sensible qui comprend pleinement son époque, qui cherche à prendre position vis-à-vis d’elle et qui est aussi une grande individualité artistique. Toutes ces questions sont omniprésentes et surgissent également aujourd’hui sous les formes les plus diverses. »