Meda Mladkova : « Les peintres de ma génération restent les meilleurs »
Culture sans frontières vous emmène aujourd'hui au Musée Kampa, situé sur l'île pragoise du même nom. Il est aménagé dans un ancien moulin du XIVe siècle, magnifiquement reconstruit et dominé par un cube en verre, en guise de tour moderne. Ce musée, sans doute un des plus fréquentés dans la capitale, abrite une importante collection de tableaux de Frantisek Kupka, de sculptures d'Otto Gutfreund, ainsi que des oeuvres d'art contemporain d'Europe centrale. Dans un instant, vous entendrez la fondatrice du Musée, Meda Mladkova, qui a fait don de sa collection privée, rassemblée avec son mari Jan, à la ville de Prague. Je l'ai rencontrée à l'occasion du troisième anniversaire de l'ouverture du Musée Kampa.
Installée à l'étranger depuis 1946, Meda Mladkova a étudié les sciences sociales en Suisse, l'histoire de l'art à Paris, avant de s'installer avec son époux, disparu en 1989, à Washington, où elle vit toujours. Chaque mois, elle fait une escale à Prague, pour surveiller de près la vie de son Musée, où pas un objet, pas un tableau ne peuvent être déplacés à son insu.
Sous le communisme, Meda Mladkova se rendait régulièrement en Pologne, en Hongrie et en ex-Yougoslavie. Les tableaux de plasticiens locaux et, évidemment, de leurs collègues tchèques et slovaques, sont au coeur de la collection du Musée Kampa. Mais revenons en France : c'est en 1955, que Meda Mladkova y rencontre son compatriote et pionnier d'art abstrait, Frantisek Kupka. Au fil des années, elle rassemble la plus importante collection au monde de ses travaux, qui compte pas moins de 220 peintures, dessins et esquisses. On écoute Meda Mladkova :
« Tout a commencé grâce au célèbre marchand d'objets d'art Kugel, à Paris (sa galerie existe toujours, elle est dirigée par son fils). C'était un ami de mon mari. Il est venu chez nous, avec un tableau, en me disant : 'il n'est pas très bon. Mais son auteur sera connu un jour. Et c'est votre compatriote !' Evidemment, j'étais curieuse, alors je me suis rendue chez ce 'compatriote', Frantisek Kupka. Il n'était pas facile de le trouver, il habitait à Puteaux. Dans son atelier, il m'est arrivé une chose étrange... Avant, j'avais étudié le cubisme, mais lorsque mes professeurs me montraient les tableaux cubistes, je n'y voyais absolument rien. Je ne comprenais pas. Mais quand je suis arrivé dans l'atelier de Kupka, j'étais éblouie ! J'ai couru d'un tableau à l'autre : 'Oh, c'est pas vrai ! C'est magnifique !' Il a été heureux... Nous sommes devenus amis. Seulement il était déjà trop âgé et moi trop jeune et pas assez expérimentée pour pouvoir lui poser des question qui m'intriguent aujourd'hui. Alors nous avons surtout parlé de notre pays. Il détestait le communisme et moi aussi, donc nous avions des points communs (rires). Vous voyez ce tableau ? Je l'ai tout de suite acheté, le premier jour. Il s'appelle 'Plan... Espace-plan'... enfin c'est quelque chose d'abstrait. Chez moi, j'étais assise des heures et des heures devant ce tableau, je tremblais, je ne pouvais pas dormir. C'était la première fois dans ma vie qu'une chose pareille m'arrivait. Et j'avais l'impression d'entendre la musique de Dvorak, ses Danses slaves. Des années plus tard, après avoir étudié Kupka et l'art abstrait au Musée d'Art moderne de New York, j'ai enfin compris ! Ce tableau représentait en effet une fille en train de danser ! Peut-être même que Kupka écoutait Dvorak quand il travaillait dessus. C'est possible, car il écoutait toujours de la musique en peignant. »
Un tableau réussi... c'est quoi exactement, pour vous ?
« Ce n'est pas une bonne question. Je crois qu'il faut acheter ce que l'on aime. Si vous aimez vraiment, vous allez accrocher, aller dans des musées et galeries... La musique, c'est pareil. On ne peut pas tout de suite aimer Cage, par exemple, ou un autre compositeur contemporain. Ce n'est pas possible. Il faut y aller lentement. Puis, vous aller commencer à aimer ce que vous n'aviez pas compris au début. C'est une évolution.»
Quel bilan faites-vous des trois années d'existence de votre Musée ?
« Nous avons une collection d'art tchèque et slovaque, mais pas seulement. Nous exposons aussi l'art d'autres pays ex-communistes : d'ex-Yougoslavie, de Pologne, de Hongrie. J'aurais aimé y inclure aussi la Roumanie où il y avait de très bons artistes. Les quatre pays que je visitais régulièrement étaient dans des conditions plus ou moins similaires. Mon mari disait : 'si la culture survit, le pays survivra, lui aussi'. C'est vrai. Les plasticiens qui figurent dans ma collection étaient, je pense, les meilleurs dans leurs pays respectifs. Et ils le sont encore. J'avais un bon instinct, je crois. Lorsque ces pays se sont ouverts à l'Europe et au monde, le monde, lui, s'est intéressé aux jeunes. Mais ces jeunes, ils ont fait une grosse erreur ! Ils ont commencé à imiter l'art occidental. Aujourd'hui, cela n'intéresse plus personne, car c'est toujours A LA MANIERE DE... A la manière des Allemands, des Français, des Américains... Ils étaient capables de faire des choses intéressantes, puis de changer complètement de style, d'une année à l'autre. A présent, ils commencent enfin à comprendre qu'ils s'étaient trompés... Tandis que ma génération est restée fidèle à elle-même. Ce sont ces artistes-là que je montre au Musée. Mais, évidemment, j'ai dû commencer par les peintres mondialement connus. Si j'expose Warhol ou Mondrian (expositions temporaires, ndrl) le public vient en foule et c'est une excellente publicité pour le Musée. Mais au fond, je m'en fiche un peu d'eux. Ce sont les peintres formidables, mais peu connus que je propose de découvrir. » L'inlassable Meda Mladkova a encore deux projets de construction de musées à Prague : un devrait être dédié aux enfants, l'autre devrait rendre hommage à trois pointures du théâtre et de la littérature tchèques : Jan Werich, Jiri Voskovec et Vladimir Holan.Le Musée Kampa est accessible tous les jours de 10h à 18h. En septembre et octobre 2006, les heures d'ouverture ont été prolongées, le dimanche, jusqu'à 20h. Jusqu'au 15 octobre, vous pouvez y voir l'exposition de robes de la styliste tchèque Libena Rochova, inspirées de 29 tableaux et sculptures des collections du Musée. Du 27 septembre au 12 novembre prochains, le Musée Kampa présentera un choix d'oeuvres de la collection d'art contemporain de la Société Générale, dont par exemple les tableaux d'Andy Warhol déjà cité...